Études 1

Un parcours poétique
La poésie du monde

Quatre vingt sept ans ! Quatre vingt sept ans , à la fin desquels il « reste peu de choses » :. Est-ce vrai ? Au soir de sa vie quelque chose reste à Mary : un espoir ! Et une ouverture !

Qu’y avait-il au cœur de cette vie, derrière les rêves qu’elle n’a pu ou su réaliser ? Elle avait voulu être historien et n’avait pu le devenir. Elle avait été une fille et une épouse conformes au modèle victorien, en cela au moins qu’elle s’est volontairement soumise à ce qu’elle – et la société – considérait comme son devoir : prendre soin de sa famille, de ses maris successifs , des enfants qu’elle adopta de fait , même si ils ne lui étaient pas liés. Cette tâche suffisait à justifier la vie d’une femme aux yeux du monde, aux siens aussi ; mais elle ne lui a jamais vraiment suffi. L’écriture publique, la famille, les amis, sont l’écume des choses et s’il n’y avait eu que cela, Mary n’eut été qu’une femme estimable parmi des milliers d’autres. Or elle a été plus.

Il y a au cœur de son existence un domaine secret, une source vive dont le reflet illumine les recueils de poèmes, l’élément vital auquel elle revient toujours ; c’est l’armature de son être, qui lui permit de traverser les plus dures épreuves et d’afficher face au monde l’image harmonieuse que tant de gens ont aimée : la poésie.

Mary vécut dans la poésie, sinon pour elle . L’écriture poétique était d’abord , nous dit-elle, menée hors tout espoir de publication, encore moins de reconnaissance ; toute sa vie elle a travaillé ses poèmes sans jamais en être satisfaite ; jusqu’à la fin elle a conservé des brouillons jamais publiés et qui ont, semble-t-il, disparu. Pourquoi ce souci qui ne vise que soi même, cet accompagnement continu d’images dont l’auteur n‘attend aucune récompense ? Pourquoi, sinon parce qu’ils construisent la charpente sans laquelle l’édifice s’écroulerait ?

La poésie est d’abord un « être au monde », une façon d’appréhender le monde , de l’apprivoiser , d’y prendre place et d’en tirer ce dont l’âme a besoin pour subsister.. Pour celui qui a renoncé à transformer le monde et les hommes, la poésie est le monde qu’il porte en lui , posé face au réel dont il console . Qu’elle puisse devenir un moyen d’intervenir, une voie de succès, n’est qu’une éventualité parmi les possibles. La poésie n’est pas seulement un moyen de survivre , elle n’est pas la consolation de la vie, elle est la Vie, la seule qui vaille d’être vécue. Peut-elle donner le courage de vivre ?

La poésie accompagne Mary jusqu’à sa mort. D’abord l’aventure imaginaire d’une adolescente qui vit dans les livres . Puis la jeune fille découvre le mal social et la laideur de la société Victorienne : c’est cela quelle veut offrir à l’indignation de ses lecteurs, dans un effort de poésie « réaliste ». Elle n’a aucun succès, ce n’est pas ce que la société attend d’une œuvre féminine. Découragement alors et repli sur soi même. Immédiatement après découverte de la beauté et de l’amour dans une Italie à la fois réelle et mythique : ici la poésie devient l’expression de la sensation heureuse. Mary reste sur ce mode pendant les six années qui vont de la séparation d ‘avec Vernon à la mort de Darmesteter ; c’est le bonheur enfin, mais aussi le doute et la peur.

A partir de ce moment deux tendances s’expriment. L’une , liée à la vie avec Émile, chante le monde rural tel qu’elle le voit dans cette Auvergne qui l’accueille : elle n’a guère plus de succès que la tentative réaliste de ses premières années, et ne mérite guère plus. L’autre , plus intéressante , tente de célébrer les beautés du monde, ressenties comme de simples apparences à travers lesquelles l’âme peut percevoir fugitivement l’autre monde, celui de l’idéal éternel . Et là elle rejoint un des mouvements de fond de la pensée européenne d’avant 1914 ; les références sont nombreuses : Mallarmé, Whitman, Nietzsche, pour l’écriture ; Odilon Redon , Maurice Denis ou Gauguin pour la peinture, et bien d’autres.. . La poésie exprime l’attente d’autre chose : elle le restera jusqu’au moment de passer sur l’ »autre rive »

La poésie est l’histoire d’une âme.

1-L’imaginaire : de la légende à la musique

Au début , et avant d’être une raison de vivre, la poésie est la joie de la jeunesse et le rêve de l’amour . A côté des poèmes imités des mythes préraphaélites , à côté de la tristesse , vraie ou inventée , et de l’amour désiré et perdu, il y a le bonheur de la musique , de la danse et des jeux .Oscar Wilde dit de la poésie féminine victorienne qu’elle est un « new song movement » dont il souligne le caractère à la fois musical et passionnel – « the great raptures of a spiritual nature » – (225) Ce qui convient parfaitement à certains des premiers poèmes de Mary. C’est si vrai que des musiciens s’y sont attaqués : des femmes comme Maude Valérie White, (226) ou Teresa Del Riego (227) et surtout Reynaldo Hahn (228) . Écoutons ces poèmes, en anglais de préférence :
Love is a bird that breaks its’ voice with singing ,
Love is a rose blown open till it fall,
Love is a bee that dies of it’s own stinging,
And love the tinsel cross upon a pall.
Love is the siren, towards a quicksand bringing
Enchanted fishermen that hear her call.
Love is a broken heart, -Farewell, – the wringing
Of dying hands . Ah ! Do not love at all !

Rosemary leaves !
She who remembers cannot love again..
She who remembers sits at home and grieves.

(Stornelli and strambotti, Italian garden)

Amour est un oiseau qui se brise la voix en chantant
Amour est une rose qu’un souffle fait tomber,
Amour est une abeille qui meurt de sa propre piqûre
Amour est une croix qui scintille sur un cercueil
Amour est la sirène, qui conduit aux sables mouvant
Les marins qui entendent son appel.
Amour est un cœur brisé – Adieu , – mains qui se tordent,
En mourant . Ah ! Gardez vous d’aimer !

Feuilles de romarin !
Celle qui se souvient ne peut plus aimer !
Celle qui se souvient reste chez elle et pleure

***
Ah, could I clasp thee in my arms
And thou not feel me there,
Asleep and free from vain alarms
Asleep and unaware !
… …
We did not dream , my Heart, and yet
With what a pang we woke at last !
We were not happy in the past
It is so bitter to forget.

We did not hope , my Soul, for Heaven ;
Yet now the hour of death is nigh,
How hard, how strange it is to die

Like leaves along the tempest driven.
(semitones, Italian garden )

Si je pouvais te serrer dans mes bras
Et si tu pouvais ne pas le sentir
Endormi , sans crainte des alarmes vaines
Endormi et inconscient

Nous n’avons pas rêvé , mon Cœur, et pourtant
Avec quel choc nous sommes nous réveillés !
Nous n’étions pas heureux jadis
C’est si dur d’oublier !

