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Biographie de Mary Duclaux – D’une rive l’autre – Chapitre 2

Une jeunesse italienne

Après avoir été anglaise, on ne peut plus anglaise au temps de Victoria, avant d’être française jusqu’à sa mort à Aurillac, Cantal, par la vertu de deux mariages successifs, Mary fut italienne , par vocation d’abord , par amour ensuite .Cette période florentine de l’apprentissage fut maintenue dans l’ombre à partir de son premier mariage , mais jamais oubliée. Elle peut être placée sous le patronage de Vernon Lee, personnage essentiel de cette partie de l’histoire, et la direction de John Addington Symonds, qui la conduira avec plus de précision que ne l’a jamais fait Browning.

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L’Italie, Florence ! Mary y vient d’abord avec sa mère et sa sœur. Comme les artistes du Nord, peintres, écrivains ou poètes qui l’ont précédée – et suivie – elle reçoit le choc d’un paysage et d’une culture : couleurs, senteurs, hommes et femmes si différents, physiquement et intellectuellement, de ceux de l’Angleterre victorienne. Vernon, qui survient alors, lui ouvre un monde. Elle a un an de plus que Mary, mais son expérience est plus riche, son indépendance plus réelle, son niveau de réflexion supérieur . A Florence Vernon a voulu vivre, mourir et être ensevelie ; à la cité florentine elle a laissé tout ce qu’elle avait rassemblé dans la villa Palmerini .(47) Bien plus qu’à tous les autres anglais qui séjournent alors en Toscane, elle en offre les splendeurs à son amie. Si leur âge ne peut pas permettre de parler d’apprentissage, la notion de guidance est sans doute valable ; l’Italie était le pays choisi par Vernon, Florence était sa ville , Vernon ouvrit les portes. Et Mary y trouva une sorte de guérison et la force de franchir le passage difficile entre l’adolescence et l’âge adulte.

Florence dans la seconde moitié du XIXe siècle ! Une ville cosmopolite , où les grandes familles italiennes et les anglo-américains tiennent le haut du pavé ? Outre la beauté des paysages et les traces omniprésentes du moyen âge et de la renaissance , y dominent celles du Risorgimento et des libertés politiques tout récemment acquises . En 1870 les troupes italiennes sont entrées dans Rome malgré Pie IX et , le mois suivant, les romains ont voté leur rattachement au royaume d’Italie . En 1871 Rome est devenue capitale du royaume et le 2 juillet 1871 Victor Emmanuel II est entré triomphalement dans la Ville ? Le rêve de Garibaldi, de Cavour et des Rossetti est enfin réalisé .

Mary , comme bien d’autres jeunes anglais –et anglaises – a été élevée dans l’amour de la liberté et l’admiration de ceux qui vouent leur existence à sa conquête , qu’ils soient carbonari ou partisans du Sinn Fein. Florence , comme les autres villes de l’Italie du Nord, symbolise l’esprit démocratique, que les jeunes étrangers attribuent aux cités indépendantes du quattrocento . Ils y aiment la liberté de parole dont sait user.

le peuple , loin de la hiérarchie pesante des démocraties du nord . « L’idéal de la résidence florentine était la maison d’Elisabeth Browning , située entre les vieux palais et les maisons surpeuplées de la classe ouvrière » : on y est en effet à la charnière entre la beauté de l’histoire et celle du peuple victorieux .Quand Mary arrive à Florence , Élisabeth est morte et son vieux mari, rencontré sur les flots démontés du channel, vit à Londres : cela n’empêchera pas Mary de faire des pèlerinages à la casa Guidi , où Élisabeth a écrit un poème socialisant [casa Guidi windows] , pour lequel , bien plus tard, Mary écrira une préface.

« La Florence britannique, objectivement définie dans la deuxième moitié du XIXe siècle, est caractérisée par une notion synchronique de l’histoire .., qui se clôt par une sorte d’identification avec l’esprit du moyen âge et de la première Renaissance (48) ». L’idée d’identification, est sans doute trop forte, je dirais plutôt une volonté de connaître et d’absorber. Les poèmes des préraphaélites renferment une abondance d’images qui renvoient à la Renaissance Florentine ; ceux de Mary de même. D’innombrables anglais passent alors par Florence ; beaucoup y fixent leur résidence (49) . De nombreux artistes anglo-saxons y font des séjours d’étude plus ou moins longs : Charles Fairfax Murray, par exemple, peintre connoisseur, collector and dealer (1849-1919) , qui fut l’assistant de Burne Jones en 1866, de Ruskin en 1871,, puis de Morris et de Rossetti ; Hunt et Spencer Stanhope passent par la ville ; John Singer Sargent, le portraitiste de Vernon et de Mary, y est né. Mary succédait, une dizaine d’années plus tard , à toute cette brochette d’artistes, dont beaucoup avaient fréquenté le salon de Gower street ; elle était en pays connu.

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Se développer contre tous , avait dit Robert Browning. C’est ce que Mary n’allait pas tarder à faire , en Toscane et à Venise, sous la houlette de Vernon et avec l’aide de celui qu’elle reconnut comme son premier maître , John Addington Symonds (50) .

John Addington Symonds était un historien connu, critique d’art, et… homosexuel notoire , bien que marié et père de famille : nous sommes dans l’Angleterre d’Oscar Wilde . Plutôt qu’à Florence, Symonds vivait la plupart du temps entre Venise et sa maison de Davos en Suisse . Il habita longtemps avec un beau gondolier vénitien, peu porté sur les arts ; à côté de lui John A. Symonds eut donc beaucoup de jeunes élèves , hommes et femmes, débutants qu’il était toujours prêt à aider. La sœur du président de la Royal Academy de Londres, Frances Poynter, romancière et correspondante régulière de Symonds , les mit en contact en 1880 . Mary avait alors 23 ans. Ils entretinrent une abondante correspondance , qui dura jusqu’à la mort de l’écrivain en 1893.

« Avec la ravissante jeune poétesse-romancière, (51) Agnes Mary Robinson, il maintint une importante correspondance , analysant son travail en détails, nous dit Phyllis Grosskurth, biographe de Symonds. Il éprouvait tant d’enthousiasme pour ses poèmes sur la vie paysanne , The new Arcadia, qu’il suggéra, suprême compliment, d’en faire l’envoi à Walt Whitman. Quand le recueil reçut une mauvaise critique dans le Spectator, il envoya immédiatement une lettre de réconfort », lui suggérant d’abandonner un milieu mondain trop cruel et de « vivre pour un temps quelque part loin des hommes et des femmes intelligents », ce qui recouvrait sans doute un jugement peu amène sur Vernon Lee, avec qui Mary résidait alors. « J. A. Symonds] semble avoir été plus qu’un peu amoureux de la très excitante Miss Robinson , qui avait seize ans de moins que lui » Il ne s’intéressait pourtant guère aux femmes.. Deux d’entre elles seulement semblent avoir exercé sur lui une certaine attirance : la nièce d’un hôtelier rencontrée à Davos .. et Agnes Mary Robinson : toutes deux étaient blondes , toutes deux étaient ravissantes , toutes deux lui rappelaient sa mère . Mais il ne pouvait être question d’épouser une petite bourgeoise suisse, et il était déjà marié quand il rencontra Mary.

Il fut rapidement en rivalité avec Vernon ; quand il lui écrit, c’est pour lui dire tout le bien qu’il pense de Mary – et , accessoirement , tout le mal qu’il pense d’elle _ : « Je n’ai jamais rencontré un esprit plus beau ni plus agréable [que celui de Mary] ; et ajoutez y son intelligence … » Il est aux petits soins pour Mary : il fait à sa demande ce qu’il refuse de faire pour d’autres, des lettres de recommandation en faveur de gens qu’il n’apprécie pasl : Vernon Lee et son frère, Edward Lee Hamilton ; il supplie Mary de lui rendre visite à Venise ou à Davos, ce qu’elle finit par faire . Quelle que fut sa [supposée] jalousie pourtant, il ne cessa jamais de l’aider et de suivre son travail , ce dont elle lui fut toujours reconnaissante : trente ans plus tard elle en parlait encore à Maurice Barrès. Il est, comme le dit la préface de The end of the middle age , son maître et elle l’avoue comme tel :

« Je vous envoie un petit livre – !! le « petit » livre fait 896 pages -, cher Maître, … Quand je regarde en arrière je vous vois à mes côtés pour toutes mes recherches ; ces dix dernières années il n’y en a aucune qui ne vous ait été confiée, et surtout tous mes rêves d’histoire. … Du présent volume nous avons tellement parlé dans votre bureau à Davos , il y a deux ans. …Nous évoquions les grandes figures du Passé .. et elles renaissaient pour moi »

Les échanges portent essentiellement sur les questions d’écriture, mais pas seulement . L’un et l’autre sont parfaitement conscients du problème posé par leurs amours . Les poésies de Mary peuvent , à la rigueur , passer pour être dédiées à un homme et elle ne semble pas avoir eu la moindre difficulté à ce sujet. Les poèmes de Symonds , surtout dans dans Vagabundi libellus, peuvent plus difficilement faire illusion , Mary s’en est rendu compte et l’a mis en garde : personne ne croira , lui dit-elle , ce que dit la préface , assavoir qu’il s’agit d’expériences imaginaires ; ce à quoi il répond en faisant semblant de ne pas comprendre : « Stella ( l’héroïne) n’a jamais existé , sauf dans ma tête, et je n’ai jamais fait ce type d’expérience avec une femme » Eh oui, justement !!! Contrairement à ce qu’elle essaiera de faire croire plus tard , Mary n’est pas une oie blanche : on s’en serait douté.

Tel fut le premier maître de Mary, après Browning et Walter Peter . Les deux derniers cités l’encouragèrent , lui firent entrevoir ses possibilités et lui insufflèrent du courage . Seul Symonds lui vint concrètement en aide , avec constance et dans la durée . En tout désintéressement aussi, quoi que suggère sa biographe, et en toute lucidité . Dans le monde victorien cette lucidité n’est pas rare, Symonds était bien placé pour connaître les contraintes de cette société, il a semble-t-il eu l’honnêteté de ne rien dissimuler , d’ accepter Mary telle qu’elle était et comme il s’acceptait lui même.

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Vernon Lee est le deuxième personnage clé des années italiennes.

Violet Paget, dite Vernon Lee, est née en 1855, près de Boulogne, en France, et morte en 1935 à Florence (52) . Issue d’une famille anglaise cosmopolite qui vivait entre l’Angleterre, la France, l’Allemagne et l’Italie , elle fut élevée avec son frère Eugène par sa mère et des gouvernante généralement allemandes ; elle parlait et écrivait anglais, français, italien et allemand. Son premier ouvrage, écrit en français, fut publié quand elle avait 14 ans. (53) . Elle fixa son séjour à Florence où sa famille s’était installée dès 1873 , s’installa en 1889 dans la villa Il Palmerino, sur la colline de Settignano au dessus de la ville, villa qu’elle acheta en 1906. Elle y recevait la société florentine et anglaise, sans compter la colonie internationale . Elle publia plus de quarante ouvrages, essais sur l’esthétique, la musique, la littérature, les problèmes de société,… En général elle passait l’hiver à Florence, et voyageait en Europe le reste de l’année. (54)

Son influence sur la vie littéraire et les salons de l’époque fut grande ; comme Mary elle fréquenta les vedettes du préraphaélisme : Dante Gabriel Rossetti, Walter Pater, William Morris, Burnes Jones, etc. Robert Browning fut son ami de toute une vie, comme il fut celui de Mary Robinson .(55) Comme Mary, et de façon bien plus offensive qu’elle, elle conduisit une carrière littéraire très organisée jusqu’à sa mort solitaire.

