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Le laboratoire

histoire du laboratoire d’Olmet : objectifs et fonctionnement

Le laboratoire : établissement et fonctionnement

            Emile avait déjà organisé un laboratoire au Fau, pour y travailler sur les produits laitiers ? Ce laboratoire était subventionné par le ministère de l’agriculture. Celui d’Olmet prendra la suite. Les dossiers d’Emile contiennent des demandes de subvention et la réponse ministérielle.

Le premier témoin est un brouillon de la main d’Émile Duclaux, sans date et classé dans les papiers de 1893. La réponse est du 15 février 1893 ; la demande doit donc dater de début 93

Monsieur le Ministre 

            L’appui de votre administration m’a permis d’installer pendant dix ans, dans le Cantal, un laboratoire d’études laitières qui ont, je crois, laissé quelques traces dans la science. (au Fau, bibliographie infra) Lorsque j’ai été obligé de le fermer, c’était dans l’idée de le rouvrir un jour. Il s’est présenté pour cela pendant ces vacances une circonstance favorable, et j’ai pu faire l’acquisition de ce que j’avais cherché tant d’années, une maison d’habitation pourvue à proximité d’un grand local pouvant servir de laboratoire et disposant d’une quantité abondante d’eau sous pression.

            C’est ce local que je mettrai gratuitement à la disposition de votre administration si elle accepte l’idée de faire revivre dans le Cantal la station laitière qui y existait autrefois. J’y ferai à mes frais tous les aménagements ayant un caractère permanent. Je ne demanderai à votre administration que les sommes correspondant à l’installation du laboratoire, à son ameublement et à son outillage.

Pour qu’il n’y ait pas de surprise, je crois devoir vous donner ici un état approximatif des dépenses à faire

                  Conduite et distribution d’eau                                 300    francs

                  Appareil à gaz portatif                                              500       « 

                  Hotte, éviers, carrelages, fourneau                         500       « 

                  Mobilier de laboratoire                                            500        « 

                  Autoclave, four à flamber, étuve                             700         « 

                  Instruments de chimie, balance, verrerie            300        « 

                  Produits chimiques                                                   400        « 

                                                                                               _________

                                                           TOTAL                        3 800 « 

            En ajoutant 200 francs pour les frais imprévus, ce serait donc une dépense une fois faite de 4 000 francs, dont je justifierai dans les formes ordinaires.

            Après quoi il serait nécessaire de constituer à ce laboratoire un budget annuel qui, pendant les premières années, peut ne pas dépasser 1 200 francs.

C’est que mon projet est d’étudier tout d’abord des questions qui sont urgentes, et ne nécessitent pas de grandes dépenses, telles que la répartition des éléments du lait dans les diverses parties de la traite, l’influence de l’alimentation sur la composition du lait, l’origine des phosphates qu’on y trouve, leur restitution au sol, et en particulier la source de ceux qui sont emportés depuis des siècles du Cantal sous forme de fromages sans qu’on n’en rapporte jamais. Cela me conduira à l’étude chimique des eaux du Cantal et de la circulation souterraine si curieuse dans ce département. J’aurai alors besoin de quelqu’un qui le parcoure avec un programme précis et un matériel d’analyse courante. Mais pour le moment il s’agit seulement de poser les fondements de cette étude.

            Si vous pensez, Monsieur le Ministre, qu’elle doit être entreprise, et que les propositions très désintéressées que je crois devoir vous faire vous semblent acceptables, je vous serai reconnaissant de m’en prévenir de suite, car je mettrai de suite les ouvriers nécessaires pour transformer en laboratoire une grange que je laisserais en l’état si vous n’acceptez pas mes propositions. Pour vous mettre tout à fait à votre aise, je dirai que je serais bien content qu’une raison quelconque vous conduise à me répondre non, et me rendit ainsi la liberté de mes vacances, que j’altère (!) peut être imprudemment à l’âge auquel je suis arrivé

                        Veuillez …  

           J’ignore si la lettre a été envoyée telle quelle, en particulier le dernier paragraphe, que personne n’aurait l’idée d’écrire aujourd’hui. Mais la lettre sera sans doute lue par le ministre (et soutenue par Raymond Poincaré, alors ministre de l’instruction publique, et ami personnel). La subvention en tout cas fut accordée dès 1893 :       

République française

Ministère de l’Agriculture

Direction de l’Agriculture

1er bureau

                                                                       Paris le 15 février 1893 (tampon)

Monsieur,

En réponse à votre lettre du 5 février courant, j’ai l’honneur de vous informer que je consens très volontiers à mettre à votre disposition un crédit extraordinaire de 4 000 francs pour l’installation et l’organisation d’une station laitière dans le Cantal.

Cette somme sera mise à la disposition des intéressés sur la production des mémoires que vous voudrez bien me transmettre en triple exemplaire dont un sur timbre.

D’autre part j’ai fixé à 1 200 francs pour 1893 le budget annuel de l’établissement.

Je suis heureux, Monsieur, de constater une fois de plus le concours désintéressé que vous voulez bien apporter à l’étude des questions d’industrie laitière et je vous en adresse tous mes remerciements,

Recevez, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée

                                                                       Le ministre de l’Agriculture

A M. Duclaux, membre de l’Institut, 25 rue Dutot, Paris

 La lettre et la signature sont manuscrites.

              D’autres demandes suivront jusqu’en 1904 et seront toutes acceptées, pour un montant courant de 400 francs. Notons que la première à être tapuscrite est celle de 1901 ; le ministère a réussi alors à se doter de matériel moderne.

Le laboratoire, objectifs des recherches

                        Le lait, le fromage et leurs dérivés

            Émile expose fort clairement ses objectifs dans sa demande de subvention : ils sont la suite des travaux du Fau, eux-mêmes à l’origine des publications postérieures à la mort de Mathilde, faites de 1882 à 1904.

                        Les recherches visent les « infiniment petits », selon les termes utilisés dans les premiers ouvrages.  Elles vont dans deux directions : connaître les organismes microscopiques qui sont à l’origine des maladies des êtres vivants – et qui ont causé la mort de sa femme bien-aimée, (fièvre puerpérale) ; connaitre leur rôle dans la transformation des aliments. Ce deuxième point est un champ annexe, mais essentiel, dans la lignée des travaux sur le ver à soie ou le phylloxéra. L’industrie laitière est un bon exemple et elle a un autre avantage, qu’elle partage avec les études sur les eaux : apporter une aide à l’économie du Cantal et rendre à ce pays cher à son cœur ce qu’il lui a donné.