Nous n’avons pas, mon âme , désiré le Ciel
Pourtant l’heure de la mort est proche .
Comme c’est difficile , comme c’est étrange de mourir
Comme les feuilles entraînées par la tempête !

***
We sat when shadows darken,
And let the shadows be ;
Each was a soul to hearken,
Devoid of eyes to see.
You came at dusk to find me ;
I knew you well enough…
O lights that dazzle and blind me –
It is no friend but love !

I love you not ; you love me not ; I know it !
But when the day is long
I haunt you like the magic of a poet,
And charm you like a song
(Love without wings, Italian garden )

Nous étions assis quand les ombres noircirent,
Laissez faire l’ombre
Chacune était un esprit qu’il fallait écouter
Car il n’avait pas d’yeux pour voir.

Vous êtes venu me voir à la brune
Je vous reconnaissais bien ..
O lumières éblouissantes qui m’aveuglent –
Ce n’est pas l’ami mais l’amour !

Je ne vous aime pas ; vous ne m’aimez pas ; je le sais .
Mais dans la lenteur du jour
Je vous hante comme la magie du poète
Et vous charme comme une chanson.

Celia’s home-coming

Maidens, kilt your skirts and go ,
Down the stormy garden-ways,
Pluck the last sweet pinks that blow,

Gather roses, gather bays,
Since our Celia comes to-day
That has been too long away
( an Italian garden)

Celia est de retour

Serrez vos ceintures , jeunes filles et partez,
Suivez les allées du jardin sous l’orage,
Cueillez les derniers œillets qui s’ouvrent
Ramassez des roses, ramassez des baies,
Car notre Celia revient aujourd’hui
Qui est restée si longtemps loin de nous .

C’est fort joli, ce n’est pas de la grande poésie, mais cela rappelle de l’autre coté du channel les chansons du Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand, les Emaux et camées deThéophile Gautier, et , pourquoi pas puisqu’elle l’a tant aimé, le Victor Hugo des Odes et ballades (229) , La jeune fille que nous avons vue hantée par la mort est aussi capable de romantisme, un peu tardif tout de même.

2-Vers le réel : le chemin n’existe pas (230)

Agir pour changer le monde ?

Au début, le lyrisme sans prétention réussit car c’est exactement ce qu’attend le public A dix huit ans , Mary comme bien d’autres, ne peut pas s’en contenter ; elle rêve de participer à la discussion des grands problèmes de son temps et , pourquoi pas , de transformer la société . Car la sienne , celle de Dickens et de Thackeray, celle d’ Engels et de Marx, cette société est inacceptable . Pour celui qui vit dans les livres et ne manie d’autre arme que la plume , la première tentation est de rendre compte du mal, afin de le rendre odieux et de le conjurer . C’est ce que font les intellectuels du temps, pourquoi ne ferait-elle pas de même ?

« Le mal que j’ai entendu et vu est un fer qui a transpercé mon âme , dévoré mon cœur, m’a brûlée d’une peine et d’une pitié incontrôlables ; et j’ai pleuré à la pensée de ce que tout cela signifiait , et j’ai dit : je ne veux pas pleurer seule » (231)

Pourtant Mary n’habite pas ce monde dont elle a horreur, elle en est heureusement séparée : séparée du mal et de la pauvreté par la richesse et le confort, séparée de la laideur et de la vulgarité par la culture, séparée, en résumé, par la distance sociale.

« Nous étions assis, joyeux , à l’abri de la pluie et du froid de Noël … Mais, ah !, les cantiques, les carillonneurs sont là de nouveau , dehors , dans le froid.

La vitre est transparente comme l’air, entre eux sous la pluie et moi dans la lumière, le nœud de mon ruban danse sur le front du meneur, les globes des lampes brûlent dans la mousse , et mon visage pâle, voici maintenant, il me semble, qu’ils le secouent avec leurs clochettes.

Si noire est la nuit, si noire , hélas ! Je vois le monde , nul doute ! Pourtant je ne vois rien dans la pièce , rien dans la fenêtre , rien autre que les arbres et le gazon, et des hommes dehors que j’aurais à connaître » (232)

Symbole de ce qui lie et sépare, la fenêtre est un mur transparent entre la chaleur et le givre, entre la jeune femme et le monde (233) , Cette séparation, par ailleurs bien confortable est inacceptable. Parler ou écrire ne suffit pas , il faut agir , il faut aller vers le froid et la pauvreté, le danger extérieur . Mais où trouver le courage d’affronter la laideur et la vulgarité , où prendre le risque de choisir l’inconfort et le malheur ? La tentation naît de refuser, de fuit ce qui vous fait si peur. Mais si l’on fuit , comment agir ?Cette contradiction traverse toute la jeunesse de Mary .

Reste le monde des idées , beaucoup moins dangereux. Le dix neuvième siècle européen découvre l’histoire des hommes à travers les premières fouilles scientifiques, l’histoire de l’humanité avec l’évolutionnisme. Ce que la raison des Lumières a commencé , le début des sciences humaines vient l’appuyer . Des peuples ont existé, qui ont pu atteindre des niveaux esthétiques et moraux égaux , – ou peut être supérieurs – à ceux de la chrétienté occidentale . Le fondement religieux et moral de la société européenne chancelle ; comme le progrès matériel , le progrès moral est possible. C’est un espoir collectif , une voie de sortie hors de cette société que Mary déteste. Pourquoi ne pas le célébrer ?

A côté des quelques tentatives de réalisme social – les pauvres, les abandonnés … – nous rencontrons le Darwinisme :

« Quand les fougères de la forêt primitive
commencèrent à ombrager les sombres lagunes de jadis
Une longue agitation, vague , inconsciente,
Roula à travers les grandes feuilles d’or vert ».

Alors apparaissent les fleurs et les fruits que va cueillir, heureux, le singe primitif

« Jusqu’à ce que , enfin , remue en lui
L’ancienne, la lointaine inquiétude oubliée
Qui traverse son monde d’oiseaux et de vent
D’une sorte de divine tristesse. » (234)

L’angoisse métaphysique qui transforme le singe en homme ! Vision poétique intéressante .
Et avec l’angoisse métaphysique naît l’espoir d’un autre monde ; les étrusques aussi le connaissaient, ce n’est pas celui du christianisme. Le roi de la tombe étrusque

« Qu’a – t – il choisi pour témoigner sur son tombeau ?
Un rappel de sa gloire sur la terre ?
La plainte de ses amis ? Le paean des braves ?
La promesse sacrée d’une seconde vie ?

