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Histoire de la propriété depuis 1892

Préhistoire

            Quand Émile Duclaux se retrouva veuf en 1880, en charge de trois petits garçons, dont un bébé qui survécut environ un an à sa mère, il refusa la proposition de sa belle-mère, Laure Briot, de se charger de l’éducation des enfants et voulut s’en occuper lui-même. Ce qui, avec ses travaux de recherche, la direction de l’institut Pasteur et quelques autres menues tâches, ne lui laissait pas beaucoup de loisirs.

            Laure Briot, « grand-mère Briot » pour ses petits-enfants, ne lui en voulut pas de son refus et l’aida de toutes ses forces, en supervisant notamment les efforts de la bonne Catherine, présente jusqu’à sa mort auprès des deux garçons. J’entends encore mon grand-père, Jacques Duclaux, en parler avec une émotion et une affection qui dépassait de beaucoup son statut ancillaire. Catherine était née dans le Cantal, et assurait ce qu’Émile jugeait prioritaire : une éducation saine, loin de la pollution des villes, ce qui, pour Émile, avait surtout une signification morale.

 « Ma grand-mère a gardé Mélanie pendant vingt-cinq ans et Catherine a pris sa retraite après quarante ans sans avoir changé de situation. Les deux étaient considérées comme faisant partie de la famille et, du point de vue affectif, traitées comme telles, prenant part aux joies et aux peines. » (Souvenirs de Jacques Duclaux)

            Le projet nécessitait une maison de campagne, pas trop loin d’Aurillac, ce qui facilitait l’accès depuis Paris et permettait à la famille aurillacoise, essentiellement les Pichot -Duclos, d’intervenir si nécessaire.

            Émile commença par louer le château du Fau, entre Aurillac et Marmanhac. Les deux garçons, scolarisés à Paris, y passèrent tous leurs congés, partagés entre les longues courses à bicyclette, les randonnées pédestres et les rencontres avec les voisins de leur âge, dont les plus proches étaient les Sevestre. Ces derniers avaient une maison à Pradines, tout près du Fau, et une fille, Madeleine. Pierre, l’ainé, s’intéressa à elle et la rencontre finit, comme dans un roman bourgeois, par un mariage en 1908. Mais c’est une autre histoire !

Nelly Rhodes
Nelly Rhodes, née Pichot Duclos : cousine d'Emile . Elle se chargea , avec un grand dévouement, de l'achat et des constructions de la nouvelle maison.

L’achat

            Les dossiers d’Émile, très soigneusement conservés, montrent un souci de clarté que de mauvaises langues pourraient qualifier d’auvergnat ; notons au passage que ces dossiers comprennent aussi la comptabilité de son voyage de noces en Italie, soigneusement tenue par Mathilde, dans lesquels on a le plaisir de découvrir la mention suivante : le….1880 donné à un pauvre :  2 sous . L’honnêteté commence par la rigueur. Former la jeune épouse à son rôle de gestionnaire de la famille ne saurait attendre, fut-ce sur les bords du lac de Garde.

La propriété d’Olmet fut achetée aux héritiers de l’évêque de Saint Flour, M. et Mme Pagès, qui résidaient dans la vallée ; dans mon enfance, la famille, toujours anticléricale, disait « les enfants » de l’évêque. Les dispositions du contrat de vente donnèrent lieu à discussions infinies, notamment autour des problèmes de l’eau. La correspondance montre Monsieur Pagès un peu hérissé devant les demandes de son acheteur, les nécessités d’un laboratoire, indispensable à Émile, n’ayant rien à voir avec l’utilisation agricole à quoi propriétaires comme fermiers étaient habitués ; monsieur Pagès fait néanmoins tous ses efforts pour contenter son acheteur, jouant les intermédiaires avec une bonne volonté touchante : Émile est un fils du pays, il ne l’oublie pas, même s’il a un peu changé au contact des « parisiens ». Et madame Pagès, qui sert de secrétaire à son mari, passe son temps à mettre de l’huile dans les rouages. On retrouve ces mêmes incompréhensions dans les rapports avec l’architecte.

façade nord : plantations

L’aménagement  

Les travaux menés à Olmet après l’achat sont conduits par un architecte et débutent naturellement en 1892 par un plan de la maison portant, en rouge, les modifications proposées. Le 20 septembre on règle les frais d’adjudication (1802 francs). Et on passera aux choses sérieuses au printemps suivant.