            La bibliographie va de Ferments et maladies (Masson, 1892), dédié à Laure Mathilde Briot, « victime innocente des infiniment petits » à Traité de microbiologie, (Masson, 1898), en passant par Pasteur, Histoire d’un esprit,(Charaire et cie, 1896) et surtout, un des plus importants pour notre sujet, une sorte de manuel, Principes de laiterie, A. Colin, (~1875 – 1895)

            Le volume consacré au lait en 1894/95 est une somme : réédition d’un livre précédent, Le lait, études chimiques et microbiologiques, publié par J. B. Baillière et fils, 1887, et aussi reprise, revue et augmentée, de rapports et d’articles déjà parus dans les Annales de l’Institut Pasteur, les Annales agronomiques ou les Annales de l’Institut agronomique etc. Il est dédicacé, avec un humour certain « to the queen Mary », soit Mary Robinson-Darmesteter, sa seconde épouse, dont le rôle auprès de lui diffère quelque peu de celui que jouait la première (the queen !)

L’ouvrage est publié dans l’Encyclopédie agricole et horticole. Ce n’est pas la première fois qu’Émile participe à des publications destinées à un public de professionnels et non à des chercheurs, il l’a déjà fait pour le phylloxera. Cela fait, pour lui, partie des devoirs du savant.

La préface précise : « Je ne méconnais pas qu’avec tout ce que je sais de plus qu’elle, la moindre fermière de la Brie me battrait sur la fabrication d’un fromage. Mais après avoir appris des laitiers ce qu’ils pouvaient m’enseigner, je voudrais… renverser les rôles et leur rendre sous une autre forme ce que je tiens d’eux. La science et l’industrie sont deux ignorantes qui font bien d’aller à l’école ensemble. »

Nous rencontrons ici une affirmation fréquente chez Émile, qui est une des formes que prend son sens de l’égalité démocratique : la connaissance et la pratique s’améliorent l’une l’autre en partageant leurs acquis, sur un pied d’égalité. Ce qui ne veut pas dire pour lui que chacun est apte à décider de tout, mais que chacun porte en lui un savoir utile à tous, et doit être respecté pour cela.

Dans le cas de l’industrie laitière, Émile va donc insister sur un élément qui manquait aux traités antérieurs – ou était traité de façon insuffisante – : le rôle des microbes.

L’ouvrage fait 370 p et il est abondamment illustré.

Les chapitres I à V traitent des aspects scientifiques : constitution physique et chimique, microbes du lait, fermentations spécifiques, méthodes d’analyse.

Le chapitre VI s’intéresse au Traitement commercial du lait. On pourrait penser que le directeur de l’institut Pasteur n’est pas le mieux placé pour traiter d’un sujet économique ; l’intéressé ne le pense pas. Son histoire personnelle lui a appris à se méfier de l’État et des administrations, aux démarches lourdes, d’essence conservatrices parce qu’éloignées du réel ; l’institut qu’il a fondé est ouvert au monde extérieur – selon le bon vieux modèle du collège de France. La science doit rendre aux professionnels ce qu’ils lui ont donné ; les paysans du Cantal doivent être aidés à gérer un commerce plus rentable.

            Or ce « commerce [est] mal assis parce que la denrée sur laquelle il porte est trop altérable ». Il faut donc travailler sur les méthodes de conservation ; il faut employer la réfrigération, la congélation, voire l’électrisation (pour détruire les microbes : « ces méthodes n’ont aucun succès actuellement », dit Duclaux). Il recommande aussi l’emploi des antiseptiques (carbonate de soude, acide borique), le chauffage (la Pasteurisation), la stérilisation. Il faut aussi penser au lait condensé.

            Enfin il faut faire attention aux falsifications qui nuisent à la conservation, et à la bonne réputation des produits : écrémage du lait non signalé par ex. Les français ne l’ont pas inventé, « Les premières falsifications de cet ordre sont venues d’Amérique, mais le consommateur a bon dos dans tous les pays du monde ».

            Bref tout ne se résout pas à la fabrication des fromages, reste à assurer leur vente et cela ne se fera que si la bonne conservation en est assurée.

                        Comme quoi le physicien- chimiste se transforme en économiste pour la cause des fromages, comme il s’est transformé en ce que nous appellerions aujourd’hui un lobbyiste pour celle de l’Institut Pasteur.       

     La fin de l’ouvrage traite des fromages, dans le même esprit que le lait, un mélange de bon sens, de réflexion sur les pratiques et de désir de les améliorer en conservant ce qu’elles ont de coutumier et d’inimitable. L’amoureux de l’Auvergne n’est jamais bien loin. 

photo d'un tube à essai aayant servi au labo
Laboratoire et méthode scientifique

                        Les recherches sur le lait, telles qu’elles sont décrites ici, participent des réflexions sur la méthode qui font l’intérêt des travaux de Duclaux, parce qu’elles sont l’œuvre d’un praticien et non d’un philosophe, et parce qu’il les utilisa nommément dans ses réflexions sur l’affaire Dreyfus : l’expérience est toujours en arrière-plan, qu’elle soit simple observation du réel, ou mise en œuvre élaborée pour construire cette observation.

Le chapitre 2 du Manuel est consacré a une description très détaillée de la méthode à suivre dans l’analyse du beurre, avec les détails les plus triviaux, les raisons de tous les gestes et des recommandations concernant leur importance relative, le tout accompagné de dessins décrivant les instruments utilisés. La démarche est décrite à la première personne [je] et se termine – « provisoirement » – par les questions qui se posent, une fois la procédure arrivée à son terme.

En voici la liste.

: déterminer les éléments qu’on va étudier, leurs rôles et leurs effets., et jusqu’à quel degré de détail ; et lister ce qu’on va – pour le moment- laisser de côté (« je me borne à ces questions, les seules que je me sois posées »)

: exposer, dans leur suite chronologique, les étapes de l’analyse 

: doser les éléments (eau, matières grasses, sel marin, acides volatils, sucre, acides    gras…)

: une fois atteint ce stade, lister les questions qui se posent… et auxquelles les chapitres suivants apporteront des éléments de réponse.

L’implication personnelle est constante : chaque paragraphe débute par une formule du genre : « demandons-nous d’abord » ; « on constate que …  ce qui nous fonde à nous demander… » ; «  ce qui nous apprend que , si nous voulons étudier [tel phénomène] il nous faudra d’abord… » ; « nous en arrivons enfin à l’étude de… » ; et ce n’est qu’une fois la réponse obtenue qu’on poursuivra, avec par ex. : « tous ces faits prouvent que… » et «  ce que je veux chercher à démontrer c’est que.. » ou « avant de pousser plus loin nous avons une question importante à résoudre ». Bref chaque moment de la recherche, fut-ce le plus infime, est souligné.  Car l’erreur peut se situer dans un oubli, dû souvent à une trop grande rapidité. Ou dans de mauvais instruments, etc. … « Dans tous [les cas] on se donne beaucoup de peine pour des résultats médiocres », des « incertitudes », des « insuffisances », voire des « erreurs, qui ne sont pas minimes »

« Si dans les questions scientifiques… nous dirigions notre instruction comme elle semble l’avoir été dans cette affaire, (l’affaire Dreyfus), ce serait bien par hasard que nous arriverions à la vérité….  « Nous avons des règles tout autres… : garder notre sang froid, ne pas nous enfermer dans une cave pour y voir plus clair, croire que les probabilités ne comptent pas et que cent incertitudes ne valent pas une certitude… Puis comme nous avons cherché et cru trouver la preuve décisive, quand nous avons réussi même à la faire accepter, nous sommes résignés à l’avance à la voir infirmer dans un procès en révision auquel nous présidons nous-mêmes », écrit Émile lorsqu’il se lance dans la défense de Dreyfus.

