germaine appell-duclaux in memoriam 7

 

Germaine Appell – Duclaux 1885 – 1965

In memoriam VII

Tenir jusqu’à la fin

En 1945 Germaine Appell – Duclaux a 62 ans ; les expéditions lointaines à titre professionnel sont terminées. Reste à survivre en France et à s’offrir de temps à autre quelques petits voyages, généralement en Algérie pour raisons familiales, et un aller-retour à New York dont il a déjà été question au chapitre finlandais. Les problèmes sont nombreux, et d’ordre financier. Quand elle ne pourra plus assurer l’assistanat dans un service hospitalier de radiologie (Hôpital Broussais : 1947 –  1950), ni le suivi de la PMI dans les académies de province, (jusque dans les années soixante) elle n’aura pas de ressource autre que la pension versée par Jacques Duclaux qui vivra 13 ans de plus qu’elle. Elle n’a pas non plus de logement, et on se souvient des difficultés de l’après-guerre, où la reconstruction est trop lente – et trop chère – et les besoins énormes.

La première solution au problème du logement fut trouvée par son frère, Pierre Appell, l’ancien ministre, qui gérait – ou participait à la gestion d’-  une propriété de famille située à Saint Germain en Laye, non loin du château. La propriété comprenait une maison de maîtres et des communs, le tout dans un grand parc, avec une entrée privée sur la terrasse de Le Nôtre. Les communs étaient habitables et inoccupés, donc risquaient la réquisition. Germaine fut autorisée à habiter lesdits communs, bâtiment d’un étage, doté de pièces immenses – et difficiles à chauffer : c’était un retour aux sources.

J’ai eu le privilège d’y vivre pendant les congés universitaires. Elle avait organisé l’ensemble avec des meubles anciens qui lui venaient de sa famille ; elle y avait installé tous les objets rapportés de ses voyages ; elle avait rempli une bibliothèque des livres d’art dont elle faisait une consommation que d’aucuns eussent pu trouver déraisonnable, mais c’était la joie de sa vie. Tous ces trésors étaient à la disposition de sa petite fille, signataire de ces lignes, et des amis de ladite ? Ils en profitaient, y compris en son absence. J’ai de merveilleux souvenirs de lectures infinies, de soirées passées pelotonnés devant la cheminée où brulait le bois ramassé dans le parc, et d’expéditions pédestres dans la forêt lorsque un ami, artiste – peintre de son état, joyeux drille et anarchiste comme il se doit, s’amusait à « faire la pierre » sur  les routes forestières,  ce qui consistait à se couvrir  d’une couverture grise,  à s’accroupir au milieu de la chaussée et à attendre l’arrivée du prochain bourgeois envoituré qui serait bien forcé de s’arrêter. Germaine, bien entendu, n’était pas au courant de ces sottises ; l’eut-elle été qu’elle les aurait comprises, sinon admises ; n’en avait-elle pas fait d’équivalentes ? Elle aimait les jeunes et les comprenait, et les jeunes le lui rendaient.

 

Ainsi courut le temps dans ces difficiles années de l’après-guerre ; je pense qu’alors elle n’était pas malheureuse, elle vivait dans un cadre qui lui convenait et c’était l’essentiel. Mais la propriété était à vendre, et finit par l’être : Germaine se retrouva sans abri. A l’époque sa fille cadette, Françoise Duclaux, ma mère, fut nommée à l’observatoire d’Alger et traversa la méditerranée. Ses deux enfants étaient adultes, même s’ils devaient encore être financièrement soutenus ; son fils, Olivier, reçu à l’école supérieure d’électricité de Toulouse, s’installait dans le midi ; je finissais mes études à la Sorbonne et il fallait donc me loger à Paris. Mon père était parti en Argentine, et l’appartement qu’occupait le couple avenue de Tourville, dans le septième arrondissement, était trop grand et trop cher pour moi – et pour ma grand-mère. La loi de 1948 offrit une solution : elle permettait des échanges « dans l’intérêt des familles ».  Survint un jeune couple, désireux de se marier et de trouver un habitat commun. On échangea donc le grand appartement du 7ème contre deux petits, un studio avenue de Ségur et un trois pièces rue de Verneuil, au troisième étage sur la cour d’un immeuble haussmannien.[i]

 

Tout le monde restait dans le septième arrondissement, quartier bourgeois s’il en fut. Le studio fut pour Germaine, le trois pièces pour sa petite fille. Le studio était assez grand, et surtout très clair ; elle y apporta ce qu’elle put de ses affaires qui furent dispersées à sa mort ? Je n’en ai personnellement rien gardé, seulement le tableau qui figurait au-dessus de son lit et qui représente    le Bouddha âgé assis sur son buffle, guidé par un enfant. Qu’était cette image pour celle qui avait tant aimé la Chine ?  La solitude de la vieillesse que seuls accompagnent les innocents ? La quête de la sagesse dans la renonciation aux choses superflues ? le voyage de la vie qui se termine dans l’abandon du soi ? Quel que soit ce sens, l’image l’accompagna jusqu’à la fin, comme elle le fera pour moi, du moins je l’espère.

 

J’aurais voulu terminer ce récit sur cette image qui lui ressemble. Malheureusement ce n’est pas là, au sein de ses objets familiers, qu’elle vécut ses derniers jours. Jacqueline s’était mariée et était partie à l’étranger ; l’appartement de la rue de Verneuil était libre et il fallait l’occuper – toujours la possibilité d’une réquisition ! – ; et l’argent continuait à faire défaut. Germaine tenta donc d’augmenter ses maigres ressources en sous louant le studio, ce qui était interdit et lui valut des ennuis ; et elle vint s‘installer dans le minuscule trois pièces de la rue de Verneuil où rien ne lui appartenait. C’est là qu’elle vécut ses derniers jours ; la plupart de ses amis avaient disparu, deux de ses enfants vivaient hors de France ; restaient deux de ses petits-enfants, et l’appui chaleureux d’une jeune fille qui vivait dans un petit logement donnant sur la même cour. Germaine souffrait d’insuffisance respiratoire, eut une crise, fut transportée à l’hôpital, accompagnée par sa jeune voisine, qui me rapporta sa dernière plaisanterie : « Si l’oxygène ne vient pas à Germaine, c’est Germaine qui va à l’oxygène ».

 

L’oxygène c’est la vie…   et la flamme.

 

 

Qu’elle soit heureuse dans la lumière !

 

[i] Danièle Voldman, La loi de 1948 sur les loyers Vingtième Siècle, revue d’histoire Année 1988 Volume 20 Numéro 1 pp. 91-102. La loi tente, en vain, de fixer les rapports des propriétaires et des locataires sans léser personne ; elle aboutit à un blocage qui mettra des années à se résorber.

 

 

 

 

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