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In memoriam II

Germaine A. D. 1885 – 1965

Enfance, jeunesse et mariage

Paul Appell

Alexandre Bertrand

 

Germaine et sa sœur Marguerite ont une jeunesse heureuse, aussi libre que le permet l’époque. Elles vivent au sein du milieu parisien le plus intellectuel et en recueillent les fruits.  Elles courent aussi sur la terrasse de Saint Germain en Laye, sur lestoits du musée d’archéologie nationale[i] et, parfois, dans les jardins alsaciens du Klingenthal ; Marguerite se souvenait avec une affection mélancolique de toutes les bêtises qu’elles avaient faites, sous l’impulsion de Germaine si on l’en croit.

Toutes deux reçoivent la meilleure éducation que la bonne société réserve alors aux filles : celle des religieuses. Je me suis toujours demandé pourquoi Paul Appell – et accessoirement Alexandre Bertrand – tous deux agnostiques convaincus et fermes dreyfusards, n’avaient pas autorisé leur filles et petites-filles à entrer dans l’enseignement public [ii] ? Est-ce l’influence d’Amélie Bertrand, qui n’était pas plus croyante que son père ou son mari mais probablement plus sensible aux réactions possibles de l’opinion bourgeoise ? Ou plus simplement le même type de comportement qui conduit aujourd’hui de parfaits athées à délaisser le collège du secteur (mal fréquenté !) pour l’établissement religieux du coin. On ne le saura pas.     Toutes choses égales, le premier résultat pour Germaine fut un solide athéisme acquis dès l’enfance :  entre autres, elle ne pardonna jamais l’affirmation d’une de ses éducatrices, selon laquelle son père adoré mais peu versé dans le catholicisme, finirait en enfer. Etait-ce le but poursuivi par la famille ? Ou simplement une ferme confiance dans le bon sens des deux jeunes filles qui refuseraient ce qui dans le conservatisme religieux de l’époque était inacceptable.

Le deuxième résultat, positif celui-là, fut la réussite au certificat de fin d’études secondaires auquel le pensionnat accepta de la présenter, et qu’elle put plus tard, avec beaucoup de travail, transformer en baccalauréat.

 

La suite logique est le mariage.   Pourquoi marier si jeune une jeune fille si peu mûre ? C’est ce que se demande Taine dans Thomas Graindorge, avec un certain humour ; la famille lisait Taine, mais de là à suivre ses suggestions !  Quelques mots échappés à Marguerite après la mort de sa sœur me laissent penser que ses parents espéraient par ce moyen calmer les manifestations d’une adolescence trop turbulente : ce que faisait la bourgeoisie du XIX é en envoyant ses fils faire « le grand tour » avant de pouvoir les « ranger » dans un bon métier ; ce qu’elle fait aujourd’hui en leur trouvant un stage à l’étranger ; toutes choses difficiles en 1890 s’agissant d’une fille. La méthode fut-elle efficace ? Dans l’immédiat, oui. Par la suite, c’est moins sûr.

 

Il s’agissait d’un bon mariage selon les normes bourgeoises, entre deux familles d’intellectuels de haut vol et deux provinces françaises.

De son côté à elle, l’Alsace, un père mathématicien né à Strasbourg, Paul Appell, élevé dans la résistance à l’occupant allemand, fondateur du Secours national (1914), enseignant-chercheur dont la carrière brillante se termina comme recteur de l’académie de Paris où il fonda la Cité Universitaire ; et une mère Amélie Bertrand, dont le père était le premier directeur du Musée de Saint Germain en Laye et la mère, Amélie Levy,  petite fille d’un grand rabbin.

De son coté à lui, l’Auvergne, un père chimiste né à Aurillac d’une famille petite bourgeoise, Emile Duclaux, élève de Pasteur, fondateur et premier directeur de l’Institut du même nom, époux en secondes noces de Mary Robinson, poétesse anglaise ; et une mère, Mathilde Briot, fille du mathématicien Charles Briot et de Laure Martin, qui éleva les deux fils orphelins.