Les deux futures amies se rencontrent en 1880 à Florence ; elles ont 23 et 24 ans et vivent dans la maison Paget que Mary décrit ainsi : « Elle donnait sur le canal Mugnone, qui , je crois , a depuis été recouvert et planté en jardin… ; seul le plus fin des voiles me sépare de cet après midi de septembre 1880 ; je revois la lumière froide venue du nord qui éclairait cet appartement florentin ; … je peux voir le sol brillant de pierre polie, une mosaïque de marbre, des sièges et tables noirs sculptés, .. les roses dans les vieux pots peints… : devant moi une jeune fille un peu plus âgée que moi d’environ 23 ans . Elle a de beaux cheveux blonds, de bienveillants yeux gris-vert qui brillaient à travers d’énormes lunettes rondes, à la mode du dix-huitième siècle. Je peux voir la haute colonne de son cou, … et tout spécialement ses mains effilées aux doigts retroussés sortant d’une blouse amidonnée… Elle semblait en même temps audacieuse, raffinée, raisonneuse , … et timide. C’était Miss Paget (Vernon Lee) »(56) Devant un souvenir d’une telle précision des dizaines d’années plus tard, est-il excessif de parler de « coup de foudre » ?

Il n’ y avait certainement pas de maison plus agréable – et plus utile – pour un séjour italien que la casa Paget. « Du matin au soir, nous ne paraissions exister que pour nous communiquer nos idées sur les choses.. Un peu après dix heures la voiture était devant la porte ; Madame Paget s’asseyait aux côtés d’Eugène (57) ; Violette ou moi en face ; celle qui était éliminée s’asseyait à coté de Beppo, le pompeux cocher toscan … Je n’oublierai jamais ces promenades matinales sur tous les chemins et routes de campagne autour de Florence ; sur les rives du petit Affrico , où il y a des sentiers venteux et des vallées vertes comme en Europe du Nord ; et le long de l’Arno au-delà des Cascine (hameaux !) où nous autres jeunes filles nous emplissions les bras de myosotis. » (58) . Les promenades – et les hommes . « Dans la maison Paget j’ai appris la diversité de la nature humaine . Combien d’hommes et de femmes , de tous types, caractères et nationalités » Et de citer des irlandais , des russes, des espagnols, un turc ( !) [Musurus Bey, nous lisions ensemble Sophocle] , des français, bien sur , dont Paul Bourget, et des anglais : « Je pense que la Casa Paget doit avoir été un salon » . Certes ! Un salon : encore plus international que celui de son père et bien plus libre car en terre étrangère. Quel meilleur champ d’expériences , dans tous les sens du terme .

La complicité intellectuelle entre les deux femmes est évidente . Mary dédie à Vernon The new Arcadia en 1886 et, après leur séparation, The French procession , en 1909 . Belcaro, écrit par Vernon en 1881 et dédié à Mary Robinson, donne un exemple de cette complicité : le neuvième article y rapporte une discussion tenue sur les collines de Florence par un certain Cyril et un certain Baldwin, transparents représentants des deux jeunes femmes. Le thème en est le rôle de la poésie : l’un (Mary) y renonce parce qu’il ne croit plus qu’elle puisse transformer le monde et l’autre (Vernon) l’encense parce qu’elle est source de bonheur . La discussion s’organise autour d’un des poèmes de Mary, God sent a poet to reform His earth, extrait de A handful of honeysuckle . Il dut y avoir quantité de discussions semblables sur les sentiers toscans.

L’esthétique de Vernon est fondée sur la liberté d’interprétation, la valeur parfaite de l’instant , la sincérité de l’émotion : comment sentir la perfection d’un paysage ou d’une œuvre d’art, c’est ce qu’elle va enseigner à Mary. Tout est beauté, « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent », dit Baudelaire et Vernon écrit : « … [la musique .. de Vivarelli] a une beauté si dominante, si essentielle qu’elle porte avec elle comme l’expression d’un jour et d’un paysage parfait,…une certitude paisible de félicité éveillée, .. un rêve de perfectibilité.. » (59) . Le sentiment de la beauté est personnel, chacun doit pouvoir le découvrir. Vernon l’a nommé the lie of the land (60): « ce je ne sais quoi qui constitue le paysage réel, individuel – le paysage qu’on voit avec les yeux du corps et ceux de l’esprit, le paysage qui ne se laisse pas décrire… Il n’y a pas de mot ou de phrase pour le désigner et j’ai dû l’appeler, faute de mieux, « the lie of the land »… Les rapports de lignes visibles défient l’expression … aucun poète ne peut vous donner.

l’inclinaison d’un champ, le tournant d’une route. Pourtant ce sont les éléments d’un paysage qui constituent son individualité et touchent plus profondément notre sensibilité. » (61)

L’apprentissage du regard, le contrôle des sentiments, le refus de tout romantisme, le rejet de la fioriture, l’effort pour exprimer la sensation pure, et surtout la liberté, c’est ce que Vernon a pu apporter à Mary. La jeune femme n’est encore que poète, l’historienne est en gestation, la critique n’est pas encore advenue . Mais les leçons portent : le deuxième et le troisième recueil publiés par Miss Robinson sont bien supérieurs au premier, ils ne cèdent plus à la facilité, s’éloignent des modes et mythes préraphaélites et ont un accent plus personnel. Tous deux contiennent des poèmes d’amour de dates diverses. Dans le second quelques uns, les plus rares, sont de la même veine que celle du premier : préraphaélites comme le dit Mary elle-même . Les plus nombreux sont l’œuvre d’une femme faite, qui a dépassé les émois de la jeune fille et réfléchi sur la vie ; une femme qui a écrit la biographie d’Emily Brontë (1883) et fait ainsi un gros travail de recherche et de réflexion sur le sort des femmes, donc sur elle même) (62) . L’écriture reflète cette expérience. John Addington Symonds lui a appris le métier, Vernon a fait de l’adolescente une femme et cette femme est un écrivain.

Elles vécurent ensemble à Florence, en France et en Angleterre. D’abord avec la complicité de la famille. Mais en 1882, une brouille survint entre Vernon et Mme Robinson à propos de Mabel. Vernon quitta la maison ; Mary prit son parti contre son père qui disait que Vernon avait « ruiné la paix familiale ». Peut-on dater de ce moment leur vie commune ? La sœur, si proche et si aimée, avait elle subodoré quelque chose que les parents n’avaient pas voulu voir ! Leur liaison ne fut donc pas sans nuages, ce qui est normal ; elle devait durer sept ans, jusqu’en 1887 quand Mary annonce son engagement avec James Darmesteter, qu’elle épousera en 1888.

L’annonce fut un drame pour Vernon : elle le raconte en ces termes : « La semaine dernière j’ai reçu de Mary une demi feuille de papier , qui me dit qu’elle s’est engagée à épouser James Darmesteter, un juif , professeur au collège de France , que j’ai rencontré une fois ( il a apporté une lettre trois ou quatre jours avant mon départ) et elle l’a rencontré trois fois, en incluant celle où elle l’a demandé en mariage ( elle dit en effet que c’est elle qui l’a demandé plutôt que lui elle) … Je ne sais pas comment je me serais portée les jours suivants si la chance ne m’avait conduite dans la maison d’une des plus merveilleusement bonnes et gentilles, simples et solides, créatures, Kit Thomson … » Vernon oublie simplement la longue correspondance échangée entre James et Mary , et ne tient pas compte du fait que James , tout professeur au collège de France qu’il fut , n’était guère en mesure de demander une femme en mariage (63) . Le lecteur sans indulgence retiendra tout de même que , pour ses deux mariages, il semble que ce soit Mary qui ait pris l’initiative . Après tout pourquoi pas ? Et quant à Vernon , si désespérée que ses biographes la jugent , elle se retrouve quand même tout de suite chez la future remplaçante de Mary (64) Morale sévère ou non , à l’époque de Victoria les relations amoureuses n’étaient pas plus simples qu’aujourd’hui.

Liaison ? La nature n’en est guère douteuse. Violet Paget était une cérébrale , certes ; sur ce point elle rejoignait Mary. Elle eut de nombreuses « amies » mais vécut seule . Un ami italien qui l’a connue sur le tard, en parle avec sympathie et mentionne « son isolement , tout sauf heureux » . Le mariage lui faisait horreur : son exécutrice testamentaire, Mrs Cooper Willis, rapporte un de ses propos : des aventures conjugales de mes amies je détourne les yeux (65). Elle dut avoir des difficultés à les détourner des deux mariages de Mary.

Cette liaison , que fut-elle ? A part les dédicaces et les mentions dans la correspondance , les œuvres de Vernon ne donnent pas beaucoup d’informations explicites . Dans sa pièce, Ariane à Mantoue, (1903), Ariane abandonnée chante l’air d’une danse sicilienne :
Let us forget we loved each other much :
Let us forget we ever had to part :
Let us forget that any look or touch
Once let in either of us to the other’s heart (66)
Or ce poème est de Mary Robinson et figure dans An italian garden. Est-il inadmissible d’en tirer des conclusions ?

Mary, elle, est poète, et son sujet, l’amour. Pendant la liaison, deux œuvres ont paru : en 1884, soit quelques 4 ans après leur première rencontre , A new Arcadia dédiée à Vernon,et en 1886 An italian garden , dont le titre renvoie au pays qu’elles avaient choisi. Vernon n’est jamais nommée dans ces vers , sa présence y est constante : « nous ne pouvions exister que pour nous communiquer nos vues sur les choses » ! Nous ne pouvions exister l’une sans l’autre, oserons-nous traduire.

Les deux recueils ne sont pas semblables : forte du succès de son premier volume, Mary commence par suivre les formes – éthérées, souvent stéréotypées – de Honeysuckle : la mort, l’amour – et ce qui va avec, le souvenir, l’abandon, le regret . Cela peut s’appliquer à n’importe qui , ou à personne. Si nous laissons de coté les préoccupations sociales – et l’échec qui s’en est suivi , la plupart des textes sont des poèmes d’amour . Et beaucoup sonnent vrai , surtout ceux de 1886. Au moment où elle songe à mettre fin à leur liaison, Mary rassemble-t-elle les poèmes pour en faire hommage à l’amie abandonnée. Hypothèse plausible .

En relisant An italian garden , on peut se poser plusieurs questions.

Tous les poèmes de ce recueil font ils référence à l’Italie ? Certains, dont le contexte semble plutôt anglais, ont ils été ajoutés parce que Mary les aimait et ne les avait pas encore publiés ?

Tous les poèmes d’amour renvoient-ils à Vernon ? La langue anglaise, avec la neutralité de ses articles, peut laisser un doute quant au sexe de celui qui écrit ou de celui à qui on écrit.

S’il y a eu un premier amour malheureux, ce que nous ne saurons jamais, cela n’expliquerait il pas bien des choses ? Entre autres la présence prégnante et angoissante de la mort et du désir de mort, que j’arrive difficilement pour ma part à attribuer uniquement à une mode littéraire, comme Mary elle-même a essayé de le faire croire. Et le départ de Mary pour l’Italie ?