Ou comment un honnête homme peut aller d’une réflexion sur le fromage à une implication politique nationale, puis internationale, qui le mènera à la Ligue des Droits de l’Homme, à tant d’ennuis qu’il avait prévus, et à une mort précoce. L’auvergnat n’a jamais reculé devant son devoir.

Bibliographie

Émile Duclaux, Ferments et maladies, G. Masson , Paris,,1882

Emile Duclaux, Le microbe et la maladie, Paris, G. Masson , 1886, in 8°, 270 p.Emile Duclaux, Le lait, études chimiques et microbiologiques, Librairie J. B. Bailli ère, Paris, 1894, in 8°, 376 p. ex dédicacé « to the queen Mary » par E. D.

Emile Duclaux, Principes de laiterie, A. Colin , Paris, s.d. , ( ~1875 – 1895),  370 p. , ill. ; coll Encyclopédie agricole et horticole, ss la dir de M. C. Lechalas

Emile Duclaux, Pasteur, histoire d’un esprit, Charaire et cie, Sceaux, 1896, in 4°, 400 p.

Emile Duclaux et les sources

 

Émile Duclaux et les sources

 

 

 

Dans les Annales de l’Institut Pasteur1, l’année précédant sa mort, Émile Duclaux fait paraître un article de 45 pages, modestement intitulé Études d’hydrographie souterraines. C’est une étude (partielle) sur le réseau des sources qui affleurent dans les vallées issues du volcan du Cantal. Émile est chimiste, pas géologue, ni géographe : aucun de ses travaux antérieurs ne porte essentiellement sur un problème d’hydrographie, sauf allusion dans les comptes rendus des Annales de l’Institut, mais plusieurs concernent le problème de l’eau et de son caractère potable 2. Pourquoi, vers la soixantaine, s’intéresse-t-il à l’hydrographie ? Sur quoi repose cet intérêt pour les sources et la qualité de l’eau en général ?

 

 

 

L’hypothèse sur laquelle repose cet essai est la suivante : les sujets d’intérêt, donc de recherche, d’un scientifique sont intimement liés à son histoire personnelle ; beaucoup d’historiens choisissent telle ou telle époque ou tel ou tel thème parce que une question en rapport s’est un jour posée dans leur vie : les questions de genre sont traitées surtout par des femmes, par exemple. La tradition familiale – qui vaut ce qu’elle vaut – rend le fait patent en ce qui concerne Émile Duclaux : elle dit que c’est la disparition de sa première épouse, très aimée et morte en couches de fièvre puerpérale, qui l’a conduit à diriger ses recherches vers les microbes et la prophylaxie. Les travaux menés par ses descendants dans sa maison d’Olmet montrent aussi un goût prononcé pour les eaux vives : si avoir de l’eau courante était une nécessité absolue pour faire fonctionner le laboratoire3 , cela ne nécessitait pas le décor du jardin : une fontaine de rocailles (qui a coûté horriblement cher ), un ruisseau en travers de toute la plate bande gazonnée devant la maison, un bassin bordant deux massifs de fleurs et une autre fontaine dans le genre de celles des maisons romaines (un bassin circulaire cimenté surmonté d’une demi voûte ronde, dans laquelle une tête de lion en bronze crache un jet d’eau – (ses descendants l’appelaient « le géant qui crache » – ). Le tout alimenté par un réseau de tuyaux en fonte dont le dessin est perdu et la restitution aléatoire.

 

 

 

Dans la bibliographie republiée par l’Institut Pasteur d’après la première édition parue dans les Annales de l’institut en 1904 avec la nécrologie écrite par le docteur Roux , les publications de Duclaux sur le sujet sont recensées dans le sous chapitre « médecine et hygiène » , qui mentionne 47 études entre 1882 et 1903 ; 14 de ces études concernent le problème de l’eau, soit moitié moins que la question du lait, beaucoup mieux connue comme ayant été un de ses sujets d’intérêt (~28) et autant que l’alcool , qui fut l’objet d’un scandale (~14).

 

 

Dans quel contexte situer ce dernier – et long – article ? Duclaux vient de publier son livre sur l’hygiène sociale ; les microbes, auxquels se consacre l’Institut qu’il dirige après Pasteur, ont besoin de l’eau pour vivre, comme tout être vivant ; ils peuvent aussi polluer l’eau dans laquelle ils vivent, et cela devient alors un problème d’hygiène publique. De ce point de vue la question qui se pose à propos de l’eau est d’abord celle de sa filtration et/ou de son altération, naturelles via les couches géologiques traversées, artificielles via les activités humaines : elle conduit à l’étude d’un – ou plusieurs – réseau(x) fluvial/aux, ce qui a été fait, en particulier pour l’Île de France. Est-ce une raison pour poser la question d’un réseau géographique constitué de très nombreux bassins sans liaison entre eux, le réseau des rivières, ruisseaux et sources issus d’un volcan, celui du Cantal, d’où les eaux partent dans toutes les directions  et qui ne dessert aucune ville importante ; que pourrait bien apporter cette étude ?

 

Je pars de l’idée qu’il y a au début une inquiétude : peut-on encore espérer trouver des sources pures ? Et deux raisons, l’une qui tient à une expérience récente, d’ordre scientifique, l’autre, plus profonde, qui remonte aux joies de l’enfance et à l’amour de ce pays, le Cantal, qui lui a tant donné et à qui il a tant voulu donner.

 

 

***

 

 

 

 

Qu’apporte l’expérience scientifique ? Dans les dernières années du siècle précédent, Duclaux a travaillé, avec d’autres, sur l’approvisionnement en eau potable de la ville de Paris, où l’urbanisation et l’accroissement de la population avaient nécessité un énorme travail d’adduction d’eau ; ce travail remarquable a été exécuté en même temps que la rénovation d’Haussmann par le polytechnicien Eugène Belgrand4 . Nous sommes dans les dernières années du règne de Napoléon III, les idées sur l’asepsie et l’antisepsie sont contemporaines de la finition du réseau et, sinon connues, en tout cas loin d’être acceptées par tous : Belgrand et ses ingénieurs n’ ont pas vraiment tenu compte de ce problème. Environ quinze ans plus tard les responsables politiques de la République réalisent que les eaux provenant d’infiltration, donc les eaux de source, peuvent présenter un risque, notamment en ce qui concerne l’extension d’une éventuelle épidémie. Ils demandent conseil, entre autres, au directeur de l’Institut Pasteur, qui s’exécute : Duclaux propose un «système de surveillance» du «très large réseau de sources», aux fins d’«empêcher les épidémies» potentielles d’«infecter les eaux potables» ; ce système , nous dit-il , fonctionne «assez bien »… Le travail lui a permis de constater, sur une grande échelle, à quel point l’eau des sources n’est plus sûre. N’existe-t-il plus d’eau pure ? Le scientifique sent sa responsabilité engagée. Et, apparemment le montagnard qu’il est toujours resté en est choqué.