Les anciens tombeaux grecs en Sicile
Sont parsemés de fins disques d’or gravés
Emplis de la louange de la Mort : trois fois heureux celui
Qui dort du doux sommeil des rêves jamais dits :

Ils dorment leur patient sommeil dans des terres altérées,
Dans leurs mains décharnées une promesse d’or » (235)

Pas mal , mais pas extraordinaire. La poésie philosophique n’est pas vraiment le domaine de Mary, pas plus que la poésie historique à quoi elle s’est essayée. De ces essais il n’y a pas grand-chose à dire ; l’échec d’ A new Arcadia semble prouver qu’elle se trompe de voie .Faut-il renoncer à agir via la poésie ? Mary persiste, Violet prétend que la poésie n’a que des buts esthétiques : la discussion est au cœur d’un des essais de Belcaro (236) , ce qui prouve que Mary eut du mal à se résigner

« Les grandes choses que j’aime, je ne peux pas les faire ; les petites choses que je peux faire , je ne peux les aimer… Jamais je n’ai senti notre monde aussi vain , le ciel au dessus aussi vide ! . Finalement néant est doux et rien n’est vrai » (237)

« le chemin qui ne va nulle part luit dans le matin …. Il y a un moment fatal, tranquille … celui où l’on voit le chemin disparaître de la vue . C’est la fuite du jour , et la terreur de la nuit » (238)

Reste le devoir de vivre :

« Allongée je repose sous les arbres solitaires ; mon cœur est calme , il ne s’est pas rompu …L’herbe devrait être au dessus de moi, non dessous … Non , non, lâche vouloir ! Tu dois accomplir la tâche qui t’est destinée ; aucune âme, grande ou faible , ne peut se lever seule et tomber seule … Je vais me lever et porter le fardeau que tout homme , partout , a supporté, doit supporter , supporter encore , jusqu’à la fin qui assure l’oubli » (239)
Le monde est un scandale inacceptable, soit ! Difficile d’en rendre compte honnêtement, et surtout d’ attendre de cet effort une quelconque efficacité. Encore plus difficile d’agir . Ce ne sera pas par ces voies que Mary atteindra la justification de son existence. La sagesse est donc d’y renoncer, d’abandonner ce chemin . Que faire alors ?

.Fuir là bas , fuir ?

« J’avais de grands desseins pour ma vie ; elle semblait valable et mon futur brillant / je rêvais l’autre nuit , et vis ce présent qui disparaissait . Alors je vis cette vie supposée, je vis nos deux visages dans la glace , le sien libre et sans peur, le mien , hélas , sourcils bas et bouche amère, dont les lignes montraient la sécheresse de l’âme ». (240)

. En dehors de l’écriture et de la poésie qui manifestement ne suffisent pas, quel avenir proposer à une adolescente de l’époque victorienne , si sensible à la laideur et à l’hypocrisie latentes ? L’époque est riche en possibilités techniques ou politiques , la marche de ce qu’on appelle le progrès est visible. Reste que , s’il est possible à une fille d’étudier et de comprendre, malgré tout l’amour et l’appui de ses parents il ne lui est pas possible de participer et d’agir .

Que faire alors s’il n’y a pas de voie de sortie ? Revenir au rêve : parmi « les monuments oubliés d’un monde perdu » (241) . Elle en a l’habitude, elle peut y trouver des refuges : aucun n’est sûr , tous sont viciés par le mensonge, l’erreur , … et la mort .

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« J’attends seule dans un pays étranger aux rivages solitaires : qui me consolera de mon tournent ? L’Amour ne m’apporte pas d’aide , à moi qui m’attarde au loin [that lingers afar] , le ciel est une prison. Ô mer prends mon cœur dans tes vagues , détruis la passion qui vise ailleurs [ Love that lingers afar ]. Et toi, vent, ne te plains pas , ton souffle inanimé peut s’élever et fuir alors que mon trop faible désir ne le permet pas . » (242)
Mon trop faible désir ? C’est sa faute si elle ne peut larguer les amarres. Reste l’oubli , … et le rêve !

I : Je suis née sous le signe de la lune , ma place n’est pas au midi ; la lune blanche est seule comme je le suis ; les roses grises sous la lune sont aussi blêmes (wan) que celles que je regarde ….

V : J’ai semé le champ d’amour , mes voiles ont parcouru la mer ; et tous mes semis sont des herbes amères, mes voiles sont déchirées, le vent a brisé le mat . Tous les vents ont fané et détruit mes voiles , tous les vents ont fané et dispersé mes graines , les tempêtes ont brisé mes efforts ; laisse moi donc dormir , dormir pour toujours …..

X : Il y a une sirène dans la mer, elle chante tout le jour et tresse ses cheveux pâles, vous avez vogué sept ans , sept ans sans arrêter , jusqu’à ce que vous arriviez là .
C’est là que nous irons , c’est de là que nous voguerons loin du monde , pour entendre les jeux des sirènes ; là nous irons nous cacher parmi leurs tresses , puisque le monde n’est que sauvagerie déserte . …

XII : Oublions que nous nous aimions tant, oublions que nous devons nous séparer , oublions que voir ou toucher l’un menait au cœur de l’autre .
Nous nous assiérons sur l’herbe fleurie , nous écouterons l’alouette et l’hirondelle qui passent ; nous vivrons seulement un moment comme les enfants jouent , sans hier , sans demain . (243)

Vivre hors du temps , dans les « isles fortunées » d’un monde « vrai » ! Est-ce possible ? Apparemment les années italiennes avec Violet correspondent à quelque chose de ce genre ; mais il semble qu’à côté de la beauté du monde révélée par l ‘amour coule sans s’arrêter le petit fleuve de l’inquiétude : quel avenir ?

« Seigneur, accorde moi l’Amour ..ou donne moi le silence des champs inimaginables de la mort ,. (244)

Le bonheur peut-il n’être qu’un intermède ? La même question se posera après la mort de James.

Heureusement Mary a des ressources, du courage , … et du sens pratique Ce sont sans doute les raisons pour lesquelles ses parents , qui ne peuvent lui assurer le rôle qu’elle souhaite l’ont laissée chercher la guérison – une guérison – dans cette Italie où tant d’autres avant elle l’avaient déjà trouvée.

3-L’impressionnisme et la beauté du monde

Kennst du das Land wo die Zitronen blühn ? (245)

En 1880 a lieu la première rencontre avec Vernon Lee, qui invite Mary à la venir voir en Italie ; elle l’y rejoint pour de longues périodes à la « casa Paget, » où elle trouve une seconde famille. S’ouvre alors une période féconde , qui voit paraître cinq œuvres différentes , deux recueils de vers, le premier – et seul – roman , Arden (246) , la traduction d’Euripide et la première étude sur Marguerite d’Angoulême . Vernon est une grande travailleuse , et on ne peut pas dire qu’elle n’ait pas poussé ses amies à l’effort

Vernon vit dans la contemplation et l a réflexion esthétiques, et Mary vit dans la poésie . Les vers sont très travaillés, parmi les meilleurs qu’ait écrit Mary . Ils parlent d’amour d’abord , et de l’amour du monde.