Pour des parents attentifs un désespoir d’amour aurait pu être une bonne raison de l’avoir laissée vivre à l’étranger? Ils n’auraient fait que suivre la coutume des élites européennes , quand elles désiraient changer les idées d’un rejeton dégoûté de la vie ou insuffisamment persuadé des valeurs morales contemporaines. Malgré les assurances données à son premier biographe, E. Tissot, je me garderai bien d’affirmer à la suite de Mary, que ses premiers poèmes étaient seulement le fruit d’une fertile imagination de jeune fille. Mary Darmesteter – Duclaux, devenue une épouse respectable, ne devait pas tenir à mettre qui que ce soit sur la piste d’un amour de jeunesse, encore moins sur celle d’une liaison plus ou moins saphique. S’il y a eu un premier amour, exclu ou refusé, dont Mary n’a pu se consoler, elle n’a jamais voulu le dire, sauf par allusions dans ses poèmes : l’Amour est un oiseau qui casse sa voix en chantant, l’amour est une rose ouverte jusqu’à ce qu’elle tombe, l’amour est une abeille qui meurt de sa propre piqûre. ../ .. Fleur d’une fleur, / mon cœur seul peut deviner le nom de mon amant, ou le lieu de notre rencontre, ou l’heure la plus heureuse.(67)

Certains poèmes sonnent avec une vérité touchante ; quelques uns tenaient assez au cœur de Mary pour qu’elle se donne la peine de les traduire elle-même en français. Par exemple :
Rifiorita toscana : ô rouge valériane poussée entre les pierres/, dis, comment a-t-il pu s’en aller de chez nous ? / car nous jouions ensemble aux jours de notre enfance .. //.. Ô rouge valériane enguirlandant le mur, / que j’aime le passé ! Je nage dans ses flots. / … / La sirène aime la mer, j’aime le temps passé, (68) / Et, seule sur mon roc, je rêve et chante seule./ Mais nous jouions ensemble aux jours de notre enfance).
Ou bien : Rispetti (69) :

V J’ai semé le champ d’amour, mes voiles ont parcouru la mer ; et tous mes semis sont des herbes amères, mes voiles sont déchirées, …, tous les vents ont déchiré et détruit les voiles, tous les vents ont fané et dispersé mes graines, .. laisse moi donc dormir, dormir pour toujours…
IX Aime moi maintenant, ne pense pas à demain, viens, prends ma main et conduis moi dehors, là, dans les champs, oublions nos tristesses, parlons de Venise et des rivages ioniens, parlons des rivages innombrables où nous partirons en chantant quant j’irai bien… .
X Il y a une sirène dans la mer, elle chante tout le jour et tresse ses cheveux pâles ; vous avez vogué sept ans, sept ans sans arrêter, jusqu’à ce que vous arriviez là bas ; c’est là que nous irons, c’est là que nous voguerons loin du monde, pour écouter les jeux des sirènes…
XIV Fleur du cyprès, petite fleur amère, vous êtes la dernière qu’on peut cueillir ; je ne vous ai jamais aimée, vous qui poussez dans les ténèbres ; pourtant vous durez quand les autres se fanent. Fleur du cyprès, je tresserai une couronne serrée sur mes tempes pour apaiser ces images, fleur du cyprès je nouerai une guirlande autour de mon sein pour tuer le cœur qui s’y cache. …
XVI Partons Tristesse, partons – asseyons nous quelque part à l’ombre fraîche. Là vous chanterez et me calmerez tout le jour, pendant que je rêverai au visage de mon amant. .. Berce moi, ô Tristesse, comme un enfant qui souffre, et quand je serai assoupie, alors réveille moi.

Cet amour ne fut peut être qu’un rêve –: « je sais que vous ne m’aimez pas. Je ne vous aime pas, pourtant à la mort de la nuit je souris un peu, rêvant doucement de vous jusqu’à ce que l’aube brille. / Je ne vous aime pas, vous ne m’aimez pas, je le sais ! Mais tout le long du jour je vous hante comme la magie d’un poète et je vous charme comme un chant ../ .. Tout, tout est mort ; nous n’avons rien souffert, nous n’avons rien créé, nous n’avons rien dit. /J ‘ai seulement rêvé qu’assise auprès de vous j’ai chanté sur la colline d’Ida. Là dans les échos de ma vie nous sommes toujours en train de chanter. » (70)

Nous n’avons rien souffert, nous n’avons rien créé , nous n’avons rien dit : il ne peut être ici question de Violet. Cet amour là n’était donc qu’un rêve ! Soit. Mais on peut mourir d’un rêve. Mourir ? Ou partir? Loin, au-delà des mers ! La tentation de la mort et celle de l’oubli façonnent le dernier poème, l’espoir de la guérison y fait de timides apparitions. Berce moi, ô Tristesse et puis réveille moi, le dernier vers des Rispetti n’ouvre pas sur le désir de mort.

L’amour me quitte , je veux mourir. Classique ! Mais Mary est très jeune , la pulsion de vie n’a pas disparu : il faut donc oublier, recommencer, mais ailleurs. Avec l’appui de sa famille, Mary part donc en Italie, à Florence, chez des amis ; elle rencontre Violet Paget. Et sa vie va changer, sous le signe de la relation amoureuse . Libre au lecteur d’estimer à quel point elle rejoint le saphisme : Vernon ni Mary ni leurs amis n’en ont jamais rien dit . Il s’agit certes de la réserve propre à l’amour , il s’agit peut être aussi de ne pas choquer la morale ! (71). Quelle proportion de sensualité, quelle proportion d’idéalisme, la question n’est guère intéressante. Avec Vernon Mary ne pourra pas dire : nous n’avons rien créé, nous n’avons rien dit . La création demeure.

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Et cette création est belle . Placée sous le signe de la Toscane, ses paysages et ses oliviers . Les collines de San Minniato et les Apennins « dessinent une sombre ligne rousse sur le bleu du crépuscule .. Les oliviers sont une vapeur bleue jusqu’au sommet, ils pâlissent en un blanc livide sur le sursaut de l’ intense bleu clair, (72)

Elles y promènent leur amour : « « Qui peut dire la couleur des olives ?

Bleu , vert, gris … ? Vertes ou blanches, ce sont toujours des olives , comme amour est amour dans les tourments et les délices … Nous nous sommes promenées sur la terrasse d’oliviers et nous avons bavardé jusqu’à ce que nous perdions le chemin ; / nous avons rencontré un paysan courbé par l’âge .. il écrasait les peaux de ses raisins dans un vase d’argile ;.. / nous n’avons pas bu et l’avons laissé, mon Amour… Il avait son pauvre vin, nous avions notre amour (73) »..

Et plus loin, : « Nous avons grimpé un matin sur le sommet ensoleillé / où les châtaigniers ne viennent plus, où poussent les oliviers / Au loin le cercle des montagnes gris cendre, la rivière jaune et la gorge en dessous . / “ Retourne toi , as-tu dit, O fleur du paradis ». Je ne me suis pas retournée, j’ai regardé tes yeux ; – Retourne toi , as-tu dit, retourne toi et regarde le paysage – . Je ne me suis pas retournée, mon amour, je t’ai regardée ». (74) Et encore : « Accrochés au mur blanc brûlant / de pâles oliviers se tendent vers la rue étincelante / tu as cassé une branche, tu n’as rien dit et me l’as donnée pour que je m’en évente ; / tu me l’as donnée sans un mot ni un geste, et , pourtant, mon amour, je t’ écoutais, tu le savais / Tu me l’as donnée sans un mot ni un geste : sous les oliviers pour la première fois je t’ ai appelée mienne. (75) ”

Ce sont les petits gestes, les images d’un bonheur simple qui font le souvenir ; l’olivier en témoigne. Et les nombreuses évocations des paysages toscans , des villes et des villages , enchantés par l’amour .

Mais l’amour est imprévisible : « Je ne sais pas comment l’amour a commencé » (76) . Il croît comme les plantes : « au sommet [de la tour Guinigi] poussent deux oliviers, tout seuls, loin des collines, / couronnant la tour ; / nos vies aussi grandissent, croissant avec notre amour »

Pourtant la séparation se profile: « Qui aurait pensé que nous nous retrouverions ensemble / ici sous le regard sévère du couvent et des tours ; / ici avec les feuillages fanés sur les collines au temps d’hiver ; / ici où les oliviers se penchaient et semblaient nous aimer ; / ici où les oliviers chargés de fruits semblent se souvenir / de tout ce qui commença à leur ombre en novembre dernier ; / ici où nous savions que nous devions nous séparer ; / ici où nous savons que nous nous aimerons pour jamais et toujours » (77)

L’incompréhension s’insinue ; Violet est volontaire, impérieuse, sûre d’elle ; Mary est timide et hésitante : [J’ai dit :] « mon cœur est une fleur de basilic, minuscule et pale au bord du précipice ; tu as dit : à chaque moment nous choisissons la racine du basilic ; .. / De même que la mer frappe les rocs, tu as dit : mon âme se heurte à ta volonté stupide ; et pourtant ces eaux qui s’épuisent à tourbillonner décident elles mêmes de leur limites et modèlent à leur gré l’inconscient univers » (78) . Apparemment Vernon voulait et Mary ne se laissait pas facilement modeler !

Violet demande plus que ce que son amie est capable de donner : c’est un vain espoir , écrit-Mary, une fois rentrée en Angleterre, que de croire que quelqu’un comme moi puisse combler ton cœur ( should fill thy heart )(79) ; je ne répond qu’à ton humeur la plus facile, (your easiest mood) ; « Je survole ton âme comme les oiseaux blancs au dessus de la solitude inviolée du désert : éclat momentané des ailes , pause bienvenue qui laisse inchangée l’éternité du sable et du ciel : c’est cela que je suis pour toi ; mais toi, pour moi, tu es le rivage qui enserre l’océan en pleurs, tu es l’océan même face au ruisseau qui saute sur les pierres. Qui, mais qui te donnera le repos ? Les profondes eaux de la mer appellent sans cesse la terre, leur appel demeure toujours sans réponse.

Pourtant , je rêve de notre amour , je méprise tout, la dureté ou la mort d’un ami, le doute , le long déclin, la folie, toutes ces terreurs qui m’épouvantent et s’insinuent en moi, impitoyables. ; car tu as raison, tu es tout ce que j’ai jamais souhaité, la réponse parfaite à la demande de mon cœur, et ma vie est si douce lorsque je t’ai. Pourtant je rêve : un fois l’esquif lancé, combien de gouffres sans fond sous les eaux bouillonnantes ! »

Quels gouffres sans fond sous le bouillonnement de la passion ? Y eut-il recul devant la nature et la force de cet amour ? Il y a l’amour avouable et l’amour sauvage, l’amour acceptable et l’amour refusé : sur les fresques de l’église d’Assise qu’elles visitent ensemble, François tient la main de Pauvreté, comme un fiancé (bride and bridegroom), ; mais aussi, plus bas, « un étranger, pâle et beau, fragile et frêle , attire le regard de Mary : à son cou un collier de cœurs … : Amour lui-même, effrayé et nu, mince et blême, superbe en sa détresse…. / Amour recroquevillé, que bénissent les saints dans leur gloire. Ici il ne peut entrer, si mince et si gelé, nu sans parure de mariage. »

Les deux formes d’Amour. Le premier est plein des promesses de l’avenir ; le deuxième est tentant … et dangereux . Mais « Était-ce sage, ô gardien, de le rejeter ainsi ? Amour est fort et durable, impossible de le lier en enfer. Châtie le, brûle le, il ne meurt jamais ; comme le phénix il renaît, invincible. L’amour que l’on ne peut atteindre, ni trouver, l’amour dont souffre l’âme, imprécis et faible… Attention ce fantôme d’amour conduit à la folie, à la destruction. Car l’Amour nous appelle tous, nous seuls pouvons choisir l’appel ; ce que nous sommes, ce que nous voulons, amour ou haine, tout dépend de l’instant de ce choix » (80)

Mary a-t-elle cédé à l’appel ? Et à quel appel ? Nous ne le saurons pas ! Nous saurons seulement que ce ne fut pas sans lutte, ni pour elle , ni pour Vernon.

La tentation était grande . Les deux jeunes femmes sont très proches … et très dissemblables : faut-il prendre le risque ? Mary mettra huit ans à répondre à cette question ? Car l’amour est tout : my love is more then life to me ; et Violet ne comprend pas – ou ne veut pas comprendre l’angoisse de son amie . Elles ne voient pas les mêmes choses . Mary aime l’Angleterre du nord , « les landes brunes, qu’à l’horizon brosse un crépuscule humide, de ses rayons brumeux, là bas sur les bords sombres des nuages qui s’abattent sur les joncs » Violet peut-elle les voir comme elle ? (81) ? Et les aimer ? Peut elle alors voir la bruyère -« Nulle part, dans les joyaux ou le vin, ne brille la lumière comme sur la bruyère pourpre. J’ai vu cela et l’ai nommé le pays des fées ; peut être ne l’avez-vous jamais vu ? Les landes brunes et les ciels d’orage qui s’embrassent le soir sous la pluie, vous les avez vus – mais ce qu’est la bruyère, je l’ai vu car j’aime la bruyère » (82) . Aiment-elles les mêmes paysages ? Le « lie of the land » est-il le même pour les deux ? La réponse est non. Rêvent-elles de la même vie ? Au bout de sept ans la réponse de Mary sera non ? S’aimer ne suffit pas, encore faut-il tendre au même but, pour pouvoir vivre ensemble !