Les deux familles vivent à Paris ou en région parisienne, les deux restent fidèles à leurs racines provinciales, malgré les divergences politiques ; les deux sont engagées dans le mouvement dreyfusard et les deux font face aux problèmes que cet engagement engendre. Elles évoluent dans des cercles différents, mais qui se recoupent. Leur entourage compte des hommes – et des femmes –  parmi les plus brillants de la République, les Curie[iii], Blum, Poincaré, Hermite, Borel, Perrin, Paul Dujardin, etc.

Le lecteur parlera peut-être d’endogamie ! Certes. Il n’y a rien là que de coutumier dans la France des XIX è et XX è siècle, les commerçants aussi se marient entre eux, voyez Labiche, et si dans les comédies les histoires se terminent bien, ce n’est pas toujours le cas dans le réel.

Jacques Duclaux

 

Germaine était certainement d’accord pour cette union ; ses parents ne l’auraient jamais contrainte, peut-être y voyait-elle une certaine forme de la liberté qu’elle cherchait ; Jacques, son futur époux, était un libéral, passionné par son travail et peu suspect de tendances autoritaires ; de plus c’était plutôt un beau garçon et un compagnon très amusant. Pour ce qu’elle savait du mariage, tout cela se présentait sous d’heureux auspices. Mais elle ne savait rien du mariage…

 

Tous deux étaient inexpérimentés, ignares sur les questions sexuelles : normal pour l’épouse qui, comme ses compagnes, ne reçut de sa mère comme viatique que le fameux : « ne t’inquiète pas, ma chérie, et fais ce que ton mari te demandera » ; moins pour l’époux, que je soupçonne d’avoir été plus porté sur la recherche en laboratoire que sur les expérimentations amoureuses. D’une discussion que j’eus avec lui, non sur les questions de sexe – je n’aurais jamais osé ! – mais à propos de Freud que je découvrais à l’époque, j’ai retenu la proposition suivante : « Balivernes que tout cela ! Tout se ramène à des questions d’estomac » ; il eut surement ajouté « sexe », il n’était pas prude, s’il avait eu en face de lui son petit-fils. Mais c’était sa petite-fille et elle avait vingt ans ! Autrement dit pour lui la nourriture – et le sexe –   étaient des pulsions primitives qui ne pouvaient – ne devaient – pas dépasser le niveau de la ceinture et n’étaient pas un objet sérieux d’études psychologiques ou philosophiques.

 

Avec ce niveau de réflexion chez l’époux nul ne s’étonnera que la nuit de noces dans le wagon-lit qui emmenait le jeune couple vers les lacs italiens (but d’une originalité remarquable !) fut une catastrophe. Et ce d’après les propres dires de l’épouse, qui me l’a avoué. La seule chose qu’elle ajouta jamais sur le sujet fut qu’elle ne comprenait pas comment il avait réussi à lui faire trois enfants. Là elle exagérait – elle était tout de même médecin – mais cette exagération en soi est significative. Seule la guerre de 1914 mit un terme aux naissances successives, trois enfants follement aimés mais non désirés.

 

Une union née sous de tels auspices a peu de chances d‘être pérenne… et ne le fut pas. Elle se termina par un divorce en 1936, demandé et obtenu d’un commun accord, dès que les deux filles furent mariées et que le dernier des enfants, un fils, Jean Duclaux, fut assez adulte pour supporter ce que ses père et mère pensaient devoir être un choc, et qui le fut. Les trois se souvenaient de parents qui vivaient chacun de leur côté, et ne se retrouvaient que pour les repas qu’ils animaient d’anecdotes et de réflexions brillantes, discussions que leurs enfants regrettaient encore, des années plus tard.