Un monde nouveau est là qui s’offre , un monde inconnu qu’aucun livre n’a jamais égalé, : la beauté immédiatement présente, la lumière et la culture incarnées dans les choses. . Dans l’édition d’ un jardin italien (1931), les aquarelles, rose, bleu et gris, de Maurice Denis transcrivent – et non traduisent – le charme de la lumière toscane, l’immobilité éternelle de l’air et l’angoisse de ce qui ne dure que parce qu’il est là, transcrit dans les vers.. « Mon âme est un paysage » disait Verlaine : ici à l’inverse : le paysage est mon âme . Ou plutôt l’impression du paysage. Pas plus que l’amour le paysage ne dure , seule l’impression demeure ; elle reste dans l’âme de celui qui l’a vécue et transformée en art . Elle reste aussi, peut être, dans celle de celui qui regarde ce que l’art en a fait . Permanence de l’impression contre l’ instabilité du monde , victoire sur la peur de perdre ce qui doit disparaître . Comme disparaît l’amour !

« O rouge valériane enguirlandant le mur / Que j’aime le passé ! Je nage dans ses flots . / (247)

Ainsi commence à se former le trésor enfoui des instants disparus, celui que peint Monet, celui que constitue Proust, le monde des sensations dans lequel se conserve le passé.

« La dernière rangée de peupliers s’éveille à la lumière… La nuit est partie, qui fut ma part du monde ; pour tous le jour est venu » (248)

« Derrière la rivière orange, sur des milliers de mètres, l’oliveraie scintille et tremble ; le long des berges pâles frissonnent les buissons baignés de lune … Magie du Sud ! » (249 )

Le passé se conserve dans le souvenir de l’impression magnifié par l’amour, l’amour de l’ami(e) et l’amour du monde . Amour charnel, amour rêvé , quelle importance ? La présence aimante de Vernon rassure , la Toscane offre l’ivresse d’un torrent de sensations nouvelles, les poèmes peuvent naître, célébrant la vie retrouvée. Ainsi se fait le lent passage qui va permettre à la jeune fille de devenir femme et de trouver le courage de vivre, de vivre dans le monde et non seulement en rêvant le monde.

Ce monde si beau est bien plus que le monde rêvé il a toujours été – paraît toujours avoir été – nôtre. Il est hors du temps, c’est, d’une certaine façon , le paradis retrouvé :
« Aujourd’hui je suis allée dans un endroit que je connais ; les échos y renvoient mon nom étranger, depuis longtemps connu
Une petite cour où poussent des acacias ; sur le ciel l’empilement des toits, certains plats, d’autres raides ; en bas la mer .
La mer est là, dans les rues , tu le sais ; les herbes marines dégringolent des fondations , sur cette petite place qu’on appelle Barbero .
C’est là que je venais quand le soleil tombait lentement . Une fille passait , chantant haut et fort – / O Dieu, c’est la même chose : j’ai tellement changé .
Trois acacias blancs se dressent sur le ciel ; seule la lumineuse lune voit leur forme blanche , la lune et moi .
Comment suis-je venue ici jadis ? Depuis combien de temps ? Dans quel passé lointain ai-je épié la floraison des branches » (250)

L’amour présent – (« tu le sais ») – amplifie la sensation, – the lie of the land, aurait dit Vernon – l’approfondit . Mary peut se mettre à chanter le bonheur .. et la beauté du monde.

« Je pensais : fini de souffrir le pire ! Je meurs, je termine la lutte ; vous avez vite pris mes mains dans les vôtres et m’avez rendue à la vie .
Nous étions assises dans l’ombre croissante et laissions les ombres naître ; il fallait écouter chacune d’elles , bien que nous ne puissions les voir .
Vous êtes venue me trouver au crépuscule , je vous reconnaissais bien … O lumières qui brillent et m’aveuglent – ce n’est pas l’ami mais l’Amour ! (251)

L’amour s’est reflété dans les pâles couleurs des collines toscanes et sur les chemins ombreux d’Angleterre . Mais bien vite les lieux changent , qui sont pourtant les mêmes. L’amour se perd et se retrouve : le monde est toujours là, sa beauté toujours offerte. Mais l’impression qu’il donne est autre : amour impossible , amour interdit ? La beauté alors peut apporter la paix :

« Blanches sont les collines, mais ce n’est pas de neige . Elles sont pâles aussi pendant l’été / car herbe ni plante ne poussent sur les pentes de craie/ Dans le cercle des collines un anneau fleurissant en rond, un verger annelé d’amandiers emplit ce terrain de pierres. / Heureuse je reste immobile pour regarder ta blancheur sainte / La couronne des fleurs pâles de l’aurore emplit le silence de leur paix. Tu es un endroit de paix secrète, une paix si grande dans une heure de souffrance qu’un seul moment emplit le cœur étonné , pour ne jamais revenir » (252)

En un instant la vie s’est écoulée, le jour du bonheur est passé comme l’ombre et voici que revient la nuit…, et la tentation de la mort.

« Fleur de girofle ! Rouge, le matin s’est levé, et mon cœur était libre ; rouge le soleil s’est couché, et , regarde , je meurs d’amour . (253)

« Sur notre chemin aujourd’hui dans les oliveraies, les olives sont grises ou blanches… Quand nous serons mortes , chère, nos fantômes peut être se promèneront encore ici.. » (254)

A trente ans Mary s’est aperçue que l’amour , tel qu’il s’offre à elle avec Vernon, ne peut suffire, que l’impression de la beauté peut être triste ou heureuse. Et que la poésie , même si elle est la vie , ne peut remplir la vie.

4-Du monde des apparences à l’éternité d’un ailleurs

I. « Et ce que vous avez appelé monde, il faut que vous commenciez par le créer : votre raison votre imagination, votre volonté , votre amour doivent devenir ce monde !.. » (Nietzsche, Also sprach Zarathoustra)

C’est là qu’apparaît James, et l’amour – la vie- redeviennent possibles. Aucun ne demeure, des poèmes écrits pour James pendant ces quelques six années . Ou bien le bonheur est sans histoire, comme dit le dicton populaire , ou bien tout a disparu avec la correspondance détruite par Mabel.

Mary pourtant ne s’est pas contentée de vivre ce bonheur auquel elle avait failli renoncé. Elle a travaillé et considérablement écrit : nouvelles , recherches historiques … et poésie (255) Et puis, après l’intermède du bonheur Mary retrouve la poésie où elle l’avait laissée à son départ de chez Violet..