***

La séparation fut dure pour les deux , dramatique pour Violet. Au sein de ses moors anglais bien aimés , Mary, elle, se souvient des jour heureux : « Nuit, tu es mon désir .. j’entendrai les battements musicaux de ton cœur dans le crépuscule, et les magies que seule la nuit connaît » (83) . La magie italienne « où nous étions seules , toi et moi sous un cyprès dans une nuit sans étoiles … seulement toi et moi » (84) Mais la magie ne suffit pas si elle n’ouvre pas sur un avenir.

Mary partit, elle épousa James Darmesteter, abandonna ses rêves et commença une autre vie. Et Vernon s’abandonna à d’autres amours.

– (47) British library à Florence, fond Vernon Lee : la villa reçut d’innombrables intellectuels de tous pays ; Mary , pendant et après sa liaison, y fit de longs séjours : c’est le paysage vu depuis la villa qui sert de décor à de nombreux poèmes d’An italian garden.
– (48) Rafaele Monti , Of Queen’s garden, ibid. p. 80 : Queen’s garden est le titre du 2me chapitre du livre de Ruskin , Sesame and lilies , Allen , London, 1867 . Le chapitre [de Ruskin] traite de l’éducation des femmes « to become that sort of angel-like psychopomp , an integrator of ²man’s strongest virtues, who, in fact , Ruskin’s ideological extremism aside, was precisely the ideal woman in Victorian society” Cette sorte d’ange psychopompe correspond bien à l’idéal de Mary , fiancée à James Darmesteter , et peut être aussi à Emile Duclaux.
– (49) Ils pouvaient se regrouper autour du consul d’Angleterre, , un personnage fort intéressant : Sir Dominic Ellis Colnaghi , nommé consul général de Sa Majesté en l‘an de grâce 1865 transféra le siège du consulat à Florence en 1872 , où il demeura jusqu’en 1896 . Lié à une grande famille florentine , il reçut chez lui la reine Victoria et toutes sortes de grands personnages . C’était un esthète , il fit un dictionnaire de la peinture florentine , qui sera publié au vingtième siècle.
– (50) Phyllis, J. A. Symonds, Longman , London, 1964 : pp. 222 , 223,;Symonds fut , à la fin de sa vie, un correspondant de Havelock Ellis et contribua ainsi aux premières études sur l’homosexualité.
– (51) Elle était ravissante , il suffit de regarder ses portraits pour en être sûr ; Paul Bourget , la décrit ainsi : « « Un rêve de Shelley qui
marche et qui vit, l’être le plus pur, le plus rare , qui soit au monde » ( lettre d’introduction de Bourget à Urbain Mengin, voir ch. 1 , p. ..)
– (52) Sur sa tombe une inscription : Numina, quae fontes, silvas, loca celsa tenetis/ Nostram animam vestro credimus hospitio (Divinités qui régnez sur les sources, les forêts, les sommets/ nous confions notre esprit à votre hospitalité), in Desforges Michel, préface de Vivarelli, p.17, voir infra note
– (53) 1879 , Biographie d’une monnaie : déjà un essai imaginatif sur l’histoire
– (54) Voir notamment les biographies, dont celle de Peter Gunn, Vernon Lee : Violet Paget, 1856 – 1935, Oxford University press, London, 1964 ; l’article de Nelitta Miletti, Due violette a Firenze, in QUIR, mensile fiorentino di cultura e vita lesbica e gay, n° 13 et 14. Dans la seconde moitié du XXè siècle, le monde universitaire anglo-saxon redécouvre Vernon Lee grâce aux études sur le genre (gender) et l’homosexualité ; il découvre en même temps ses relations féminines exclusives et passionnées, parmi lesquelles Mary Robinson, à partir des années 1880. Vernon Lee est la cousine de John Singer Sargent qui fit d’elle un très beau portrait conservé à la Tate gallery (1881) ; le même John Sargent fit un très beau portrait de Mary Robinson.
– (55) Browning la cite nommément dans un poème , Inapprehensiveness, Asolando, Œuvres , John Murray, London, 1946, p. 749
– (56) Peter Gunn, p. 169
– (57) Le frère de Vernon , qui était handicapé : encore un handicapé dans la vie de Mary !
– (58) Milleti Neritta, Violet Paget, article biographique, Due violette a Firenze, in QUIR, mensile fiorentino di cultura e vita lesbica e gay, N° 13, pp 25-28 et n° 14 pp 29 – 30 [www.culturagay.it/cg/biografia…] ; Gunn Peter ,Vernon Lee, p. 77. Je rappelle que le myosotis est une des fleurs symboles de l’homosexualité féminine !!!!
– (59) Vernon Lee, Antonio Vivarelli, portrait imaginaire.., trad M. Desforges, Ombres, Toulouse, 1991 (première parution dans Forthightly Review, dec 189 1 . Violet Paget était musicienne par tradition familiale.
– (60) Expression difficilement traduisible, quelque chose comme l’essence du paysage ; .)Mario Praz, le pacte avec le serpent , .( Christian Bourgois, 1989,- 1991 ) traduit « l’étendue de la terre » , ce qui est proche de l’anglais mais ne me semble pas contenir les connotations que Vernon essaie d’y mettre.
– (61) In Limbo and others essays, cité et traduit par M. Praz, op.cit.
– (62) 1883 ; C’est une des rares œuvres de Mary qu’aient choisie de publier les responsables de sites de e.book (vu en décembre 2008)
– (63) Voir chapitre suivant
– (64) Peter Gunn, p. 118 .
– (65) Mario Praz, op. cit., rapproche cette attitude de celle de Renée Vivienqui parle de « l’opprobre des noces », des « maternités lourdes » …
qui ont .. « la difformité des outres et des gourdes » et du « troupeau stupide des familles ».
– (66) Oublions que nous nous sommes aimé(e)s / Oublions que nous ayons du nous séparer/ Oublions qu’un seul regard, un seul contact/ un jour, a suffi pour que chacun(e) atteigne le cœur de l’autre.
– (67) Stornelli and strambotti, in An Italian garden
– (68) Ce passage est repris par Anatole France
– (69) Traduit par Mary partiellement pour les strophes I, IX, X, XI et XIV : repris dans l’édition française de 1931, illustrée par Maurice Denis
– (70) Love without wings, in An Italian garden.
– (71) Le regard de l’époque sur le saphisme n’était pas celui d’aujourd’hui. : « les [hommes] ne s’en offusquent nullement ; ils savent le monde des femmes riche d’émotions, d’affectivité et même d ‘une sensualité particulière qu’ils ne songent pas à réprimer parce que, le plus souvent, ils la dédaignent….. Par ailleurs , mis à part quelques médecins, les hommes étaient persuadés que les femmes ne pouvaient pas éprouver un désir érotique autonome en dehors de la sexualité reproductive
– (72) Loss, in A new Arcadia : still lifts a dusky, reddish, line against the blue … the olives are a smoke of blue until the topmost height / they
pale into a livid white against the intense, clear, salient blue…
– (73) We walked along the terraced olive ward , in A new Arcadia : we walked along the terraced olive ward and talked together till we lost the way / we met a peasant, bent with age, and hard bruising the grape-skins in a vase of clay ;… we did not drink and left him, love of mine . .. He had his meager wine and we our love
– (74) We climbed one morning , in A new Arcadia : we climbed one morning to the sunny height / where chestnuts grow no more, and olive grow ; / far off the circling mountains cinder-white/ the yellow river and the gorge below. “Turn round, you said , O flower of paradise ; I did not turn, I looked upon your eyes / “Turn round, you said, turn round, look at the view “ . I did not turn, my love, I looked at you.
– (75) How hot it was , ibid. Across the white-hot wall / pale olives stretch toward the blazing street ; / you broke a branch, you never spoke at all, / but gave it to me to fan with it in the heat / you gave it me without a sign or word, and yet, my love, I thought you knew I heard / You gave it to me without a word or sign ; / under the olives first I called you mine.
– (76) Ibid., flower of the vine : I scarcely knew how love began
– (77) Ibid. , who should have thought : who should have thought we should stand again together, / here with the convent frown of towers above us ; here with the sere-wooden hills and wintry weather ; here where the olives bent down and seem to love us ; / here where the fruit-laden olives half remember / all that began in their shadow last November ; / here we knew we must part and sever ; here where we know we shall love for aye and ever.
– (78) Ibid., flower of the vine : I said : my heart is like a basil flower and none will see it, pallid and minute, .. upon the ledge …; you said , for every hour we choose.. the basil root .. / My heart is full of flowers.. As beats the sea against the rocks, you cried : against your stubborn will my soul is hurled ; and yet these dying waters, spent and swirl’d, their stony limits do themselves decide, and fashion to their will the unconscious world.
– (79) Ibid., Apprehension , I flit across thy soul, as white birds fly / across the untrodden desert of solitude : a moment flash of wings ; fair
interlude / that leaves unchanged the eternal sand and sky. Even such to thee am I ; but thou to me / as the embracing shore to the sobbing see, even as the sea itself to the stone-tossed rill. But who, who shall give such rest to thee ? The deep mid-ocean waters perpetually / call to the land, and call unanswered still… So, dreaming of our love, do I despise / harshness or death of friends, doubt, slow decay, madness, all dreads that fill me with dismay, / and creep about me oft with fell surmise, / for you are true, ; and all I hoped you are ; / o perfect answer to my calling heart ! / and very sweet my life is, having thee. / Yet I must dream : should once the good planks start, / how bottomless yawns beneath the boiling sea !
80(80) – Ibid., Love among the saints.: there they stand, hand in hand, bride an bridegroom gravely met, / Francis and Saint Poverty. .. a native captive fast my wandering fancy took, fair and pale, thin and frail, / round his neck a chain of hearts, Love himself, .. / .. stared and naked, wan and thin, beautiful in his distress. .. / .. crouched Love whom above / all the saints in glory bless. / Here he may not enter in, / cold and thin, naked with no wedding dress. / Yet, o warder, was it wise / thus to spurn him ? .. Love is strong, lasting long, / him thou canst not bind in hell ; / scourge him, burn, he never dies / Phoenix-wise, riseth he unconquerable. .. / Love you cannot reach or find, / love that aches within the soul, / vague and faint , till the Saint cries, beyond his own control. .. / .. Ah, beware ! That phantom Love / drives to madness, and destroys. / Yet to all Love must call / only we may choose the voice / and whatever we are or prove, loathe or love, hangs upon that instant’s choice.
– (81) *voir, c’est connaître, comprendre, aimer
– (82) Ibid , love and vision : brown moors which at the eastern edge / a watery sunset brushed/ with misty rays yon sullen ledge / of clouds cast down on the rushes …never in jewel or wine the light / burned like the purple heather .. I saw it and called it fairy land ; / you never saw it, the chance is ? / Brown moors and stormy skies that kiss / at eve in rainy weather / you saw – but what the heather is / saw I , who love the heather
– (83) An italian garden, Florentine may : night, be thou my desire, et j’entendrai the throb of thy musical heart in the dusk and the magical things only the night can know
– (84) Ibid., Nocturne vénitien, nous errions, only you and I.

Biographie de Mary Duclaux – D’une rive l’autre – Chapitre 3

Un mariage d’amour

En 1888 Mary épouse James Darmesteter, linguiste français , alors de retour d’un voyage aux Indes et professeur au collège de France .

Vernon Lee a décrit sa surprise – quelque peu scandalisée – quand elle apprit que son amie la plus chère voulait épouser un homme qu’elle connaissait à peine. C’est sur ce point que d’abord elle achoppe , même si elle note qu’il est juif, ce sur quoi elle n’insiste pas : manifestement ce n’est pas là l’essentiel. L’apparence physique pose un tout autre problème. Vernon a rencontré James à Florence mais l’a probablement à peine vu, – il venait apporter une lettre !! – . Elle le reverra à Londres chez les Robinson et la réaction sera brutale, ainsi que celle de la famille Paget , qui considère Mary comme sa fille. Puis Vernon se calmera, tentera d’arranger les choses avec sa propre famille sans grand succès ! Cette réaction est toute à son honneur. (85) Vernon est une intellectuelle : ce qui compte , ce ne sont pas les apparences , mais ce qu’on peut lire en elles, comme pour the lie of the land. Si elle pense à sa douleur à elle , elle pense aussi au bonheur de Mary. Pourtant, comme les Robinson, elle ne peut s’empêcher de se poser des questions . Un être bossu et difforme ! Et un fille ravissante (un rêve de Shelley! , disait Bourget ! ) N ‘importe qui aurait des doutes .