 

 

 

Les bactéries dans l’eau ? Depuis 1887 ses publications montrent qu’il se pose la question. Dans les Annales de l’Institut, qu’il a fondées, la Revue critique et la section Revue et analyses font dans chaque numéro le point sur les publications en cours autour d’un sujet en rapport avec les recherches de l’institut Pasteur : le sujet de l’eau potable et de sa sécurité y figure avec des articles, souvent signés par Duclaux, très documentés, fondés sur une bibliographie abondante et internationale: en ordre de quantité décroissante : allemand, français, italien , anglais , ce qui recouvre à peu près l’ensemble des langues scientifiques de l’époque 6 . Les études mises en valeur par lui tournent autour de la question des sols, de l’eau qui les traverse et en sort, de la survie des bactéries dans ces sols et ces eaux, et des moyens de s’en préserver. ( voir les références in fine). L’article publié en 1903 sur les eaux souterraines est la résultante de tout ce travail d’information , mais aussi le résultat de ses recherches sur le terrain.

 

 

 

 

Qu’apporte l’expérience de la vie ? Si Duclaux appartient à la génération qui découvre la pollution en même temps que les microbes, il est aussi le fils d’une terre riche en sources, à côté desquelles s’élèvent les burons et les fermes : sans eau courante, pas de lait, pas de fromage, donc pas de richesses pour ce pays qu’il aime et pour lequel il a tant travaillé dans ses laboratoires successifs du Cantal, au Fau près de Marmanhac d’abord, puis dans sa maison d’Olmet. Ses enfants et petits enfants, comme lui, ont piégé les sources pour attraper les grenouilles, les phasmes et les libellules, recueilli leurs eaux pour élever les poissons pêchés dans la rivière, construit des barrages pour faire tourner les moulins et bu leur eau pour accompagner le pain du goûter. Le monde pour eux, comme pour lui , ne peut s’imaginer sans les ruisseaux et ruisselets qui modèlent le paysage et nourrissent la vie. Les descendants de ces petits enfants ne boivent plus aux sources : beaucoup d’entre elles sont captées8, et celles qui ne le sont pas – pas encore ? – ne sont plus potables9 . A la fin du XIX ème siècle elles l’étaient encore, mais Duclaux semble avoir pressenti – et étudié – le danger : ce danger menace ce qui fait l’essence même de ces montagnes aimées. 

 

 

L’article publié en 1903 sur les eaux souterraines est la résultante de tout ce travail d’information , mais aussi le résultat de ses recherches sur le terrain, dont son épouse parle avec tendresse et de temps à autre un peu d’inquiétude, car cela le conduit parfois à des expéditions acrobatiques.

 

 

Quoi de pire que la pensée qu’il n’existe plus de source pure ?

 

 

***

 

 

Que conclure de la bibliographie ?

 

 

Les microbes montent ou descendent dans les sols, suivant leur nature et leur perméabilité, entraînés par l’eau dans un sens ou dans l’autre ; il existe « des relations du sol avec l’eau qui le traverse … dont l’étude est indispensable avant de passer à celle du rôle nosocomial du sol et de l’eau » : ce que Duclaux s’efforce de faire en 1887 et 1890 (2 articles, voir bibliographie). Il est évident que, pour lui, l’un précède nécessairement l’autre. Une fois la nature des sols prise en compte, il faut étudier la vie des bactéries dans l’eau ( 1890,1892, 1894, voir ibid.), les contaminations ( 1892, 1898, id.) et surtout la filtration des eaux, naturelle (1891, 1894 , ibid.) et artificielle ( 1890, 1891, ibid.).

 

 

Ce qui vient en premier pour des raisons pratiques évidentes, est l’étude des techniques d’approvisionnement en eau potable dans les grandes villes ; leur croissance est énorme en cette deuxième moitié du dix neuvième siècle et le problème est donc crucial. En 1894 ( Annales de l’Institut Pasteur, 1894/12, revue et analyses, pp. 316 – 322) et surtout en 1900 ( Annales , 1990 , pp. 816 – 822) Duclaux examine « les enquêtes concernant les eaux de source distribuées à Paris » . Il montre qu’il est à peu près impossible d’être sûr de la qualité des sources : « Il faut se résoudre à retrouver dans les sources quelques uns des germes rencontrés à la surface ou dans les profondeurs. Il y a là un fait général et une loi inéluctable, contre laquelle l’homme , les parlements et les capitaux ne peuvent rien » Nous avons ici plaisir à retrouver l’ironie du savant face aux politiques, et les préoccupations du citoyen. « Tout filtre , nous rappelle-t-il, perd de ses qualités par l’usage » et les qualités filtrantes des sols disparaissent sous les villes , surtout lorsque « le régime d’homogénéité du sol qui a pu exister à l’origine fait de plus en plus place à l’hétérogénéité des matériaux de démolition » .

 

En ce qui concerne les travaux d’adduction faits à Paris, « c’est en présence de ces eaux, plus ou moins filtrées au travers d’éboulis que se sont trouvés les ingénieurs quand ils ont voulu les capter [les sources] pour les conduire dans la capitale » ; « elles présentaient toutes les qualités requises par la science officielle d’alors » – on admirera la notion de science « officielle » chez le directeur de l’Institut Pasteur, en repensant notamment aux difficultés rencontrées par le fondateur face à la médecine « officielle » – ; « elles [les eaux] étaient fraîches, limpides, de saveur agréable et très pauvres en matières organiques…Peut être le service des eaux eût-il pu … prêter une oreille plus attentive aux nouvelles exigences que la science apportait dans la question en montrant qu’une eau pouvait être sapide, fraîche et limpide , et contenir pourtant des germes dangereux pour qui la boit » Et pan sur les ingénieurs responsables ! Pourtant Duclaux concède que l’œuvre « s’est trouvée acceptable en ce qui concerne les préoccupations bactériennes » ; Acceptable ne signifie pas suffisante : « elle [l’œuvre]n’est pas à refaire , elle est à corriger et à amender ». Et la fin du rapport va décliner les conditions de ces corrections et amendements. Duclaux ne cherche pas à régler des comptes, il est bien trop généreux pour cela, il veut assurer à ses compatriotes une eau exempte de tout bacille dangereux. Il suggère qu’au lieu de s’assigner la lourde tâche de « surveiller l’arrivée du bacille … dans l’eau des sources ou au moment de son passage à l’octroi de Paris (sic) » on peut essayer de le saisir à son point de départ, c’est à dire au moment où il sort de l’intestin d’un malade10 , est rejeté dans la nature et donc pollue les terres qui le reçoivent. Il faut étudier ce qui se passe entre le moment où la bactérie tombe sur le sol (avec l’eau des déjections) et voir si ayant traversé les couches de terre successives, elle subsiste à la sortie de la source. Les sols filtrent-ils ? Et comment ?