« La vallée de la mort était sombre, ô Lumière, immense la vanité du désir où errait mon ennui. .. Tu m’as trouvée parmi les bruyères, tu m’as serrée sur ton cœur … J’avais osé croire que je n’errerais plus jamais séparée de toi, que je demeurerais dans ta lumière. La vallée de la Mort était froide , ô Seigneur, et , là, loin de la ferme paternelle, je pleurais et gémissais … Maudit soit le troupeau où, rejetée de tes bras, je meurs de désespoir… » (256)

James meurt , de nouveau tout s’écroule. Avant la venue d’Émile, le monde de Mary n’est presque plus sur terre ; à côté, au-delà de ce monde vide et froid où il faut bien vivre, existe un refuge : un « ailleurs » de la Beauté – et de l’Amour – qui transcende le temps . Ainsi le souvenir de l’amour se confond-t-il avec la quête de la Beauté. Au delà des apparences c’est dans ce monde de l’Idée , au sens platonicien du terme, qu’elle va trouver asile:

« Que faire , cher , des choses qui périssent ? Le souvenir, les roses, l’amour que nous avons connus et aimés ? … Seul peut durer un rêve, une pensée, bulle du rien ; la cité enchantée des apparences conserve jusqu’à la fin des temps l’Idée éternelle» (257)

**

«Si nos esprits devaient perdurer, si la promesse d’une vie au-delà était chose sure et non le rêve dérisoire de notre mort, alors le ciel apparaîtrait dans l’éternité : le paisible ,l’immense, le radieux souvenir d’un immuable moment vécu sur Terre » (258)

« J’épie une fontaine solitaire qui, dans la nuit, danse son chant argenté pour la lune silencieuse ; dans le ciel laiteux de juin, les étoiles s’efforcent de luire à travers les flots de lumière ; je rêve, mon âme divinement mêlée à la terre … Si un jour, après nos longs avatars, nous ne te trouvons pas parmi les étoiles mouvantes, alors puissé-je t’oublier, ô Beauté, toi et ton absence. (259)

Y a-t-il quelque chose au-delà de la route qui ne mène nulle part ! Peut être oui, peut être non ! De toute façon il y a la Mort, qui mettra fin à tout. Il faut avoir le courage de vivre et d’attendre.

« Certains chantent ; alors laisse moi oublier , mon âme , à quel point est lugubre la route que j’affronte qui me conduit vers une morne fin inévitable. Allons nous laisser cela nous mettre en rage ? Ou faire face avec un courage désespéré, voué à l’échec ? … Il y a une fin, tout cœur l’espère! Une fin où chacun ne sera plus seul, mais assez fort , assez brave pour détruire le Moi qui l’emprisonne et trouver l’Esprit vaste – ni toi ni moi – qui trône sur la face du Temps, au-delà des murs les plus reculés du monde » (260)

ou bien :

« Quand je mourrai, toute seule, à la fin je chercherai ton visage, mon aimé, si loin du fond de notre heureux passé. Souvent tes yeux, gentiment, m’ont calmée, souri, aidée, sauvée . Tu souris, ange, fantôme ? Tu ne m’ouvres pas le ciel ! Tout ce que tu es, je l’ai eu , et perdu. Souviens-toi maintenant des braises mornes de la vie . Et ne nomme pas espoir mon rêve » (261)

Dans les murs glacés d’Aurillac, à la fin , elle aura peut être retrouvé son rêve.

2 « Courtship .. should exist toward all things » (Vernon Lee(262) )

Le mariage avec Émile ouvre une autre existence. La maison d’Auvergne se situe dans un hameau où seuls vivent des paysans. Leur vie est dure, mais on ne peut plus proche de la réalité terrienne ; ils méritent qu’on s’intéresse à eux et que , enfin, on soit libre de s’attacher à autre chose qu’à ce qu’on ressent en soi même. On peut tenter de les aider comme le veut Émile au laboratoire du Fau avec ses études laitières ! On peut essayer de les célébrer comme elle va tâcher de le faire !

Au mariage avec Émile peuvent être reliées les deux œuvres contemporaines : The fields of France et surtout le recueil poétique, A return to nature. C’est un retour , en jargon politico-moral, vers « les vraies valeurs » : agir d’abord et suivre la tradition, travailler ensuite et respecter la nature … . Avec Émile , Mary découvre que nous pouvons regarder autre chose que ce que nous voyons en nous, autre chose que ce qui, dans le monde qui nous est offert, peut être transformé en notre propre impression du monde , donc en art. Pour ses lecteurs anglais , elle va donc chanter les « champs de France » et la poésie de la ruralité . Les champs de France rejoignent les préoccupations de son ami , le Daniel Halévy du Voyage chez les paysans du centre ; la poésie de la ruralité s’inscrit dans les études des écrivains « paysans » qu’elle n’a de cesse de faire connaître aux lecteurs du Times Literary supplement.

«A return to Nature dédié In memoriam Émile Duclaux, se veut à la gloire du pays et des gens qu’il aimait et qu’il lui a fait aimer . Voir une bourgeoise anglaise rivaliser avec Arsène Vermenouze est assez inattendu, et plutôt sympathique. Mais le faire en anglais est risquer d’être incompris des deux côtés de la Manche . Et c’est ce qui arriva.

« Je ne peux être le barde, nourrisson des dieux, qui montre la voie ; je chante ce que je vois , oiseaux, fermiers, vieilles légendes ; pourtant mes compatriotes devaient me louer, car, ce que je chante, je l’ai vu . »

Ne pouvant « montrer la voie », elle suit une double veine . La première est celle du conte ou de l’historiette à la gloire des gens simples, à quoi elle s’est déjà essayée dans A new Arcadia. Les petites histoires sont moins misérabilistes, quoique souvent portées sur le tragique : La querelle : ~220 vers sur l’histoire de « Notre fermier », Edmond de Ronesque, histoire de jalousie ; ou Trop occupé : 180 vers pour raconter la mort solitaire de Fanny Morin, accidentée dans un ravin , etc . Toujours associées à une morale plus ou moins explicite, elles sont dignes de la bibliothèque bleue, et pour nous , difficiles à lire. Le deuxième voie, beaucoup plus significative , se veut compréhension intime de la nature et du bonheur qu’elle procure, avec le moins centrée sur l’esthétique , parlait du genius loci .

« Je fais mon miel de tout ce qu’apportent tes saisons , ô Nature .. . J’aime la pluie qui glisse en nuage le long des pentes, lorsque chaque arbre devient fontaine ; j’aime les danses de feu du tonnerre jusqu’à la surprise de l’arc en ciel ; quand le ciel est un feu d’azur, sur les toits blancs qui frémissent, quand les troupeaux cherchent l’abri , que les roses s’épuisent de soif , salut à toi , Soleil, je m’épanouis avec toi. Mais je ris aussi en hiver, quand mon traîneau coupe les branches de la forêt, scintillant de diamants. Allons plus haut, toujours plus haut. Je fais mon miel de tout ce qu’apportent tes saisons.. » (Olmet, août 1903).

C’est le simple bonheur qui s’offre .

Les plaisirs de l’été :

« Viens avec moi, partons , laissons passer la chaleur du jour. J’ai un vallon que tous ignorent, caché entre deux montagnes . Là se hausse le roc , maigre et décharné, parmi les bois mouvants . Assieds toi sur le bord, près du coin où babille, frais et luisant, le blanc ruisselet . Viens avec moi, allons nous en ; là bas nous nous assiérons et chanterons tout le jour, presque emprisonnés, loin du ciel … » . Le vallon

Le repos de la nuit :

« Lorsque à l’ouest les rocs sont noirs sur le fond rose, la bergère rentre chez elle; les moissonneurs au dos douloureux dévalent le sentier en criant , leurs faux scintillent, et, comme un lent navire, le char descend du champ du haut à travers l’ombre des sentiers. Les bœufs encore harnachés vont boire les eaux brillantes du fleuve ; le soleil couchant jette un rayon jaune qui étincelle sur la charrue abandonnée.