Il y a d’autres réflexions , qui corroborent la précédente André Chevrillon décrit le couple en vacances dans le jardin savoyard de Taine : (86) « En 1890 ou 91, M. et Mme Darmesteter passèrent l’été à l’hôtel de Talloires , une ancienne abbaye au bord du petit lac . Par le bateau ils venaient souvent à Boringe. La figure du savant orientaliste me reste inoubliable . Il était petit , contrefait, comme Ary Renan (87) , condamné à la même mort précoce . Il était pourtant bien différent de lui : autant la pétulante gaieté d’Ary, les soudains éclats de sa voix claironnante, ses gaietés et ses chants de rapin nous amusaient , autant nous intimidait la silencieuse gravité et le blême visage de Darmesteter . Il n’était pas seulement le maître des études iraniennes, … il avait écrit des pages où reparaissait le feu des antiques voyants de sa race. [Et voilà la race ! A l’époque la mention est fréquente … et risquée (88) ]

Je retrouve une photographie qui le montre tel que je l’ai vu sur la terrasse de Boringe dans un cercle d’amis . Le coude sur le bras d’un fauteuil de jardin, sa tête puissante sur un corps chétif penchée sur un poignet, les yeux mi-clos, il restait immobile et semblait ne rien entendre de nos propos . Et quand fusait la voix claire et chantante de sa jeune femme , son regard se levait sur elle et ne la quittait pas . Le fond de l’homme se révélait alors : son visage prenait une expression d’ardeur frémissante ; je voyais trembler un peu ses lèvres. »

Suit une page sur la « jeune femme » en question : « Mme James Darmesteter était l’exquise poétesse anglaise que ses compatriotes n’ont connue que sous son nom de jeune fille , Mary Robinson , que portait le premier recueil de ses vers, celui dont elle a signé tous les autres. » Et une appréciation de l’art de l’ « exquise poétesse », qui prouve que l’auteur avait plus d’admiration pour la femme que pour le poète. « J’avais lu deux petits volumes de ses vers . Je fus surpris d’y trouver tant de tristesse . La pensée de la mort et la vanité des apparences faisaient contraste avec ce que nous avions vu d’elle : si vive, si fine , si menue, elle semblait ne pas poser sur la terre . Dans sa conversation passaient des jeux d’une fantaisie ailée ; de l’oiseau elle avait la grâce , les élans, les subites envolées . Elle a vécu longtemps et , comme l’oiseau encore , elle n’a jamais vieilli »

Chevrillon a la gentillesse de ne pas insister sur le contraste entre les deux époux ; c’est un homme bien élevé, il a été l’ami très fidèle de Mary jusqu’à sa mort, probablement lui aussi quelque peu amoureux d’elle . Il les a connus suffisamment pour comprendre ce qu’il y avait d’amour en Mary et en James, au delà des apparences.

Il est pourtant difficile d’imaginer un couple plus dissemblable. Le fait a frappé tous les contemporains. Les biographies de James les plus complètes parlent d’une stature jamais parvenue à sa taille adulte et légèrement déformée – en clair James devait être proche du nanisme et un peu bossu -. André Chevrillon parle de Mary avec sympathie et compréhension. D’autres seront moins généreux, comme par exemple, l’essayiste Ernest Tissot. (89) Il raconte la première ( ?) visite qu’il lui fit à Paris, après avoir longtemps fantasmé sur la charmante poétesse anglaise dont il avait entendu parler à Florence : « Je me souviendrai toute ma vie de l’épouvante que me causa James Darmesteter. Personne n’avait eu la charité de m’avertir. Quand, après avoir touché les mains d’une héroïne de Rossetti, je vis entrer son époux… j’étais très jeune, je fus si effrayé que l’usage de la parole me fit défaut ! Je devais attendre dix huit années avant d’oser revenir ! J’ai retrouvé cette femme telle que je la vis alors, avec ses yeux de passion, sa raideur intimidée et intimidante d’anglaise, dans le portrait qu’en peignit à cette époque, de ses pinceaux pleins de bonnes intentions, sa fidèle première belle sœur, Madame Arsène Darmesteter »,

Quelques années après sa première entrevue, Ernest Tissot prépare un livre sur les femmes de lettres contemporaines et rend visite à Mary, alors Duclaux. Il reprend la tradition, fidèlement transmise dans la famille d’Émile, selon laquelle la poétesse anglaise qu’Anatole France décrit dans le Lys rouge sous le nom de Vivian Bell serait Mary Robinson et demande ce qu’il y a de vrai là dedans. Réponse de l’intéressée : « C’est si vrai que, lorsque le manuscrit parvint à la Revue de Paris, James Darmesteter (90) , qui m’aimait avec inquiétude, trouva le portrait trop ressemblant et pria M. Anatole France d’en modifier les détails. C’est ainsi que je me suis vue affublée d’une perruque de cheveux jaunes frisottés sous laquelle, par mauvaise humeur, le romancier me trouva l’air d’un petit chien d’appartement ; dans le texte primitif j’avais le teint pâle, les cheveux noirs ».

Le lecteur qui se reporte au Lys rouge, pense que le personnage créé par A. France, est un condensé des deux écrivaines anglaises alors célèbres à Florence, Mary Robinson et son égérie, Vernon Lee. La simplification de l’histoire, acceptée sinon propagée par Mary, prouve au moins qu’elle en était satisfaite et ne voyait aucun inconvénient à cette possessivité manifestée par son époux d’alors . Où va se nicher la vanité !

La tradition familiale dit aussi que, lorsque James fit la demande en mariage , ses parents demandèrent à Mary d’attendre un an pour s’assurer de ses sentiments . On peut comprendre leur inquiétude. Sur le plan social M. Darmesteter était tout à fait éligible, bien que juif mais pour les élites bourgeoises cela n’avait pas beaucoup d’importance dans l’Angleterre de Disraeli . Beaucoup plus éligible que les poètes du milieu préraphaélite, il assurerait à leur fille un avenir solide .Et c’est ce qu’il aurait fait, eut-il vécu plus longtemps : un professeur au collège de France, un jour membre de l’Institut, laisserait à sa veuve une pension convenable. Mais, si vraiment James était aussi laid qu’on le dit, des parents attentifs pouvaient se demander si leur fille, que sa nature portait à l‘engagement charitable (91) et à l’exaltation poétique, supporterait un tel mariage à long terme. Hélas, le mariage ne dura pas longtemps et Mary fut inconsolable.

Qui était James Darmesteter ?

La biographie la plus sympathique fut écrite juste après sa mort par son maître et ami, Gaston Paris, et publiée dans leur revue, la Revue de Paris (92) ; une autre biographie, officielle celle là , fut écrite par son autre maître, Michel Bréal, et publiée dans l’Annuaire de l’Ecole pratique des hautes études (93)

James est né en 1849 à Château-Salins d’une famille juive établie en Lorraine depuis le milieu du dix huitième siècle. En 1791 lors de son inscription sur les registres de l’état civil , elle choisit le nom de Darmstädter en souvenir de son ghetto d’origine ; le nom fut francisé par le fonctionnaire responsable sous la forme de Darmesteter. Cerf, le père d’Arsène et de James, épousa une fille issue d’une famille polonaise plutôt bourgeoise : rabbis, médecins et officiers ; Cerf lui-même fut libraire et relieur selon la tradition familiale. A la mort du grand père de James qui laissait une veuve, la famille vint s’établir à Paris. Lorsque Cerf lui même mourut, elle entreprit d’y survivre dans le quartier du Marais, parmi les difficultés matérielles. C’ est une histoire banale : celle de la petite bourgeoisie juive d’Europe centrale qui vient chercher le refuge que propose la France depuis la fin du dix huitième siècle. Les deux fils de Cerf , Arsène et James, s’en souviendront toujours.

James est d’abord un savant, linguiste et historien . Son parcours est caractéristique des espoirs familiaux et de la méritocratie qui se voulait au cœur des institutions éducatives de l’époque. Après l’école primaire, Darmesteter entre dans une école talmudique, prise en charge par la communauté ; une fondation israélite lui offre alors une bourse avec laquelle il pourra entrer dans une pension et suivre les cours du Lycée Bonaparte . Il n’a jamais dit le moindre mal de l’enseignement talmudique, du moins en public mais cet élève brillant rêve d’un destin que les yeshiva ne pourront jamais lui offrir . Il va donc au lycée, y fait une scolarité remarquable , « conquiert la liberté de l’esprit », et accède à la culture classique. Il apprend l’anglais , l’allemand et l’italien, passe un baccalauréat es lettres et un baccalauréat es sciences, puis fait des études universitaires : du droit, et une licence de lettres.

C’est un étudiant enthousiaste et bouillant de projets, tous plus essentiels les uns que les autres . Il écrit des vers, un drame, un roman ; il disait , raconte Gaston Paris: « je voulais faire une synthèse du monde ; je décidai que j’y emploierais dix ans ; je consacrerais les neuf premières années à l’étude de chacune des sciences, suivant l’ordre de Comte, et dans la dixième j’écrirais le livre ». Cet « admirable programme fut bientôt abandonné », (G. Paris sic.) . James ne fait pas grand-chose pendant quatre ans, cherche sa voie et vit de leçons particulières jusqu’en 1871, le tout au grand désespoir de sa famille ! A 22 ans en 1871, il se décide tout de même à suivre le conseil de son frère aîné, Arsène Darmesteter (94) , beaucoup moins fantaisiste . Arsène est répétiteur à l’École des Hautes Études et y dirige son cadet . James restera deux années dans le département des études orientales et ses maîtres vont le diriger vers le monde iranien et ses religions.

Inscrit à l’école le 18 novembre 1872, il est élève titulaire le 26 juin 1873, répétiteur de zend le 21 octobre 1877, Directeur adjoint le 26 août 1880, Directeur d’études le 26 octobre 1892. Après sa thèse sur Ormuzd et Ahriman, dieux principaux du panthéon persan, il va continuer dans cette voie, traduire l’Avesta en anglais pour le compte de l’université d’Oxford et en commencer une traduction en français qui sera couronnée par l’académie des inscriptions et belles lettres ; en 1882 , il remplace Renan comme secrétaire de la société asiatique ; le dernier rapport qu’il fait pour le compte de la société (1893) est consacré à l’œuvre orientaliste de Renan : « Lui seul pouvait parler à la fois, avec une égale supériorité, du savant, du sage et du poète » qu’était Renan , nous dit Gaston Paris . Sûrement parce que James était lui aussi savant, sage et poète. Bourreau de travail – il avait, nous dit son maître , une facilité de travail que je n’ai vu à ce degré chez aucun autre homme .

Entre temps il a écrit des poèmes , un petit livre sur l’histoire de France à l’usage des écoliers, sous le transparent pseudonyme de Jean Le Français, une étude sur les prophètes d’Israël, ouvrage où , selon Michel Bréal , très désapprobateur, «l’émotion a presqu’autant de part que la critique scientifique » , les Lettres anglaises etc. Il fait surtout un séjour au Pakistan , à Peshawar , où il fréquente érudits et poètes locaux , mais aussi les officiers anglais , écrit les Lettres sur l’Inde , passionnant descriptif de l’Afghanistan de la fin du XIXe, et recueille les chants populaires afghans qu’il fera éditer en France .

Son séjour en Afghanistan et dans le nord des Indes anglaises lui permet deux choses : se faire une opinion sur la politique coloniale britannique, à travers gouverneurs et soldats, qui lui réservent un accueil chaleureux ; diriger vers la civilisation afghane un regard où la sympathie l’emporte sur la critique. Il voit l’Inde anglaise avec les yeux de Kipling, ce mélange de compréhension admirative pour les peuples et leurs cultures, et de mépris pour l’incapacité de ces mêmes peuples et cultures à adopter, voire même à comprendre, l’approche occidentale fondée sur la recherche de l’efficacité et du « progrès ».