1892 : Plan de la maison à l’origine ; premières modifications en rouge

            Reçu des frais d’adjudication de la propriété (20 septembre 1892)        1 802.00  

1893 :

L’architecte effectue le suivi avec attention : quatre lettres mentionnent autant de visites, dont une « avec Madame Rhodes », chaque lettre est accompagnée d’un descriptif de l’« état des travaux ». Des plans sont joints : château d’eau et canalisations, terrasse, écurie (!! vaches ? chevaux ?) ; accès à la chambre de la tour (escalier indépendant ?). Les factures sont certifiées. L’architecte se charge aussi des espaces verts : un jardinier a fourni 88 demi-journées de prestations, pour la somme de 254 francs ce qui met la journée de travail à ~ 5 francs.  Émile peut arriver, la maison commence à être utilisable ;

1894 :

      Quatre lettres décrivent les aménagements intérieurs : peintures, papier peint, etc. Le gros œuvre est manifestement la construction de la fontaine à la place de la cuve en pierre (abreuvoir à bestiaux) qui figure sur les premières photos. Une rocaille est prévue, qui nécessite un wagon (sic) de pierres commandées chez un entrepreneur de Volvic. Un devis est présenté pour les arbres du parc. 

1895

            Les lettres de l’architecte concernent des détails, surtout le jardin : construction d’un « rocher chute d’eau », des plantes fournies par Moindrot (Moindreaux !), horticulteur à Aurillac ; les dépenses regardent l’installation et le fonctionnement du laboratoire : instruments scientifiques, dont un baromètre, un chronomètre, des balances et des poids, etc., le tout généralement décrit comme destiné au « laboratoire agricole d’Olmet »      

Avant l'achat la "fontaine" était un abreuvoir destiné aux animaux

avant l’achat la « fontaine » était un abreuvoir pour les animaux

1896

            La famille s’est installée. Les factures concernent un peu le jardin, un peu la vie domestique et beaucoup le « laboratoire d’études laitières ». L’horticulteur d’Aurillac qui a déjà sévi fournit des plants d’arbre et des journées d’ouvrier.  La vie domestique est organisée sur un mode que je qualifierai de « colonial » : on importe par colis entiers de l’« épicerie » (un colis de 34 kilos !) ; les chemins de fer d’Orléans livrent six colis, dont un panier,  de pommes de terre, fruits et légumes , curieusement mêlés à des livres  (dans 3 colis !) Si j’en juge par le montant, la perte pour l’économie locale n’est pas négligeable : les six colis arrivés par chemin de fer avaient couté 83, 25 francs rien que pour le transport : comparez avec le cout d’une journée de jardiner (voir supra)

Doit-on en conclure que le marché de Vic sur Cère ne pouvait offrir de pommes de terre ? J’en doute. Je pense plutôt qu’il s’agit de ce bon vieux réflexe parisien, selon lequel on ne trouvait rien de valable sur place. Les femmes de la famille y étaient soumises, et l’amour d’Émile pour sa « petite patrie » ne pouvait s’y opposer : la vie familiale est royaume féminin, souvenons-nous de la jeune épousée s’astreignent aux comptes du voyage de noces, et cessons de nous étonner que le statut des femmes ait été si archaïque, malgré les suffragettes : chacun s’empare des miettes de pouvoir qui lui sont laissées. Après Molière, Mary Robinson-Darmesteter-Duclaux a écrit des choses fort censées à ce sujet.  Et je me souviens des réflexions désobligeantes de ma grand-mère à propos des ressources locales : les caves de la maison contiennent encore d’énormes malles métalliques qui attestent la réalité de ces transports.  Dans mon enfance la seule chose que nous autres enfants avions le droit d’acheter à Vic était les gâteaux, par ailleurs excellents, de la boulangerie Magne dans la rue basse. Nous usions de cette latitude sans modération.

Tour et façade nord

  Disons un mot de la « chapelle ». L’évêque avait laissé derrière lui une chapelle, qu’il utilisait pour les messes quotidiennes à quoi l’obligeait son état. Elle est située au rez de chaussée de la tour ouest, donc à l’étage des caves, et toujours nommée ainsi. Autant les deux grandes pièces qui la surmontent, au rez de chaussée et à l’étage, sont utiles – et utilisées actuellement comme chambre et bibliothèque – autant la chapelle est en dehors des circulations communes et l’a toujours été. Mary Duclaux lui découvrit un usage inattendu : salle de bal pour la jeunesse du village ! Ce qui lui valut une volée de bois vert de la part du docteur Roux, successeur d’Émile à l’Institut et son fidèle correspondant. 

1897

            La famille a quand même dû réaliser l’absurdité de ces achats lointains. Peut-être après tout, les légumes frais n’étaient-ils pas si nombreux sur le marché de Vic où pratiquement chacun, y compris les bourgeois, avait son potager et ses arbres fruitiers. Ce n’était pas la même chose à Aurillac, mais les prestations de la ville souffraient du même mépris, si j’en crois les déclarations de ma grand-mère, et aller à la ville en voiture à cheval nécessitait plusieurs heures de trajet. La solution est évidente : avoir son propre potager et quelqu’un pour l’entretenir. 