Ô nuit qui ramène à la maison toutes choses, l’enfant aux genoux de sa mère, la roue qui grince, le troupeau qui erre, ramène moi mon Bien aimé. » Crépuscule pendant les moissons :

La sécurité du foyer :

« Viens vivre avec moi, sois mon amour [come, live with me and be my Love].. Je t’offrirai les plaisirs des champs, le lait des brebis, le miel, les vieilles chansons ; je te ferai une couche de mousse parmi le thym ; pour toi seul je grillerai les marrons sur la pierre . Mais quand tombera la nuit, silencieuse et douce , nous irons vers la maison, où luisent les lampes , les toiles , le foyer, où tout est fait pour tes délices ; pour ton souper, les perdreaux, la coupe de crème, les pêches et les prunes .. Et puis tu dormiras pour ne t’éveiller que lorsque le soleil traversera les lattes des volets . Si ces plaisirs te tentent, alors viens vivre avec moi , sois mon amour. » [then live with me and be my love] . Variations sur un air ancien

Ou , tout simplement , la vie, sous toutes ses formes , là où l’homme n’intervient pas.

La rivière :

« J’ai surpris l’éclair d’un poisson en fuite, la terreur le poussait : terreur que nous ne connaissons qu’en rêve, rêves d’avant naissance quand nous étions aussi rapides et faibles que lui. Le vent s’est levé , le tonnerre a roulé, proche, toujours plus proche ; un éclair m’a éblouie ; le mystère de la vie chevauchait, nu, sur l’éclat du tonnerre . Je me suis arrêtée , mes yeux reposant sur le fleuve maintenant vide, regardant l’éclat des gouttes de pluie sautant sur l’eau . Et je vis le requin de la rivière, ses quatre pieds de long , sa gueule ouverte sur la scie de ses dents ; il emplissait le lit du fleuve, stupide, brutal, puissant, aveugle… » (263)

Les sommets :

« Comme notre volcan était vert et sauvage, sous les luisances du couchant, lorsque nous nous promenions hier au dessus des forêts, sur les hauteurs. Comme nous étions haut au dessus du monde ! Digitale, aigle planant, loutre, renards des montagnes qui nichent dans les creux de bruyère, lièvres sauvages bondissant dans les herbes, chardons que picorent les chardonnerets … L’ancien volcan offre asile à tout ce qui est sans loi, il nourrit le renard à côté des brebis, et plante le roc sur la glaise . Comme paraît fragile et faux le règne de la Loi, la règle du Devoir ». (264)

3. «Il est des moments comme des étincelles.. à la lumière desquelles nous ne comprenons plus le mot « moi ». Il y a au-delà de notre être quelque chose qui, dans ces moments là, devient un « en-deçà », et c’est pourquoi nous aspirons du plus profond du cœur à ces ponts entre ici et là » (Nietzsche) ..

Il y a bien plus que la nature « sauvage » ; il y plus que le monde humain , « faux et fragile

« Couchée , je rêve : l’Esprit éternel tombe sur moi , m’emplit de ses secrets suprêmes, merveilleux . Et pourtant mon âme est sourde et muette » (265)

Mary s’est elle consolée de ce qu’elle considérait parfois comme son échec, en ayant avec J. A . Symonds « la conviction que j’ai , moi aussi, joué ma partition dans l’infinie symphonie du cosmos » (266) C’était un peu trop sec pour elle. . Au-delà d’un platonisme abstrait et peu consolateur, Mary, comme beaucoup de ses contemporains, éprouvait l’attrait d’un possible divin, hors toute religion du livre. En cela elle est proche de Whitman , l’ami de J. A. Symonds qui lui consacra un livre, proche aussi des religions extrême orientales et de la mystique juive que lui fit connaître James , d’une certaine façon proche aussi du dieu caché de Pascal , qu’elle a tant admiré.

Cette idée n’aurait pas choqué Émile , qui pensait que : « si l’autre monde existe, celui-ci doit y être préparé qui, dans la vie présente, a su travailler à l’œuvre de l’idéal, celui qui a courageusement arraché le diamant à la mine , découvrant dans nos ténèbres la seule valeur véritable . Unum est necessarium ! » (267)

« Pulsation , battement qui rythme la vie de l’homme … Tout, tout est un au-delà de ce monde d’apparences … Toutes nos idoles louent le Tout Parfait ; et je t’ai adoré, âme du rythme, à travers battements et arrêts » (268)

« Par des canaux multiples, pacifiques et féconds, coule la force du feu primitif, multiple et divin ; la vie des hommes.., la croissance des grains .., les bœufs patients…, les hirondelles… ,tirent leur force de ce Dieu immense, caché au-delà de nos pensées, au-delà de nos rêves et que le monde adore. » (269)

« Étoiles pâles, votre lumière nous parvient à travers l’abîme de milliers d’années… Des hommes peut-être, comme nous, dans tous les mondes, emplissent de leurs rêves le vaste et lumineux abîme. Un Christ est mort en vain dans chaque étoile et chacun , dans son malheur, en cherche une autre au-delà, où dieu récompense les morts pendant des années sans fin … Et ainsi, nous errons, dans l’air silencieux. » (270)

Alors peuvent s’ouvrir ces « ponts entre ici et là » dont parle Nietzsche . Il y a , peut être , autre chose ; ce peut être que suggère la rêverie poétique, est une des sources d’où surgissent les mots qui fondent le poème. C’est la troisième voie du recueil (271) .

« Je tire la source de ma vie des plus profondes profondeurs, je flotte sans dommage à travers les tempêtes, fleur au dessus de l’abîme. Mes racines ne viennent pas des champs de la terre, mais flottent libres à travers les ombres vertes des eaux . Comme toi, reine des fleurs, je peux flotter au gré des marées, nourrie et soutenue par les pouvoirs cachés, qui m’aident bien qu’ils se cachent . Le royaume de l’espace est un monde d’endroits saints dont les fontaines de baumes calmants gonflent ma poitrine » Lys d’eau (272)

Ou : « Écoute ! une merveille s’est produite, un miracle , soudain , auguste.. Quelque chose remua dans mon esprit, et les siècles remuèrent dans la poussière . Soudain je reconnus cette heure ancienne, dans le pays semblable à lui-même. Tout, j’ai tout connu auparavant ( si le moi non né était moi ) . Tout ! Et tout inchangé – jusqu’à l’étoile qui rit là haut – l’odeur du chèvrefeuille, la course de la lune dans le ciel, le bruit faible de la fontaine, l’appel d’une nuit infinie » Récurrences .(ibid) (273)

Et « Je cherchais à fuir le ciel de juin ; les portes de la grange baillaient, offrant l’ombre , la fraîcheur, le repos , l’odeur du foin ; j’y suis restée tout l’après midi. J’ai clos les portes moussues, j’ai laissé s’écouler le jour, épiant le monde à travers les trous du mur : comme il était gai et vaste ! Je voyais les montagnes, la rivière, les bois à travers une fente : comme il est vaste et vivant, ce monde qui est mien . Ainsi dans les cavernes crépusculaires de notre âme, nous épions la glorieuse vision du Tout, proche, réel, mais incomplet et étranger ; la rivière coule sans source ni but. O Temps, pourquoi mesurer un si étroit espace ? N’as-tu, dans l‘infinité de tes transformations, rien d’autre que Maintenant, Ensuite et le Passé ? « Non », blâme la crevasse de la grange ! …O Vie mouvante, o monde immense et libre qui tourne en rond mystérieusement, quand mes murs enfin crouleront-ils ? Sois sûr que je ferai front sans peur, pour regarder. » (274) Dans la grange , ibid.