Étudier les sols qui filtrent – bien ou mal – les eaux, conduit tout droit à l’étude « du périmètre de l’alimentation des sources », et donc à celle des réseaux hydrographiques. Duclaux connaît le réseau parisien et a constaté la quasi impossibilité d’y étudier valablement ledit périmètre ; mais quid de la campagne ? Et qu’y a-t-il de plus immédiatement à sa portée que les sources issues du volcan du Cantal ? Une telle étude pourrait-elle servir d’exemple ?

 

 

***

 

 

 

Que conclure de l’étude des réseaux hydrographiques  (article de 1903) ?

 

 

« Quand elles sortent de terre sous forme de sources les [eaux] sont devenues limpides, d’ordinaire ; mais la limpidité ne traduit pas la pureté » . La question qui se pose est donc la suivante : comment des eaux [pluviales] « qui arrivent au sol à peu près pures, s’y chargent de germes banaux ou dangereux, dont elles ne se débarrassent ensuite qu’au prix d’une filtration,[par les sols] qu’elles ne subissent pas toujours au degré qu’il faudrait » ? « Quelles sont les surfaces et les épaisseurs de terrains qu’elles ont lavées avant de redevenir visibles et saisissables ? » « Existe-t-il une délimitation de courant correspondant au moment où le trajet de l’eau est invisible , entre la surface du sol sur laquelle tombe uniformément la pluie, et la source qui, par essence, est rare ? »

 

 

Avoir une idée de la façon dont les eaux de pluie ou de ruissellement se transforment en traversant les sols ? Comme les sols des villes n’ont plus guère de rapport avec leur sol d’origine, Duclaux va faire le tour des sources à la campagne, dans un lieu qui lui est proche : les vallées cantaliennes. Il lui est facile d’en connaître le socle géologique avec l’aide des géologues et géographes locaux, il aime le pays, il y passe ses vacances 11 : bref de quoi joindre l’utile et l’agréable, ce qui n’est jamais interdit, même à un scientifique de renom.

 

 

De plus ce travail est heureusement compatible avec le tourisme. Sa femme l’accompagne dans ces expéditions, parfois périlleuses : Émile n’est plus de la première jeunesse et les sources ont la mauvaise habitude de se nicher parfois dans des endroits peu accessibles. « Parfois nous louons une voiture et allons nous promener assez loin , avec une douzaine de grands flacons sous le siège du conducteur, à la recherche des sources que mon époux analysait. ». Si Émile juge que la descente n’est pas possible pour elle, sur le plateau « de Badailhac » par exemple,« il [la] laisse dans la carriole pendant que lui descend la colline, avec ses grandes bouteilles de verre, vers les sources.12 »En l’attendant, elle tente d’entrer en contact avec les paysans qui l’entourent et s’aperçoit qu’elle, la femme qui parle et écrit trois langues vivantes, est incapable de comprendre l’occitan : ce qui la conduira à s’intéresser cette langue « des troubadours » Mais Émile remonte bientôt avec “ses grandes bouteilles” et la carriole retourne vers le laboratoire, où il va travailler pour le bien être de ces paysans que sa femme voudrait tant comprendre.

 

 

 

 

Recueil des eaux de quelques 110 sources, ruisseaux et rivières, dont prioritairement celles de la maison d’Olmet, étude de la température, des résidus et des sels, et ce à des dates diverses : pour “sa” source, pas moins de 17 relevés différents entre juillet 1894 et juillet 1903, dont certains en plein hiver, pour aboutir à la constatation que “ce sont des eaux différentes” . “On voit qu’alors même qu’on a fait ce qu’on a pu pour avoir une eau de source homogène, on n’arrive jamais qu’à avoir un mélange de plusieurs eaux et que, dans la réalité, si l’homogénéité se fait, c’est à l’aide du mélange de quantités innombrables de filets non identiques”. Et le savant de laisser la place au citoyen qui conclut : ”C’est le même mécanisme qui permet de parler de l’homogénéité d’une nation”.13 : Renan eut aimé cette comparaison!

 

 

Avec cette étude à quoi il a consacré tant de promenades, Émile a la satisfaction de constater que, s’il elles n’y sont pas “homogènes”, pourtant “dans les terrains volcaniques du Cantal .. les sources sont stables et conservent leur pouvoir filtrant.. [et qu’] on [y] sait toujours d’où vient le filet d’eau qu’on cherche à utiliser” … “Les quelques germes qu’on [y] rencontre viennent des parties superficielles et non des parties profondes des eaux qui viennent s’y réunir” et “quand l’analyse [lui] signal(e) un excès de calcaire, de sel marin, de matière organique, [il] trouv(e) toujours à petite distance, en amont, de quoi expliquer l’irrégularité” . Il existe donc, dans cette France encore très agricole, beaucoup de lieux semblables aux montagnes auvergnates où l’eau est préservée, ou relativement facile à surveiller, à la différence des grandes villes. Si les eaux n’y sont pas homogènes, au moins elles peuvent être sûres.

 

 

Voilà qui paraît rassurant pour l’avenir !

 

 

 

****

 

 

 

Il aurait eu tort tort d’être rassuré, s’il l’a vraiment été. L’histoire montre que, un siècle après, il y a beau temps que les services des eaux, dans les campagnes et dans les villes, ont renoncé à déterminer quels sont les sols indemnes de pollution ; on « traite » les eaux potables à la sortie, ce qui leur donne ce délicieux goût de javel que tout un chacun peut tester en buvant l’eau de son robinet ; ce qui aussi fait la fortune des fabricants d’eau en bouteille, dont on peut espérer, soit que les industriels concernés ont vraiment étudié à fond « le périmètre de l’alimentation des sources » , soit qu’ils traitent l’eau « naturelle » en question. Duclaux, lui, espérait qu’on puisse «  arrêter [les bacilles] au point de départ » et qu’on serait ainsi « débarrassé des soucis , des confusions et des lenteurs inévitables de la surveillance au point d’arrivée » . Il n’avait pas prévu qu’il serait plus facile – et plus rentable – de traiter toute eau destinée à la consommation, ce qui évite non pas la surveillance mais réduit ladite surveillance au point de recueil des eaux, au départ du réseau . Le traitement est-il adéquat ? Et suffisant ? La réponse , relativement facile, dispense de l’étude, longue et dispendieuse, surtout si elle doit être renouvelée régulièrement, du bassin d’alimentation. C’est ainsi qu’on abandonne le souci de la qualité même des eaux captées ! Et par la même occasion la qualité des sols !