C’est en 1897 que, dans le compte rendu d’une de ses visites, l’architecte explique que « la fermière de M. Pagès (le vendeur) est disposée à entretenir le potager », ceci en attendant le recrutement d’un jardinier, lequel sera hébergé dans « la propriété voisine » = la maison Vernis (voir plus bas). Cette acquisition va changer le mode de gestion : inutile par exemple, selon l’architecte, de prévoir le remplacement des arbres morts ou la réparation des murs de pierre sèche, « du moment que vous êtes acquéreur de la propriété voisine, » : sous-entendu, ce sera le travail du futur jardinier. En quoi l’architecte se trompe, ce qui le rendra furieux : il n’a pas prévu les réticences de l’intéressé, ni les velléités libérales d’Émile, qui ne voudra jamais user de son pouvoir de façon aussi coercitive que les propriétaires du coin.  Comme quoi l’opposition entre capitalistes provinciaux et intellectuels de gauche parisiens ne date pas d’hier.

réalisation de la fontaine ; au fond, à gauche la maison du jardinier (maison !Vernis) et, à droite, une vieille grange qui n’existe plus

En 1897 l’occasion se présente d’acheter une maison du village , située juste au dessus de la fontaine : on la voit avec son toit de chaume sur les premières photos du jardin La vente est passée le 25 septembre 1897 chez le notaire de Vic. Le descriptif en est curieux : : 1 : une maison « en ruines » dite maison du fermier : n° 271 du cadastre de Vic ; 2 : une portion de terrain numéroté 272 au même cadastre ; 3 : quelques parties , avec leurs délimitations , sans numéro de cadastre !!! « Les immeubles ci-dessus vendus sont situés au village d’Olmet et sont attenants à la propriété de l’acquéreur »

L’achat est rapidement conclu et les travaux d’aménagement commencent immédiatement . Le couple de jardiniers va pouvoir s’y installer

Réfection de la maison Vernis : les jardiniers sont censés occuper le rez de chaussée ; une entrée coté nord permet l’accès à un escalier qui monte au premier étage, réservé à la famille (Pierre Duclaux y résidera) : on y ajoute une terrasse sur les loges à cochon

              Recruté en avril 1898, Urbain est payé jusqu’au 25 octobre de cette même année : 455 francs, plus une gratification de 30 francs, sur la demande expresse d’Émile, et le remboursement des frais qu’il a engagés. Il n’est pas payé pour les périodes d’absence des propriétaires, il jouit seulement de la maison Vernis, de l’herbe – pour ses bêtes, et du droit d’élever quelques bestioles, à condition qu’elles ne viennent pas devant la maison de maitre !!! Belle disposition ! Allez donc les en empêcher quand les propriétaires s’opposent à tout inesthétique grillage !

les enfants Duclaux montés sur Lolotte et guidés par Urbain

Je n’ai aucun moyen de savoir si ces sommes sont -ou non – généreuses ; ce que je sais, par contre et par expérience, c’est que le contrat des jardiniers, dont j’ai hérité avec la propriété, était d’une grande stupidité : il prévoyait notamment que la famille avait devait recevoir les fruits du potager lorsqu’elle était présente et que le jardinier en jouissait en dehors de ces périodes. Le résultat était quasi inévitable : il n’y avait plus rien dans le potager quand la famille était présente… En revanche tout le village savait – et la famille aussi par voie de conséquence – que la jardinière vendait ses produits sur le marché de Vic. Quoi vérifier ? Et comment ? 

1900 – 1904

            L’essentiel est fait : on règle les comptes de l’architecte. La famille est installée : on utilise le mobilier vendu par M. Pagès en même temps que les murs (pour 847 francs) ; on l’améliore, essentiellement grâce à Mary Duclaux, qui a épousé Émile en 1894 – achat de couverts et d’une louche en argent par exemple -. Elle enverra à Olmet le mobilier de l’appartement parisien qu’elle abandonne pour vivre avec Émile ; il ne reste plus grand-chose du mobilier des Pagès, à part deux immenses armoires et deux magnifiques tables de ferme ; autre ornement :  un splendide banc à sel originaire du val de Loire, acheté par ma grand-mère, Germaine Appell -Duclaux, et que j’ai récupéré dans la « chapelle » 

            Pour mon grand-père, Jacques Duclaux, Olmet était le refuge par excellence ; le domaine l’a été pendant les deux guerres mondiales, il peut l’être encore. Jacques D. pensait qu’il fallait l’entretenir dans cet objectif ; y vivre en autarcie est possible, le potager offre des ressources immenses, on peut y élever poules, lapins, moutons, cochons, etc. Les bois voisins offrent le chauffage… Bref la famille s’efforce de suivre le conseil de Jacques : accueillir et faire front, au cas où…

            Ne parlons pas de malheur ! Mais n’oublions pas que le RSA – le revenu de base, quel que soit le nom qu’il porte ou portera, s’il est insuffisant en ville, permet de vivre très bien en milieu rural ; la région en montre de nombreux témoignages… Le nombre des néo-ruraux augmente, il y a bien des raisons à cela.