En ce sens James est bien un homme de son époque, que nul doute n’effleure sur la justification de la colonisation. Mais son empathie est totale envers les êtres et les choses qu’il rencontre et n’empêche pas l’humour : cela donne à la lecture des Lettres sur l’Inde un charme indéniable et un intérêt certain, aujourd’hui où l’Afghanistan fait une part de l’actualité . Le lecteur contemporain, amusé, s’aperçoit que les quelques cent vingt ans qui le séparent du voyage de James n’ont pas apporté beaucoup de changements à la nature du pays et des hommes qui l’habitent. Vivre à Pëshawar alors comme aujourd’hui n’offre pas beaucoup de distractions intellectuelles . James a donc du temps libre ; il en occupe une partie à lire les dernières productions de la littérature anglaise qu’on lui envoie par bateau, : parmi ces œuvres les recueils d’une certaine Mary Robinson . Et nous revenons à notre /leur histoire.

«Il pensa, nous dit Mary, y aller [en Afghanistan] et mourir … Ce voyage fut une des rares , des vraies joies de sa vie . Il était également chez lui dans les palais de l’administration britannique et dans la prison où quelque poète en haillons, plus ou moins assassin, lui chantait ses ballades incendiaires » (95) . Ce pays et ces hommes James les a aimés , il s’en est fait des amis . Pendant leur mariage le salon de leur appartement, rue Bara, était fréquenté par les lettrés et religieux hindous ; la dernière année de sa vie, malgré son mauvais état de santé, – et certainement malgré les recommandations de son épouse qui l’avait emmené à la campagne pour qu’il s’y soigne – James retourne à Paris pour y rencontrer un « sage oriental ». Ce fut la dernière fois ; il mourut peu de temps après à Maisons-Laffitte où il est enterré. « Longtemps encore, au bord de la mer des Indes, on se rappellera la vaste science, le cœur doux et chaud, la frêle personne, les façons dignes et aimantes, et toute l’exquise simplicité du dernier Dastour (96) de France ». Difficile de savoir si Mary avait raison sur ce dernier point ; ce qui comptera ici c’est l’amour qui s’exprime dans cette phrase , la dernière de l’introduction des Nouvelles études anglaises.

Ajoutons , pour compléter le tableau d’un esprit éclectique, scientifique certes mais tenté par la poésie et l’action, qu’après son mariage il rêva d’une carrière politique , journalistique peut être, fit publier les Lettres afghanes dans un journal grand public, – toujours désapprouvé par Michel Bréal -, écrivit des articles sur les problèmes contemporains dans la Revue de Paris qu’il dirigea avec Gaston Paris et eut des crises de rire avec sa femme , lorsqu’il avouait avoir parfois souhaité un talent d’orateur, ce qu’évidemment son physique lui interdisait . C’est elle qui le raconte. Mary elle même considérait ces tentations avec un certain humour, qui dut déteindre sur James : il me disait, rapporte-t–elle, : « « j’aurais dû naître orateur » ; avec son petit air jeunet, ce mélange de timidité et d’assurance qui lui donnait parfois l’air d’un enfant, avec sa complexion frêle, sa voix chaude, haletante et étouffée, il avait si peu l’air d’un orateur que cette assertion provoquait entre nous un rire immanquable. »

Tel fut ce James que son physique empêcha d’être l’homme d’action et le politique qu’il eut voulu être, au service du pays qui est le sien et dont il suit les errements et les insuffisances avec douleur. Eut-il pu être un Jaurès , il eut tenté d’agir. Ne le pouvant pas, il écrit : d’abord le petit livre d’instruction civique à l’usage des écoliers, puis des articles sur les événements contemporains : l’assassinat de Carnot, et l’avenir de la jeune République (97) Nous y trouvons les thèmes connus de l’époque , le mépris d’une classe politique lâche, démagogue et corrompue et la foi en une France éternelle fondée sur une morale universelle.

Sa mort prématurée, en 1894, à quarante cinq ans, mit fin à ces rêves et à un grand amour.

***

A l’étonnement de ses amis et au grand dam de sa famille, Miss Robinson a donc épousé un handicapé, .. et un juif : ce mot est l’un des premiers de la biographie que lui consacre Gaston Paris. La judéité de James n’ a sûrement pas été un des éléments du choix de Mary, ni pour ni contre . Et pourtant ….

Lisons le portrait qu’en trace Anatole France (98) Il n’avait ni la sérénité ni la prudence intellectuelle de son frère [Arsène Darmesteter] . Sa parole haletante, brève , imagée, annonce un tout autre génie ; son regard fiévreux trahit le poète et en vérité il est poète autant que savant …. Noir regard d’arabe sur [un] pâle visage aux traits accentués, qui porte la trace d’une extrême délicatesse de tempérament. …Tout ce qu’il y a de passion et d’ardeur dans cette enveloppe frêle.. est juif ; il en a le masque, il en a l’âme, cette âme opiniâtre et patiente qui n’a jamais cédé. Il est juif avec une sorte de fidélité qui est encore de la foi. ! Assurément il est affranchi de toute religion positive. Il a fait sa principale étude des mythes et il s’est appliqué à reconnaître à la fois le mécanisme des langues et le mécanisme des religions. ..En dehors de toute confession, en dehors de tout dogme, il est resté attaché à l’esprit des écritures. ». France est un penseur, artiste de la langue, d’une certaine façon poète lui même ; il a reconnu un confrère et un égal. Rien d’étonnant à cela. Ce qui l’est plus ce sont les considérations d’ ‘ordre physique dont on peut se demander ce qu’elles viennent faire dans un article de critique.

Le mot antisémitisme, même si on lui ajoute l’épithète « involontaire » , est trop simple ici , et de plus inexact, connaissant l’attitude de France au moment de l’affaire Dreyfus. S’en contenter épargne de réfléchir sur les origines de ce genre de remarques. L’Europe occidentale de la deuxième moitié du siècle est fascinée par l’orient , le lointain et le proche . Et ce qui est le plus proche , le plus facile à étudier , familier et si différent , ne sont-ce pas les civilisations du livre, l’arabe et surtout la juive , dont la culture chrétienne est issue ? D’où la question inévitable : Pourquoi ? Comment ? Pour qui pense en termes de « race », en quoi cet homme, en qui je me reconnais mais dont la pensée vient d’ailleurs, me ressemble-t-il , en quoi est-il dissemblable ? La réponse est toute faite pour qui ne s’est pas penché spécialement sur la question, comme l’a fait Renan. Elle date des croisades : regard noir, délicatesse et sensibilité poétique de la culture arabe, ardeur passionnée et fierté orgueilleuse de qui, juif ou arabe, n’a jamais cédé. Il y a de l’admiration dans le regard de France, comme il y en aura aussi dans celui de Barrés devant l’Espagne des maures … et, curieusement , aussi des juifs (99)

Et Mary ? Elle a correspondu pendant plus de deux ans avec cet inconnu qui avait aimé ses vers suffisamment pour tenter de les traduire. Elle l’avait très peu vu sauf un nombre limité de fois à la fin de leurs échanges, si l’on en croit Violet Paget. Mais ils se connaissaient assez pour qu’elle lui propose de l’épouser ! Ils étaient donc devenus intimes, suffisamment , la chose est sure, pour qu’elle demande à sa sœur de détruire leur correspondance après sa mort (100) . Qu’a-t-elle découvert en lui qu’elle n’avait jusque là pu trouver en personne , même pas en Vernon Lee? Le noir regard arabe ? Peu crédible, vu le reste des caractéristiques physiques de James. La passion , par contre, celle qu’il mettait en toutes choses et qu’il a mise dans l’amour-culte qu’il lui a voué, le courage indomptable et la volonté sans faille qu’il lui a fallu pour vivre malgré les obstacles et donner un sens à sa vie, et aussi l’étrangeté de cet être qui venait d’un autre monde et pouvait lui être si proche. Tout ce que la sensibilité d’Anatole France avait su ressentir.

Nous connaissons assez Mary pour savoir que ce qui la poussait n’était pas le souci de « faire une fin » comme disent les bonnes âmes . Elle en avait certainement déjà eu l’occasion, elle était bien trop intelligente pour prendre un tel risque avec un homme dont elle n’eut pas été sure et enfin elle l’aimait : cela aussi est sur. Il suffit de se référer à ses poèmes et à son désespoir quand il mourut. Aussi curieux que cela puisse paraître, elle l’aimait , elle l’aimait d’un grand amour.

James était donc juif et en était fier (101) ; il ne laisse personne l’oublier et surtout pas son épouse anglaise qui resta fidèle à sa famille jusqu’à la fin, signalée par la disparition de la femme d’Arsène Darmesteter… Juif et poète, ce sont les mots de Gaston Paris pour qui cette origine est un élément positif , accès à une culture qui a contribué à former le monde européen. Il faut donc la connaître et la comprendre : que Darmesteter soit remercié, conclut son ami, pour l’avoir tenté avec toutes les ressources de son savoir et de sa passion

Le problème que pose la situation des juifs à la fin du XIX ème siècle est une des clefs de l’histoire de Mary Robinson . Non pas qu’elle prit parti ouvertement dans les conflits politiques ni qu’elle écrivit quoi que ce soit sur un sujet qu’elle ne connaissait pas, mais après la mort de son mari elle rendit une visite de remerciement à Émile Duclaux qui avait pris publiquement la défense de James. Cette rencontre porta les fruits que l’on sait, dans le contexte de l’affaire Dreyfus .

Quel est donc cet amour ?

La question vaut d’être approfondie . Brutalement posée , elle équivaut à ceci : comment une jeune femme, qui a eu tous les succès à Londres et à Florence, ravissante selon tous les témoignages, y compris celui des photographes, a-t-elle pu s’obstiner à épouser , contre l’avis de tous, un nain juif plus ou moins bossu, fut-il professeur aux Hautes Etudes ?

De nombreux témoignages disent cet amour ; la famille de Renan, Gaston Paris, Daniel Halévy, André Chevrillon l’attestent et sont les premiers à en être étonnés ? Pour ne pas parler d’Ernest Tissot, qui n’est pas loin d’être jaloux de James et dont l’incompréhension scandalisée porte en elle la preuve d’une curiosité de journaliste, pas forcément désintéressée.

James lui-même ? Il a écrit à Mary Robinson pendant au moins deux ans (102) , lui a confié ses pensées les plus intimes et évidemment envoyé ses œuvres . Lui, le savant, a traduit en français les poèmes de son idéale bien aimée ; le livre paraît chez Lemerre (105) en 1888 et le travail de traduction a été commencé bien avant le mariage. Sans être méchant on peut se dire que James n’avait jamais cru pouvoir espérer une telle chance, c’est en tout cas ce que suggère son plus proche biographe. A 38 ans il a perdu tous ses proches (104) , il ne lui reste que Mary . On peut comprendre que l’arrivée de la jeune femme pût lui paraître comme une sorte de miracle et que l’amour jaloux qu’il lui voua devint le centre exclusif de sa vie. « Il vécut alors, nous dit Gaston Paris , le bonheur sous sa forme la plus pure et la plus idéale et put satisfaire pleinement l’immense besoin d’amour qui était en lui. [Il n’aurait pas résisté [à la mort de son frère] si une main aussi ferme que tendre ne s’était peu de mois avant unie à la sienne et ne l’avait soutenu doucement. Et d’ajouter : celle qui a fait le doux miracle de ce renouveau.. a donné.. à son ami des années d’un bonheur qui dépassait son rêve. » Apprécions ici au passage le style inattendu du savant médiéviste !