 

 

Duclaux ne pouvait penser qu’on puisse renoncer un jour à boire directement l’eau des sources ; il n’aurait pu se résigner à des ruisseaux et des rivières où les écrevisses ne pourraient survivre, lui qui les avait sans doute pêchées dans les eaux de l’Authre, à coté du Fau, comme l’ont encore fait ses petits enfants. Il rêvait d’eau pure. Ce qu’il avait vu dans les villes, et d’une certaine façon aussi ce qu’il avait vu en Auvergne, pouvait sans doute garantir une certaine sécurité . Et encore ! Car que se passerait-il si le « périmètre du bassin » n’était pas surveillé ? Rien que cela nécessitait une action publique.

 

 

***

 

 

 

L’eau pure ! La vie, au sens où nous la définissons, n’existe pas sans eau L’eau pure, elle, représente bien plus. Elle est innocence – et virginité –14 ; on s’y plonge, car on peut préférer mourir que de perdre cette pureté15 : elle est donc aussi la jeunesse16 .. et l’amour, l’amour rêvé17 . Y sont associés le printemps, la fraîcheur , l’éveil à la vie… et le renouveau : c’est le mythe de la fontaine de jouvence qu’étudie Gaston Bachelard. L’écoulement de l’eau est aussi un langage, celui de la poésie: « Il [le ruisseau] vous redira à chaque instant quelque beau mot tout rond qui roule sur les pierres»18 . L’innocence , la jeunesse , la poésie, l’amour … et, pour un homme, la femme ! Émile a soixante ans, il a une solide culture classique et il est depuis trois ans l’époux heureux d’une femme qui vit par et pour la poésie, Mary Robinson. L’eau pure pour lui, comme pour Bachelard, n’est pas seulement le H²O du chimiste, elle est aussi une image idéale de ce qui fait la poésie et la beauté de la vie.

 

 

L’amoureux de la nature, à défaut du poète qu’il admire en sa femme, ne veut pas imaginer, encore moins se résigner à un monde où l’eau pure n’est plus que le résultat d’une filtration que le chimiste n’a pas de mal à dominer, mais où le mythe n’est plus relié à aucune réalité :  « La source pure n’est plus qu’un idéal dont on cherche à se rapprocher », regrette -t-il.  Le scientifique en lui réagit. Comment agir pour que les sources soient pures ? Si Duclaux n’est pas loin d’abandonner dans le cas des villes, reste la campagne , le réservoir de cette ancienne culture rurale que les deux époux admirent. Peut-on espérer y être – et y demeurer – plus proche de l’idéal ?

 

Le problème de l’eau relève de la sécurité alimentaire. C’est aussi un problème écologique : le mot vient d’être inventé. Peut-on se contenter de dominer les moyens de rendre n’importe quelle eau potable sans se poser la question de ce qu’il y a à faire, en amont du traitement qui la rend telle : ce serait ne s’intéresser qu’à l’homme, et faire fi des paysages et de la nature dans laquelle il vit. .. Et comment « surveiller » les sources campagnardes ? Le problème, pour Duclaux comme pour sa femme, regarde la beauté du monde  . Aurait-il postérieurement posé le problème dans ces termes, nous ne le saurons pas

 

 

Mary, elle, peut se contenter de rêver l’eau : « les beaux damoiseaux , les belles demoiselles [qui cueillent des fleurs] au bord des eaux » ; elle peut se rêver « une source, jaillissant de la profondeur des montagnes, … une image dans la source »19 . Mary est poète ! La science, pour Émile, crée des obligations à celui qui la possède. Un scientifique a des devoirs vis à vis de ses concitoyens, quelles qu’en soient pour lui les conséquences . Duclaux, citoyen, a agi vigoureusement pour Dreyfus, conscient pourtant que cette action allait le séparer d’une partie de sa famille et des habitants de sa ville, Aurillac . Il se reconnaît aussi des devoirs vis à vis d’une contrée et d’un paysage qu’il aime, d’où, sur le plan économique, les travaux bien connus sur le lait et le fromage. D’où d’un point de vue écologique avant la lettre, l’étude sur les sources du Cantal.

 

Avant d’agir il faut connaître … et comprendre. Le directeur de l’Institut Pasteur est un citoyen responsable en même temps qu’un scientifique ; dans l’affaire Dreyfus il s’appuie sur une étude des documents, et lorsqu’il s’est prouvé à lui même qu’il a affaire à des faux, il agit… et publie. Le problème de l’eau potable est du même ordre.20 Comprendre, pour pouvoir agir de façon appropriée ! Et se rapprocher de l’idéal ! Idéal de vérité pour l’affaire Dreyfus. Une nature idéalement intacte dans le cas de l’eau. Comment Émile Duclaux pourrait-il deviner que cet article serait le dernier publié de son vivant ? Et que l’action ne pourrait pas suivre.

 

 

***

 

 

 

En notre bonne année 2014, où la pollution est industrielle, la question se pose, de savoir s’il  existe encore des lieux de nature impolluée,  et pas seulement d’eau pure. S’il en existe , que faire pour qu’ils le demeurent ? Les cent dix ans écoulés depuis la mort d’Émile paraissent n’avoir vu que l’aggravation de ces problèmes. Duclaux aurait-il pu agir ? Rien n’est moins sûr. Il me paraît pourtant certain qu’il aurait essayé, sans quoi les travaux sur « l’hydrographie souterraine » n’auraient guère eu de sens.

 

 

 

Émile Duclaux s’est voulu un acteur social ; ses travaux scientifiques et son action politique le prouvent : Dreyfus et la ligue des droits de l’homme, le lait, le fromage et d’une certaine façon l’alcool . Pour l’eau, malheureusement, il n’a pas eu le temps de l’être. Pourquoi ne pas lui rendre cette justice dans ce domaine qui est pour nous , aujourd’hui, primordial ?