Enfin : « Tout est âmes »

« Les feuilles de novembre trahissent les arbres, on voit le nid qui ne nourrit plus rien, plus de fleurs, plus de chants : tourne , tourne ta roue, terre roulante et ronde [Turn, turn thy wheel, O round and rolling earth !). La Nature, notre mère nous a tous emmêlés, homme, oiseau, bête, fleur, elle nous tisse sur une trame de peau et de sang ; elle ne connaît début ni fin, toutes âmes sont égales. Tourne, tourne …[Turn, turn …] Une ride passe d’une vie à l’autre, le minerai ravi par le vent tombe dans la plaine labourée, grossit dans le grain et devient notre pain, avant de se mêler aux cendres des morts ; il crée une pensée immortelle qui monte jusqu’aux étoiles, à travers des siècles de naissances. Tourne , tourne [Turn, turn…] Le chêne des forêts jaillira de ce flocon qui fut une perle cet été, sera terreau et de nouveau du vert. . O mort, où est ta morsure ? N’es-tu pas changement et espoir ? Terre roulante, tourne ta roue, entrainant joies et peines. [ Rolling Earth, Turn, turn thy wheel, revolving joy and dearth] (275)

En restera-t-il rien ? Pas même le souvenir du bonheur ? Peut être !

Mary était poète, elle a vécu le monde en poète , la poésie lui a permis d’y vivre. Son malheur , si on peut prononcer à son sujet ce mot qu’elle aurait sûrement rejeté , est d’avoir été un poète anglais, connu et admiré à Londres et à Florence. D’où elle partit pour une France généralement ignorante de la poésie étrangère, qui ne la reconnut jamais comme poète, malgré les efforts touchants et maladroits de James Darmesteter, qui ne vécut lui-même pas assez pour ne pas être oublié.