 

La bourgeoisie intellectuelle de l’époque ne s’interdisait pas le divorce, elle essayait de l’éviter : pour des raisons pratiques, la procédure étant longue, couteuse et désagréable ; pour des raisons d’image, la génération précédente, si agnostique fut-elle, n’approuvant pas, et la province étant totalement hostile. Il était tellement plus facile de mener sa vie chacun de son côté, chacun des deux reconnaissant à l’autre le droit d’avoir les relations qu’il voulait, à une condition et une seule : qu’il fut possible  de paraître ne  pas s’en apercevoir. C’est   ainsi que vécut la sœur de Germaine, Marguerite (Camille Marbo, présidente du jury Femina), mariée au mathématicien    Emile Borel, dont les noces d’or furent célébrées à la maison de l’Amérique latine, en présence du tout Paris qui dirige et qui pense.  Divorcer était renoncer à la reconnaissance sociale : rester ensemble est une belle hypocrisie certes, mais qui traduit aussi une autre échelle de valeurs, où ce que chacun doit au groupe passe avant la liberté individuelle.

A condition que cela soit possible, à condition que les divergences se résument à la sexualité, et que le vivre ensemble demeure agréable – et utile – à l’un et à l’autre : ce qui n’est pas le cas, semble-t-il, de Jacques et de Germaine.  Nous en resterons au divorce à responsabilités partagées, ce qu’il fut, en fait sinon en droit.

 

D’après sa sœur, Germaine, enfant, était entière et violente, une révoltée qui entrainait ses amis dans des aventures risquées, une volontaire qui admirait l’action et ceux qui agissent : assez admirative peut être pour agir d’abord et réfléchir ensuite. Suffisamment ambitieuse pour vouloir réussir dans un métier qui lui plairait, elle ne l’était pas assez pour y sacrifier d’autres plaisirs. Assez intelligente pour reconnaître et tirer parti de ses erreurs, elle était hypersensible et artiste, toujours guidée dans ses choix par un bon gout sans failles, qu’elle tenta de transmettre à sa petite fille bien aimée, en l’occurrence l’auteur de ces lignes.

Jacques, lui, était un calme, plutôt conservateur, dont les seuls penchants artistiques concernaient la photographie, que lui-même d’ailleurs n’eut jamais considéré comme un art. Il n’avait aucune ambition personnelle, sinon celle de pouvoir pratiquer le métier qu’il aimait ; il m’a un jour expliqué qu’il faisait partie des « chanceux » qui aimaient partir au travail, parce qu’ils faisaient ce qui les « amusait » ; il eut pu ajouter « ce qui les conduisait à une réussite », mais cela ne l’intéressait pas vraiment, la réussite lui est venue parce qu’il était vraiment excellent et parce que la famille s’en est mêlée. Moyennant quoi il se contentait d’un confort succinct, se moquait éperdument du décor des lieux où il vivait, ne recherchait ni l’argent ni le pouvoir et ne s’intéressait à rien autre qu’à la recherche et à la pensée scientifiques :  à cent ans il écrivait encore des comptes rendus caustiques pour les revues académiques. Il n’allait ni au concert ni au théâtre, ne pratiquait aucun sport, sauf l’alpinisme et la marche ; dans le genre ours on n’eut pas fait mieux s’il n’avait pas été sauvé par un humour qui l’accompagna jusqu’à son dernier jour et faisait de lui, même pour les jeunes gens irrespectueux que nous étions, une relation fort agréable.

Jacques et Germaine n’avaient en fait que deux points en commun : la reconnaissance et le respect mutuel, et l’amour de leurs enfants : ce qui peut suffire à sceller un couple. A une condition : qu’aucun des deux n’ait envie d’autre chose.

Notes

[i] Ce qui valut au conservateur une intervention de la gendarmerie nationale ! L’histoire fait partie des annales familiales

[ii] la loi Camille Sée du 21 décembre 1880 institue les Lycées de jeunes filles.

[iii] Marie Curie avait été l’élève de Paul Appell, membre fondateur de l’Institut Curie ; elle écrivit une nécrologie de Paul Appell : Fondation Curie, P. U. F. , Paris, 6 p.. Correspondance avec Marie Curie, carte de remerciements signée de Germaine A. D. : archives du Musée Curie, AIR.LC.MC/ Pièce 2910 in http://www.calames.abes.fr/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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