 

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Jacqueline Bayard – Pierlot

 

Écrits sur l’eau

 

 

bibliographie et sources bibliographiques desdits écrits (quand elles sont citées)

 

 

1887 , Duclaux , sur la théorie des oscillations des eaux profondes, rôle de la capillarité dansle transport des bactéries, , in (Annales de l’I. P., revue critique, 1887/1, pp. 134

 

  1. journaux allemands : 2 articles : théorie des oscillations des eaux profondes ; la capillarité du sol dans les transport des bactéries ; discussion entre les deux auteurs concernés

 

 

1890 : Duclaux (Annales de l’I. P. 1890/01 p. 41 sq) Le filtrage des eaux : revue critique à partir de 10 articles :

 

  1. journaux français : les fontaines de Dijon ( (1862) ; problèmes de filtration des eaux ( 1872 [article de Duclaux in Annales de chimie -Physique ]. ] , 1881 ; l’alimentation de Zurich en eau ( annuel , 1885 -> 1888)

  2. journaux allemands : les germes dans les eaux de boisson … (s.d.) ; les eaux des conduites de Berlin (1887) ; principes de filtration (1887) ; hygiène dans l’alimentation en eau (1889) ; les filtres à sable de Zurich ( 1889) ; la sécurité des eaux de boisson à Berlin (1889)

 

 

1890, Duclaux , action de l’eau sur les bactéries pathogènes, ( Annales de l’I. P. sans plus de précisions , revue critique , p. 109) , revue à partir de 13 articles : 1866 → 1889

 

  1. journaux allemands : les bactéries dans l’eau : 8 articles (ou livres)

  2. journaux français : id : 2 articles (ou livres )

  3. journaux italiens : id. : 2 articles

  4. journaux anglais : id : 2 articles

 

1890 : Duclaux ( Annales de l’I. P. 1890/03 p. 172 sq) Sur les relations du sol et de l’eau qui le traverse : revue critique à partir de 18 articles

 

  1. journaux français : sujet non précisé :1853 ; id. 1854 ; Delesse , carte souterraine de Paris, 1857 ; Risler, bibliothèque universelle de Genève , 1869

  2. journaux allemands : sujet non précisé : 1860/61 ; cH. Von Kleber , circulation capillaire de l’eau dans le sol…, in Landw. Jahrbucher v Thiel, 1877 ; A. Lubenberg, sur l’état actuel de la physique du sol , in Forschungen auf agrikultur -Physik , 1878 ; Flege, sur un nouveau moyen d’évaluer la perméabilité des sols , ibid, 1880 ; Fodor, recherches hygiéniques sur l’air, le sel, et l’eau, 1882 ; Hoffmann, Nappe souterraine et humidité du sol , 1883 ; Welitschovsky, perméabilité du sol pour l’air .. et l’eau , 1884 ; influence de la composition du sol sur son pouvoir évaporant, 1884 ; la capacité pour l’eau des diverses espèces de terre , 1885 ; les rapports de porosité des sols , 1885 ; les oscillations de la nappe souterraine , 1885 ; le sol , 1887 ; sans titre , passim in une revue allemandes sur la biologie et l’hygiène

1890 Duclaux , sur les actions chimiques et microbiennes qui se produisent dans le sol, (Ann. Inst. Pasteur, 1890/14, p. 232 -245) : revue critique à partir de 15 articles

           

              1. journaux français : un de Duclaux , in Annales de chimie – Physique, XXV, 4è série, , 1859 :4 articles sans titre mentionné ; l’altération des cours d’eau et les moyens d’y porter remède ; commission technique de l’assainissement des eaux de Paris, 1883 ; rapport au sénat sur l’utilisation des eaux d’égout de Paris sur les terres agricoles…, 1888 ; le bacille typhique dans le sol , 1889 .

 

          2. journaux allemands : 1853 – 59 : 4 articles sans titre mentionné ; 1884 , l’épuration spontanée du sol : 1883 : les actions chimiques dans le sol et les les nappes souterraines.. ; l’influence du sol sur les bactéries pathogènes , 1886 ; bactéries et eaux profondes , 1886 ;

 

 

1891 Duclaux , Le filtrage des eaux de fleuve , in Ann. Inst. Pasteur, 1891/04 , pp. 257 – 267 revue critique à partir de 9 documents

 

  1. documents français : M. Belgrand , la Seine , Paris , 1872 ; températures de l’eau du fleuve à Toulouse , 1883 ; mémoire sur la filtration , 1890 ; amélioration et extension du service des eaux de Lyon , 1891 ; L’eau filtrée à Nantes, 1891

  2. documents allemands : nappes souterraines et humidité du sol , 1883 ; oscillations du niveau de la nappe souterraine , 1885 ; Soyka, le sol , s. d. ;

 

1892 Duclaux , sur la contamination des puits , in C. R. Ac. d. C. , 1892, CXXV, p. 913 : un article sur le même sujet figure dans la Revue d’hygiène et de police sanitaire, 1898, p.64

1894 Duclaux, la purification spontanée des eaux de fleuve , in Ann. Inst. Pasteur, 1894/2, p. 117 – 127 & 1894/03 , pp. 178 – 186 , revue et analyses : sources non citées en tête mais en note éventuellement/

1894, Duclaux , Moyens d’examen des eaux potables , , in Ann. Inst. Pasteur, 1894/ 07 revue critique p. 514 : pas de bibliographie en tête ; voir dans les notes

1894 , Duclaux, Rapport général sur les enquêtes concernant les eaux de source distribuéesà Paris , in Ann. Inst. Pasteur, 1894/ 12, pp. 316 – 322, revues et analyses ; sources non citées en tête mais en note éventuellement/

1898, Duclaux , contamination des puits , in Revue d’hygiène et de police sanitaire, 1898, p. 64

1900, Duclaux, Rapport général sur les enquêtes concernant les eaux de source distribuéesà Paris , in Ann. Inst. Pasteur, 1900, p. 816 – 822 ;revues et analyses ; sources non citées en tête mais en note éventuellement/

1901 , Duclaux, Eaux de sources , inRevue d’hygiène et de police sanitaire, 1901, p. 298  & 334

1903 , Duclaux, Études d’hydrographies souterraines , in Ann. Inst. Pasteur, 1903/08 , pp. 523 – 539 & 640 – 664

 

Notes

 

1 Annales de l’Institut Pasteur, 1903/08, pp. 523 – 539 ; ibid. 1903/10, pp. 640 – 664 ; ibid. 1903/12, pp. 857 – 861

2 Voir Rapport général sur les enquêtes concernant les eaux de source distribuées à Paris, in Annales de l’lnstitut Pasteur, 1900, p. 816 ; Un certain nombre d’articles de Duclaux et un livre concernent le problème des eaux potables : voir entre autres L’hygiène sociale , Paris, 1902 et de nombreux articles antérieurs entre 1890 et 1900: contamination des puits, filtrage des eaux, relations du sol et de l’eau qui le traverse, filtrage des eaux de fleuve, examen des eaux potables ; voir Biographie d’Émile Duclaux , rediffusé par l’institut Pasteur , Charaire , Sceaux, 1904, p. 28

3 Voir article sur le sujet ici même (www.le-petit-orme.fr)

4 Polytechnicien (X1829), ingénieur général des Ponts et Chaussées, élu membre libre de l’Académie des sciences en 1871, Eugène Belgrand participe à la rénovation de Paris dirigée par le Baron Haussmann, entre 1852 et 1870,

5 Jusqu’à une vingtaine de documents, articles et livres, par critique

6 Duclaux lui même fait remarquer l’importance des publications allemandes ; il est évident que , sur ce point, les allemands semblent en avance.