Et Mary ? C’est l’évidence même. Tout ce qu’elle en dit – et écrit – le prouve. Il faut lire les poèmes . Et les biographies qu’elle a écrites, d’abord dans la Revue de Paris , puis dans la préface de Critique et politique . Elle l’appelle mon ami, dans les textes publics, mais aussi mon doudou , dans les lettres à sa mère, envoyées aux alentours de 1898 – 1900, et gardées par celle ci car elles expliquent le second mariage . Cette appellation paraîtra peu compréhensible à ceux qui, comme Ernest Tissot, sont persuadés que le mariage n’a jamais pu être consommé . L’expression – un peu ridicule certes – implique une familiarité et une proximité qui pourrait s’appliquer à beaucoup de couples d’amants renommés . Mary témoigna une fidélité constante au souvenir de James et se considéra jusqu’à sa mort comme la légataire chargée de le faire connaître et de veiller sur sa mémoire (105) .

Leur amour avait-il –ou non – une composante physique ? Certains, choqués par le contraste entre la ravissante poétesse anglaise et le nabot français, pensent la chose peu crédible . Ce sont les mêmes ou leurs confrères, biographes et historiens, qui se demandent la nature des rapports entre Vernon et Mary. James voyait en Mary l’idéal inaccessible, suivant en cela les modèles préraphaélites dont nous savons qu’ils n’ont rien empêché. Comment Mary voyait-elle celui qu’elle appelle mon doudou ou mon ami S’agissant de lui, je n’ai jamais rencontré le mot amant ou love sous sa plume ; pourtant c’est un mot que la jeune anglaise a souvent utilisé dans ses poèmes. Il est sans doute des mots que la pudeur interdit dans des situations autres que littéraires. E. Tissot qui l’a connue au moment de chacun de ses mariages parle de sa raideur : il y a des choses qu’on fait peut être dans le secret des alcôves, qu’on ne dit – et qu’on n’écrit – surtout pas.

La question paraît sans véritable intérêt . Nous sommes dans le monde victorien. En France ou en Angleterre, nul ne parle ouvertement de ces sujets s’agissant de gens qu’on connaît, on aime ou on admire : ce serait d’un mauvais goût parfait. Quand ils en parlent, les biographes contemporains des époux ne peuvent que procéder par allusions lointaines, exception faite des sous entendus d’Ernest Tissot : c’est pour eux sans importance et relève de la vie privée . De nos jours où les aspects sexuels sont au centre des préoccupations, la question est reprise : une telle approche aurait bien étonné Mary et James.

Et pourquoi se sont-ils tant aimés ?

Parce que c’était lui, parce que c’était moi, bien sûr ! Mais qu’ont-ils trouvé l’un chez l’autre, qui compose l’attirance mutuelle, puis l’amour ?

L’intérêt, disons l’attirance peut être, de Mary pour James remonte aux années italiennes. Un volume des Essais de littérature anglaise, dans l’édition Delagrave de 1883, porte sur la page de garde, la mention suivante, manuscrite et au crayon : to miss Mary Robinson: L’un des deux au moins s’intéressait à l’autre dès les débuts du séjour Florentin. Un volume des Essais orientaux (106) présente , sur la page de garde et de l’écriture de Mary cette fois, la mention : « Mary Robinson, Florence, Déc. 1887 »(107) Si l’envoi – ou l’achat – des Etudes anglaises se comprend, celui des Essais orientaux est plus curieux. Le sujet – et le développement – en sont fort arides : une jeune poétesse anglaise, d’une indéniable compétence dans les matières littéraires, a plus de chance de s’intéresser à l’auteur qu’au contenu d’une œuvre scientifique très spécialisée , quelle qu’en soit la nouveauté (108)

Lisons la préface de Critique et politique. La première chose visible est l’admiration pour l’intellectuel et le savant : l’esprit de mon ami était si vaste et si profond qu’il tenait lieu de prince dans plusieurs royaumes de l’esprit, écartés si loin pourtant les uns des autres qu’aucun lien ne les rattache entre eux. Elle admirait, avec raison, le savant, disciple de Renan, celui dont l’œuvre compte le plus. Le poète est oublié, le critique littéraire encore plus : son éclectisme est curieux , qui va de Jeanne d’Arc à Shakespeare en passant par George Eliot . Les textes témoignent d’une grande curiosité intellectuelle mais aucun d’eux n’a bouleversé le domaine dans lequel ils s’inscrivent . C’est pourtant la poésie et la question religieuse qui ont causé la rencontre (109)

Les préoccupations de l’historien et du moraliste sont proches de celles que nous voyons à Mary. Ce sont celles de l’époque. Comment faire coexister l’agnosticisme et la prégnance du Mal avec une haute exigence morale ? Question qui hante de nombreux penseurs ! « A travers l’âpre regret de sa mère, écrit Mary dans la préface de Critique et politique, mon ami sentit grandir en lui le divin souci de la perfection morale. Et de citer un extrait d’une lettre qu’il lui écrivait en 1887 : je ne me refaisais pas un culte, mais l’athée dur, ironique, que j’étais devenu, admettait enfin que le sentiment religieux, poussé à sa puissance suprême, est l’âme même de la vie ». Tous deux sont en quête de la perfection morale dans une société qu’ils sentent en décadence.

Mary , nous le verrons, s’intéresse aux mystiques médiévaux et porte sur la morale sous-jacente aux mœurs de la Renaissance une regard aussi curieux que celui de Stendhal. Son premier époux consacre son temps à l’étude, proche parfois d’une glorification, des prophètes d’Israël ; à partir de là, il est en quête de ce qu’il appelle« l’évangile éternel » dans lequel l’apport hébreu rejoindrait celui du christianisme . (110) . Cette utopie le tint jusqu’à ses derniers moments. Il y pensait souvent les derniers jours où, pour soigner sa santé délicate, tous deux faisaient projet d’aller dans le midi pour y vivre,« tranquilles et solitaires, écrit Mary, comme deux hiboux dans une tour de notre forêt, d’une vie exquise, toute faite de pensée et d’amour ». Définition de la belle vie selon Mary Robinson :, amour et pensée dans une solitude à deux !

Outre les articles de critique et de politique , réunis par elle en volume, l’évangile éternel et des poèmes, Mary retrouva après sa mort des textes non complètement rédigés – sur lesquels donc il avait travaillé – dont une espèce de roman historique autour de Paul et du camp de Vespasien . Un philosophe pourrait juger cet éclectisme bizarre et douter du sérieux de l’homme, s’il ne savait par ailleurs qu’il fut l’auteur d’œuvres scientifiques admirées par ses pairs. Un historien se référera avec nostalgie aux penseurs de la Renaissance, Pic de la Mirandole ou Léonard de Vinci. Un scientifique se rappellera que cette génération fut la dernière où certains purent encore croire à la possibilité qu’un homme dominât la totalité des connaissances. En tout cas, on peut comprendre la fascination de Mary, à Florence, qui découvrait alors la réalité d’une culture encyclopédique qu’elle ne connaissait jusque là que par les livres. James possédait sur le plan intellectuel bien des réponses aux questions que Mary se posait et sur le plan affectif l’amour pur et absolu qui fut la quête de ses jeunes années. Il répondait aussi à son besoin de dévouement et, on peut même aller jusqu’à dire son instinct maternel. Les termes qu’elle utilise pour parler de lui à son décès intéresseraient un psychanalyste : douceur charmante, candeur d’enfant béni ; et « il est mort dans un rêve, d’une mort d’enfant » . Jusqu’à un certain point James était son enfant. Mais il fut aussi son appui ; il possédait, nous dit-elle, trois assises de roc inébranlables : la patience, le courage, la véracité car « toute sa vie il avait été à l’épreuve »

Le souvenir de « ce roc inébranlable » fut sans doute le recours de Mary après la mort de James. Une de ses amies américaines le rappelle : « Je ne peux pas m’empêcher de penser que Mary Darmesteter a raison , lorsque, puisant dans une grande douleur et les profondeurs de la vie, elle écrit à la fin de l’ouvrage : « Ce qui est vraiment important dans la vie , ce n’est pas le malheur ou le désespoir, si fort soit-il, mais les moments heureux qui les dépassent tous » (111)

Tel fut l’homme que Mary enterra un certain jour d’été 1894, et avec lui son plus grand amour.

***

Pour conclure le chapitre de leurs relations, tentons de comprendre l’aventure sociale de ce mariage . Posons en parallèle la jeune anglaise élevée dans le Londres de l’aesthetic movement, sous l’égide de la reine Victoria, du préraphaélisme et des moors d’Emily Brontë, la jeune italienne de cœur, patronnée par une esthète à tendances saphiques dans le bouillon culturel d’une cité vouée aux arts depuis quatre cents ans, et la jeune femme, dûment mariée, parachutée dans le milieu plutôt sérieux , pour ne pas dire sévère – d’un Taine et d’un Renan. Le jargon contemporain parlerait probablement de choc culturel .

Si Taine avait de l’humour, si Renan n’était pas dépourvu d’esprit et si Gaston Paris éprouvait une grande sympathie pour les poètes médiévaux , le ton de leurs salons n’était tout de même pas celui, certainement plus léger, des esthètes amis d’Oscar Wilde ou des palais florentins . Le « background » culturel était fort différent. Pensons aux discussions savantes évoquées par les biographes de Taine ou de Renan, discussions auxquelles participait Berthelot, autour des Origines du Christianisme , des Origines de la France contemporaine ou des Avestas. Mary Robinson apportait dans ce milieu une fraîcheur inhabituelle, comme en témoigne le souvenir admiratif d’André Chevrillon à Boringe , dans la maison de Taine.

Patronnée par Renan, Taine et Gaston Paris, Mary est confortée dans son désir d’ études historiques et suit ainsi la veine initiée avec John Addington Symonds . Cette volonté de travailler sur l’histoire est connue à Paris . Anatole France , encore lui, termine son étude sur les travaux de James Darmesteter, par un acte de reconnaissance envers Mary : « Mary Robinson , aujourd’hui madame Darmesteter, est un poète anglais d’une exquise délicatesse ; ses mains gracieuses savent assembler des images grandes et vivantes qui nous enveloppent et ne nous quittent plus . Et ce poète est aussi un historien . Mary Robinson a dit : « les sirènes aiment la mer , et moi j’aime le passé ». Elle aime le passé et elle écrit en ce moment une histoire des républiques italiennes . »

Le milieu intellectuel connaissait donc , de loin apparemment , le projet dont Mary parlait déjà à John Addington Symonds : écrire une histoire des « Français en Italie » .De ces recherches demeure un ouvrage un peu hétéroclite , The end of the middle ages , Essays and questions in history, publié par T. Fisher Unwin, à Londres en 1899, donc après la mort de James. Ce qui prouve au moins que, malgré son désespoir , Mary trouva assez d’énergie et d’aide auprès de ses amis pour mener à bout cet ancien projet .

Ce livre n’est pas une réussite , il touche à beaucoup trop d’intérêts divers : rôle des femmes dans la société des XIVe et XVe siècles, premiers mouvements religieux de résistance contre le catholicisme, schismes , mysticisme, politique française en Italie, etc… : chaque chapitre est solide et bien documenté mais rien n’est sérieusement situé dans l’histoire contemporaine. Chacun de ces sujets mériterait une étude à lui seul. L’ensemble manque d’idée directrice . Mary a vu trop grand, le travail était au dessus de ses moyens , pas intellectuels , pratiques . Je comprends mal que ni Taine , ni Gaston Paris, ni Renan ne le lui aient dit et ne l’aient dirigée vers un travail mieux ciblé.

Est-il permis de suggérer qu’aucun de ces grands maîtres ne prenait totalement au sérieux le travail d’une jolie femme, anglaise de surcroît, même si Gaston Paris a eu la gentillesse de se fendre d’une bonne critique du Froissart. (112) Poète , passe encore ! Mais historien ? Il est des plates bandes sur lesquelles il vaut mieux ne pas marcher , et celles de l’école normale supérieure et de l’école des chartes étaient parmi les mieux gardées : personne en France n’a parlé du livre . Mary elle-même a du s’apercevoir qu’elle s’était fourvoyée, d’où la publication , en anglais et en Angleterre , de ce qui ressemble plus à un recueil d’articles autour de l’Italie du tre- et du quattrocento qu’à un travail construit. Cette publication met fin à ses études sur ces thèmes.

Si Mary avait été un jeune homme , elle eut cherché à faire une thèse , eut sans difficultés trouvé un directeur, aurait eu des directives solides et aurait fait une carrière. Mais c’était une femme, il était donc sage de restreindre ses objectifs. Et c’est ce qu’elle fit.

Socialement beaucoup mieux accepté fut le travail avec James : c’est elle , d’après Gaston Paris, qui rédigera l’introduction pour la traduction anglaise de l’Avesta. « Il l’associait à ses travaux » : le verbe utilisé traduit la place que les savants amis de James étaient prêts à lui voir tenir. C’était aussi la place qu’elle revendiquait auprès de son mari, par amour cette fois, et nul ne sait ce que ce dernier pensait des tentatives de sa femme autour des français en Italie. Après sa mort , elle n’abandonnera pas ses recherches personnelles, mais elle se sentira d’abord comptable de tout ce qu’il aura laissé derrière lui. Elle publiera ses derniers articles dans le recueil , Critique et Politique , qu’elle préfacera. Tout le monde la louera pour cette fidélité, qualité féminine essentielle , comme chacun sait . Si bien que The end of the Middle Ages sonne un peu comme un testament , un adieu , à la fois à Florence et aux ambitions italiennes . Et nul ne saura jamais si nous n’avons pas perdu un historien.

***

James Darmesteter est mort à Maisons Maisons-Laffitte (113) , le 19 octobre 1894 : le 23 octobre on annonçait l’arrestation de Dreyfus . Mary a fait enterrer James avec la bible hébraïque de sa mère et le recueil des chants afghans : elle voyait en lui ce que lui-même y voyait : un poète et un héritier de la longue tradition juive . (114)

« Là où il est à présent je pense qu’il dort bien, qu’il dort à toute éternité, dans son lit de sable fin, sous un manteau de fleurs bleues, à l’ombre de la forêt. Sa tête.. repose sur la bible hébraïque de sa mère ; entre ses mains il tient un livre de chansons.. Que Dieu me le garde ! Il n’y a qu’une nuit entre nous : que Dieu le protège ! »

C’est dans le travail et le souvenir qu’elle se consola , ou du moins réussit à vivre , … jusqu’à l’épisode suivant , qui a nom Émile Duclaux.

– (85) – Quand Vernon revoit James à Londres, elle écrit : « un nain , un bossu , handicapé de naissance : difficile de regarder ce corps tordu et soufrant quand il est immobile, encore plus difficile quand il se traîne à travers la pièce ; c’est comme si tout son petit corps déformé allait tomber en morceaux ; il a la taille d’un garçon de 12ans » ( lettre à sa mère , in V. Colby, op cit , p. 121) ; plus tard elle reconnaîtra
que chez Mary il s’agit bien d’amour (It is love) et que James est « un homme bon , sincère ,gentil et très correct » (ibid.)
– (86) – André Chevrillon, Taine, A. Fayard , Paris, 1958, pp86, sq. La maison de Taine se trouvait à Boringe , auprès du lac d’Annecy ; dans le
chapitre II , les disparus, Chevrillon nous donne le plus long texte écrit sur une femme dans le livre (une page entière) ; les autres femmes ont droit à quelques lignes : tooujours le fameux charme de Mary !
– (87) – Fils d’Ernest Renan, peintre estimé, lui aussi contrefait et mort jeune.
– (88) – Ni Taine ni Chevrillon ne peuvent être soupçonnés d’antisémitisme ; voir plus bas la réaction d’Anatole France.
– (89) – TISSOT Ernest, Princesses de lettres, Payot, Lausanne, s.d. (circa 1909)V, pp 249 – 312,
– (90) – qui fut le directeur et un des responsables de la revue, avec Gaston Paris
– (91) – voir l’histoire du poète aveugle (chapitre 1) –
– (92) – Revue de Paris, 1894,6 (15 novembre) pp. 483 – 512 ; repris in G . Paris, Penseurs et poètes, 1896, pp. 61 sq
– (93) – Bréal Michel J. A., James Darmesteter, Paris, imprimerie nationale, 1895, -8 – Annuaire de l’école Pratique des hautes études, Section sciences historiques et philologiques, 1895, pp. 17 – 33
– (94) – 1846 – 1888 . Arsène aussi est un étudiant brillant : il obtient son baccalauréat à seize ans et sa licence à dix-huit , puis suit à Paris les cours de l’ École pratique des hautes études où il est l’élève de Gaston Paris, grand spécialiste de l’étude du Moyen Âge. Arsène est grammairien et historien de la langue française ; son petit livre de « vulgarisation » , La vie des mots , a été réédité : éditions Champ libre, 1979.
– (95) – James Darmesteter, Nouvelles études anglaises, Avant propos [de Mary Darmesteter], Ed Calmann Lévy, Paris, 1896 pp. I – XI
– (96) – Dastour : mot d’origne persane , passé en arabe littéraire : utilisé avec le sens d’instructions / instructeur/maître ; cf www.setar.info/, utilisé avec comme traduction handbook (cithare) ; cf www.mossadegh.com/ utilisé avec comme traduction instructions (dastour chahiriyan 1110 higir = instructions des souverains année 1790) . J.D. était le « Dastour français », comme on disait à Bombay ( p.IV). Ici sera traduit par maître .
– (97) – Il appelle, devant cette tombe [celle de Carnot] creusée par dix mille coupables, à l’application de la loi, qui demande des comptesau criminel du poignard et à celui de la plume, à l’assassin et aux pontifes de l’assassinat ; dans la guerre et la paix intérieure,il tente de montrer que la République est bien installée, qu’il lui revient de maintenir la paix politique et religieuse qu’elle a instaurées, et de créer la paix sociale, en luttant « non contre la société [comme les socialistes, dont il rejette les thèses] mais contre la misère » en s’appuyant sur une réforme morale ;.. la France,.. sous l’agitation d’écume de la surface, recèle des trésors profonds de sang froid, de forcemorale et d’espérance.Revue de Paris, 15 février 1894, pp. 197 – 224 ; ibid. Juil – aout 1894 pp5 – 8
– (98) – Dans La vie littéraire,( IV, p. 61 sq ) Anatole France fait un compte rendu des Prophètes d’Israël , parus en 1890 ; curieusement il accompagne la critique d’un portrait.
– (99) – Du sang, de la volupté, de la mort : Un amateur d’âmes. Voyage en Espagne, Voyage en Italie, etc.. – Paris : Charpentier et Fasquelle, 1894 ; Le Gréco ou le Secret de Tolède. – Paris : Émile-Paul, 1911
– (100) – Ce qui fut fait, malgré plusieurs interventions de Daniel Halévy ; il avait raison : connaissant les deux protagonistes , nous sommes certains d’avoir perdu quelque chose.
– (101) – James Darmesteter était une des figures de proue de ‘intelligentsia juive , artisan de la théorie du « francojudaïsme », qui cherche à « remodeler l’essence du judaïsme pour l’adapter à l’essence de la troisième République « in MARRUS Michael, Les juifs de France à l’époque de l’Affaire Dreyfus, Calman-Levy, Paris, 1972 , p. 122
– (102) – Daniel Halévy ne s’ était pas trompé sur l’intérêt de cette correspondance, lui qui fut l’ami des deux et insista, malheureusement sans succès, pour que Mabel, la sœur si p;roche, ne la brulât pas après la mort de Mary.
– (103) – Robinson Mary, [Duclaux Mary], Mary Robinson, Poésies, traduites par James Darmestete, A. Lemerre, Paris, 1888, in 16°, 143 p.
– (104) – Transplanté dans le ghetto de Paris à l’âge de trois ans, James est élevé par un père juif pratiquant, mort en 1868 « alors qu’il allumait des cierges pour une fête juive » , et une mère, exemplaire selon l’archétype de la « mère juive », morte accidentellement en 1880 ; son frère Arsène mourut en 1888 probablement de tuberculose, l’année du mariage avec Mary.
-(105) – A Olmet, par exemple, figure dans la bibliothèque le volume des essais de littérature anglaise, orné du bon à tirer pour une nouvelle édition ave, de l’écriture manuscrite de Mary, la date du bon : 23 février 1900 et la mention : tirage Olmet le 1erseptembre.
– (106) – ( Ed. A. Levy, Paris , 1883)
– (107) – Bibliothèque familiale. L’écriture de la première dédicace ne semble pas être celle de J.D.
– (108) -près le mariage la collaboration des deux se fait précise. James a traduit les poèmes de Mary ; il lui dédicace ses œuvres : le Shakespeare de 1889 est dédicacé : à ma bien aimée, James. La Légende divine est dédicacée : Mariae sacrum / 27 février 1889. Enfin la traduction française du Zend Avesta porte la mention suivante : à Mary Darmesteter, cette traduction française de l’Avesta, commencée en 1877, reprise sur sa prière en 1888, est dédiée par son mari reconnaissant, le 27 février 1892.
– (109) – James Darmesteter a publié chez Lemerre, à l’instar des grands symbolistes de l’époque ; il ne se déshonore pas à être mis aux côtésdes Heredia et Lecomte de Lisle, Anna de Noailles ou même Sully Prudhomme, qui fut, ne l’oublions pas, Prix Nobel de littérature. Mais il participe de l’oubli dans lequel tous sont tombés au profit des poètes maudits. Les retrouverons-nous un jour, comme les peintres classiques de leur époque ? C’est une autre histoire ! Reste que les deux poètes ne pouvaient que se rencontrer.
– (110) – Il feuilletait nous dit-elle, la vieille bible qu’il tenait de sa mère, il voulait en extraire, en les traduisant, tous les versets qui servent encore à soutenir tous ceux que travaille la soif divine. Il voulait en faire « un vademecum dépourvu de tout dogme, que tous pourraient lire, qui ne blesserait aucune foi et serait pour tous une aide dans le combat spirituel » ; « Dans les traces de ce travail, ajoute-t-elle, je retrouve mon ami, mon James triste et profond, …un James historien, un James homme de Dieu ». Nous ne sommes pas très loin ici des ambitions folles de la jeunesse dont sourit Gaston Paris ; Mary la raisonnable les a-t-elle partagées ? Elle a cru de son devoir de l’y aider . Rappelons ici les ambitions du projet de calendrier manuel des serviteurs de la vérité de Paul Desjardins , dans lequel auraient trempé Gaston Paris et … Emile Duclaux (Anne Heurgon, Paul Desjardins, P.U.F. 1964).
– (111) – Sarah Jewett, [The Sarah Orne Jewett project, Terry Heller, Coe college, www.public.coe.edu//.. ] lettre n° 76, dossier J.Darmesteter ; La phrase citée est dans la Vie d’Ernest Renan.
– (112) – Froissard (1894) : le petit livre, travail contemporain de celui mené sur l’Italie, a été très suivi par Gaston Paris ; Le livre est mentionné , favorablement, dans un article critique de René Doumic , dans la Revue des deux mondes , 1894/(09 – 10) , pp . 923 – 935.
– (113) – Trente ans après Mary revient au « northern pavillion » loué pour l’été à côté du champ de courses de Maisons-Laffitte ; elle y évoque leurs derniers instants de bonheur : « O doubled brain, twin souls , and hearts /That mirrored each the deepest deep /Where our unconscious Being starts / And murmurs in his dreamfull sleep ! “ Images and meditations, The northern pavilion , XI
– (114) – Toute la correspondance entre Mary et James, et peut être tous les poèmes qu’elle a écrits pendant ces quelques années de bonheur, tout a disparu . Par la volonté d’une autre femme , l’éternelle seconde, la sœur et l’amie de toujours, Mabel . Mary avait demandé cette destruction, la chose est sure ; Mabel a-t-elle eu raison de lui obéir ? Chacun répondra à cette question selon sa conscience. Toujours est-il qu’il ne reste rien de ce qui fut le monde du bonheur, et qui dura si peu. Le souvenir en resta en Mary jusqu’à la fin , après laquelle , malgré l’agnosticisme, elle espérait vaguement , sans savoir comment , qu’elle pourrait revoir James. « Je ne m’en suis jamais consolée » avouera-t-elle à Maurice Barrès.