 

7 Fermes d’été dans la montagne

8 De toutes celles que Duclaux a étudiées, la moitié peut être seulement se repère encore sur le terrain.

L’auteur de ces lignes a fait analyser en 2012 l’eau de la source captée par Émile Duclaux pour la maison et le laboratoire d’Olmet ; cette eau est polluée, que Duclaux a analysée dans les années 1900 et qu’il déclarait « plus pure que l’eau d’Evian »

10 Pour Duclaux y on trouve la principale origine possible de pollution : les maladies transmissibles sur lesquelles l’Institut Pasteur travaille ; il n’envisage pas la pollution industrielle des sols, alors relativement localisée

11 Études d’hydrographies souterraines , voir bibliographie infra

 

10 The fields of France, a farm in the Cantal, pp. 28 sq.

11 Études d’hydrographies souterraines , p. 539

12 St Pol Roux , la carafe d’eau, 1889

13 Paul Valéry, Cantate du Narcisse, 1941

14  André Chénier, Bucoliques, Hylas

15  Baudelaire , le jet d’eau

16  Bachelard , L’eau et les rêves , p. 262

17 A handfull of honeysuckle : dans le jardin d’Apollon ; Images and meditations : the mirror and the well

18  Il serait intéressant d’étudier aussi le problème de l’alcool sous cet angle.

 

Les eaux du village et de la maison – Présentation du problème

Quand Émile Duclaux achète la propriété d’Olmet , une des raisons de son choix – et peut être la plus importante – est l’abondance des eaux de source qui arrivent dans la propriété . Il veut les utiliser pour son laboratoire , comme il l’a fait précédemment dans la maison qu’il louait au Fau , près de Marmanhac.

Mais il a compté sans la crainte , voire l’opposition des gens du village , pour lesquels l’eau est vitale : elle sert non seulement aux usages domestiques mais aussi à l’arrosage des potagers et vergers , et, plus loin, des prés où paissent les vaches et dont on récolte le foin indispensable pour l’hiver . Toucher à l’eau c’est toucher aux fondements de l’économie du village . Continuer la lecture de Les eaux du village et de la maison – Présentation du problème

Histoire d’eaux (commentaires)

Ceci est une petite histoire de partage des sources ; elle se passe dans un village auvergnat ressemblant à beaucoup d’autres, en cette fin du XIX ème siècle où les collectivités locales ne prennent pas encore en charge la distribution de l’eau . Les habitants l’assurent « depuis des siècles », comme dit un des acteurs, grâce à des captages collectifs et à des canaux ou canalisations soigneusement entretenus. Les protagonistes représentent les classes sociales traditionnelles, bourgeois propriétaires des terres et leurs fermiers, face à un membre de la classe montante, un intellectuel, né pourtant non loin de chez eux, mais dont ils arrivent difficilement à comprendre les motivations. Elle montre à quel point ce problème est sensible et touche profondément l’économie du village. Continuer la lecture de Histoire d’eaux (commentaires)

Chronologie historique

    Les eaux d’Olmet

  • 1658
    Mention d’une « transaction » de cette date dans le document suivant
  • 1810
    Document n° 1 : archives d’Olmet
    Titre : Eaux à prendre dans le pré de Manhes (transaction du 12 mars 1810 )
  • 1892 – 1898
    Documents n° 2 : archives d’Olmet
    Étude des correspondances et factures de ces dates (archives d’Olmet conservées par Émile Duclaux)
    1892 :
    Lettre : le vendeur de la propriété, Monsieur Pagès, s’engage à mener « à bonne fin » et à « surveiller » « le travail de la conduite des eaux »
    1893 :
    – Échange de correspondances concernant le problème des eaux entre :
    Antoine Bois , entrepreneur « plomberie, canalisations et fontaines » à Aurillac
    F. Mabit , notaire à vic sur Cère
    M. Guibal , propriétaire à Olmet
    Émile Pagès , vendeur de la propriété
    Émile Lemaigre , architecte , chargé des travaux
    Documents joints :
    – Architecte : plan du château d’eau et des canalisations afférentes
    – Factures de Bois
    – Facture de Alfred Polino et Lucien Caillar , Paris, pour un réservoir de distribution d’eau en tôle , avec séparation dans le milieu » , facturée au laboratoire d’Olmet
    – Lettre d’Émile Pagès : première mention des « travaux de la fontaine » avec une facture de 250 francs
    – Convention écrite : mention d’une telle convention [de partage des eaux] , « datant de plus d’un siècle » dans une lettre de M. Guibal, du 21 mars 1893. L’acte en question a été examiné par Maître Mabit , notaire « et « plusieurs avocats » : tous sont formels : la convention est exécutoire.
    – Bassin [de répartition ] : mention d’un tel bassin d’où part une canalisation qui amène l’eau du bassin au « pré des lignes »
    – Château d’eau : première mention d’une telle construction dans une lettre d’Émile Pagès à Émile Duclaux , du 4 juillet 1893. Duclaux veut en faire construire un à la place des « bacs qui sont actuellement devant la maison de maître et Pagès prétend qu’il n’en a pas le droit selon l’acte de vente. Le château d’eau est « commandé » , avec « socle » et « cuve en tôle » pour le partage des eaux » (lettre de l’architecte , 10 juillet 1893 )

    1894 :
    – Ministère de l’Agriculture : Maintien d’une subvention au « laboratoire d’Olmet » autorisant les recherches sur « le régime des eaux souterraines et sources du plateau du Cantal »
    – Fontaine de rocaille
    – Première mention de la « rocaille » : facture d’un entrepreneur de Volvic pour « un wagon de rocaille » lettre de l’architecte sur l’exécution de la rocaille
    – Plomberie
    – Facture de Bois pour les travaux du réservoir » (deux factures)
    – Facture anonyme : branchement d’eau pour le laboratoire et la maison.
    1898 :
    – Facture de Canier frères, travaux publics , Aurillac , pour établissement de bassins et regards

Problèmes d’eau : présentation des documents relevant de l’achat par Émile Duclaux

Les problèmes d’eau

1892 :

  • Lettre de Mme Pagès, née De Rouget au nom de son mari , Vic, 4 décembre problème des eaux : analyse de la fontaine de St Julien : « Nous avons fait part au propriétaire des eaux de Saint Julien du résultat de votre analyse ; il vous remercie sincèrement, et, suivant votre avis, s’en tiendra là.
    Monsieur Pagès fera tout ce qui dépendra de lui pour mener à bonne fin le travail de la conduite des eaux. Il s’entendra avec Monsieur Bois au sujet de l’affaire à régler avec M. Guibal et surveillera le tout de son mieux. »

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