– (225) – Oscar Wilde , Queen LXXIV, (8 décembre 1888) p. 742 , cité par Fabienne MOINE, Poésie et identité féminines en Angleterre, p21
– (226) – Let us forget (tuscan cypress , in an italian garden ; Maude Valérie White (1855 – 1937), compositeur anglaise née en France
– (227) – Love is a bird, (stornelli and strambotti, ibid. ; Teresa del Riego, violoniste et compositeur anglaise , 1876 – 1968 ) .
– (228) – Love without wings & semitones, ( an italian garden) in Reynaldo Hahn , concertos et musique de chambre , 3 C.D. ed. Maguelone , Marly le roi ; le même disque contient 5 mélodies de Robert L. Stevenson et 11 du français Jean Moréas.
– (229) – ex. : La nonne : « Il est des filles à Grenade , / Il en est à Séville aussi/ Qui pour la moindre sérénade/ à l’amour demande merci /IL en est que d’abord embrassent/ le soir de hardis cavaliers // enfants voici les bœufs qui passent / Cachez vos rouges tabliers.
– ( 230) – Nietzsche, La naissance de la tragédie)
– (231) – I have heard long since , and I have seen, wrong that has sunk like iron into my soul, that has eaten into my heart, has burn me and been / a pang and pity past my own control,/ and I have wept to think what such things mean , and I have said I will not weep alone,/ : tel est le début du recueil (new arcadia), qui n’eut que peu de succès; il n’était guère dans l’air du temps et surprit les lecteurs habitués à la faune poétique du premier volume. Les grands bourgeois lecteurs de Mary avaient du mal à la suivre : par exemple Charles Desguerrois, grand bourgeois de Troyes , qui commente le recueil , le seul exemplaire existant en France (Bibliothèque municipale de Troyes)
– (232) – .we sat, making merry, shut from the rain, and the Christmas cold outside.. but hark ! the carol goes pealing again; the ringers are out in the cold.. As clear as air is the window pane/ ‘twixt me in the light and them in the rain,.. my ribbon breast-knot dances across/ the leader’s solemn brow/the moon-globed lamps burn low in the moss,/ and my own pale face, as it seems, they toss/ with the ringing hand-bells now. So dark is the night, so dark, als !/ I look on the world, no doubt ;/ yet I see no less in the window-glass,/ the room within, than the trees and grass,/ and men I would study without. (a new arcadia) The hand bell ringers) ; toutes les citations qui suivent sont tirées de ce recueil.
– (233) – « Je fuis et je m’accroche à toutes les croisées/ D’où l’on tourne le dos à la vie… » , Mallarmé, Les fenêtres.
– (234) – Darwinism : When first the unflowering Fern-forest/Shadowed the dim lagoons of old/A vague unconscious , long unrest / Swayed the great fronds of green and gold // .Until at length in him there stirred / The old , unchanged, remote distress,/ That pierced his world of wind and bird,/ With some divine unhappiness
– (235) – Etr’uscan tombs : « What did he choose for witness in the grave ? / A record of his glory in the earth ? / The wail of friends ? The paean of the brave ? / The sacred promise of the second birth ? // The tombs of ancient Greeks in Sicily/ Are sown with slender discs of graven gold, / Filled withe the praise of death : thrice happy he / Who sleeps the mild-soft sleep of dreams untold. /// They sleep their patient sleep in altered lands , / The golden promise in their fleshless hands »
– ( 236) – Voir ici chapitre iII
– (237) – Song : « the great things that I love , I cannot do . The little things I do I cannot love …/ I never knew/ our earth so vain ; / so void the heavens above « .. « And nought, I find , is sweet , and nothing true ;/
– (238) – The road leading nowhere : « the road leading nowhere / is bright in the morn ; « … « but , oh ! There is an hour / that is fatal and still ; … tis the look of the road / as it slips out of sight /tis the fight of the day / and the dread of the night”
– (239 ) – Under the trees , p. 157 : « I lay full length near lonely trees/my heart was still an did not break / … the grass must be / above instead of under me « . « Ah , no : because , o coward heart, / thy destined work you must fulfil / because no soul, be it great or small / can rise alone and lonely fall … /// therefore I will arise and bear / the burden all men everywhere / have borne and must bear , and bear yet , / till the end come when we forget »
– (240) – Collected poems, , Passé et présent .Deux personnages se contemplent, rêvant « des grands desseins » du futur. Sont -ce les mêmes , les deux faces antagonistes de Mary ? Ou plutôt deux jeunes gens séparés , l’un « libre et sans peur » et l’autre, « sourcils bas et bouche amère » parce qu’il se reproche son recul. Si deux jeunes gens amoureux se regardaient alors dans la glace, qui a eu peur ? Lui , à qui le monde était ouvert ? Ou elle qui n’a pas osé suivre ?
– (241) – [unrecorded monuments / of a forgotten world],
– (242) – grey day , in A handful of honeysuyckle
– (243) – An italian garden , *Rispetti, partiellement traduit par Mary R. in S.M. , p. 200, pour les strophes I, IX, X, XI, XIV ; dear est traduit au masculin : ami .
– (244) – Amour, mort et art :
– (245) – « Connais-tu le pays où fleurit l’oranger ? » Goethe
– (246) – Auquel il faut ajouter une longue nouvelle publiée en Italie , Goneril.
– (247) – Rifiorita toscane ( trad par Mary R. )
– (248) – Aubade triste « The last pale rank of poplars trees/ begins to glimmer in to light/” et le monde s’éveille… “The night, that was for me, is gone ;/ the day has come for all.”
– (249) – Ephtata : “For miles beyond the orange river/ The olive orchard gleam and shiver/ And, at the river’s brink as pale/The rank of moonlit rushes quiver” .. “O magic of the south…!”
– (250) – Campiello Barbero , in An italian garden
– (251) – Love without wings (Amour sans ailes )
– (252) – An orchard in Avignon , collected poems , p. 106 : The hills are white, but not with snow / They are as pale in summer time / For herb or grass may never grow / upon their slopes of lime. // Within the circle of the hills, / A ring , all flowering in a round, / a, orchard- ring of almond fills / The plot of stony ground. // … Fain would I sit and watch for hours/ the holy whiteness of thy hills,/ Their wreath of pale auroral flowers, / Their peace the silence fills. // A place of secret peace thou art,/ Such peace as in an hour of pain / One moment fills the amazed heart/ And never comes again.”
– (253) – Stornelli and strambotti
– (254) – Love in the world ; « The olives where we walk today / in the olive-grow are white and grey . …. Perhaps when we are dead , my dear, / our phantoms still wander here ? … :
– (255) – La période de 1888 à 1894 est riche en publications : 1888 : Songs, Ballads and a Garden Play ; 1889 : The End of the Middle Age ; 1892 : Marguerites du temps passé ; 1893 : Retrospect ; 1894 : Froissart
– (256) – The lost sheep : « The valley of death was dim, O light , / and vast the waste of vain desire / where wandered my unrest … / thou founded me amid the briers / to hush me on thy breast . // .. I dared to think that such as I / should wander nevermore apart , /but pasture in thy rays. / The valley of death was cold , O Lord , / and far from thy paternal farms / I mourned and murmured there … / But how forsaken is the fold / where , cast abandoned from thine arms / I die from my despair »
– (257) – Tuberoses , « what shall we do , my love , with things that perish / memory, roses , love we feel an cherish ? / … Only a dream , only a thought, can last / a bubble of nought , the enchanted city of the Things that seems / keeps till the end of time the eternal thought”
– ( 258) – Souvenir : « so were our spirits destined to endure / so, were the after-life a promised sure / and not the mocking mirage of our death // Through all eternity might heaven appear / the still , the vast , the radiant souvenir / of one unchanging moment known on earth. »
– (259) – Beauty : « I watch a lonely fountain dance all night , / in silver music to the silent moon / while trembling thro’ the milky sky of June / the stars shine faintly amid the flooding light . /// I dream, I mix divinely soul and earth , / … but if hereafter ‘mid, the moving stars, / we find thee not in our long avatars , / May I forget thee, O Beauty , and thy dearth ! »
– ( 260) – Personality : « Since others sing, let me forget , my soul, / How dreary the road goes in the front / And towards how flat, how inevitable an end / … // .. Shall we go mad with it ? Or bear a front / Of desperate courage doomed to fall and break ? // .. Ah , hope of every heart , there is an end / An end when each shall be no more alone / But strong enough and bold enough to break / This prisoning self and find that larger soul ( neither of thee nor me) enthroned in the front / Of Time beyond the world remotest walls !”
– (261) – Foreword : à J. D. : « When I die, all alone, I shall look at last / for thy tender face, my own , / Thy face, beloved, / so far removed/ from our happy past .. … how often / thy kind eyes soften , / and smile, and guide , and save ! / smilest thou, angel-ghost ? / … yet no heaven ope ! / All thou art I had , and lost ; and now remenber /o’er life’s dull ember / nor call my dream a hope »
– (262) – , Hortus vitae, essays on the gardening of life, J. Lane, London, 1904 (2é Ed. ) , in <http://www.gutenberg.org/>
– (263) – le requin de la rivière in A return to Narure
– (264) – Return to nature , in A return to nature
– (265) – The wall : « I lie and dream : / the Eternal Mind / rains down on me and fills me full / with secrets high and wonderful ; / and still my soul is deaf and blind »
– (266) – « the conviction that I too played my part in the illimitable symphony of cosmic life » , J. A. Symonds, dans son étude sur Whitman.
– (267) – Memoranda
– (268) – Rhythm : « O beat and pulse that count the life of man / .. all, all are one beyond this world of shows (bis) / .. all our idols praise the perfect whole ; / and I have worshipped thee, o rhythmic soul , / chiefly in beat and pause »
– (269) – The valley : so, through a myriad channels , bound in peace , and fruitful, runs the force of primitive fire , / divided and divine : … // the life of men , … the growth of grains, …, the patient oxen , … the larks, …/ employ the force of that tremendous god / who lurks behind our thought, beyond our dreams, / and whom the world adore »
– (270) – The stars , to J. D. : « pale stars , whose light down the unplumbed abyss , / falls, ere it reach us, through a thousand years .. and men , perchance, as we, in every world , fill with their dreams the bright and vast abyss ; a Christ has died in vain , and all the stars, / and each, unhappy, seeks a star beyond / where God rewards the dead through endless years .. and so we circle, dumb, in the silent air » … for light, the stars ; for breath the realm of air ; / for Hope, beyond this dark and suffering world , / Nought in the Abyss, nor ought in the endless years «
– (271) – A return to nature
– (272) – « Because I draw my source of life / From deeper deeps than this,/ I float unharmed, tho’storm be rife/ And flower upon the abyss: / In no earthly meadows ,/ But donw thro’ greenest shadows / Of waters flowing free,:/ My roots entwined be. »
– (273 ) – Hush ! For a wonder has happened, a miracle , sudden, august. / How shall I utter the marvel ? ..Something stirred in my brain and the centuries stirred in the dust ; / Sudden I knew this hour of old, in the self-same land./ All I have known before (if the unborn I were I ). / All ! And all unchanged – to the star that laughs on the height – / The scent of the honeysuckle, the course of the moon in the sky, / The faint sound of the fountains, the hush of an infinite night. » Recurrences , in The Return to Nature
– (274) – « I sought a refuge from the skies of June / The barn with yawning doors announced the boon / Of shade and coolness, rest and fragrant hay ; / So I stayed the livelong afternoon. // I closed the mossy gates ; full-lenght I lay . And let the torrid daytime melt away -/ One wall was cleft, and where the cranny was/ I spied the world without : how vast and gay ! //Against the sky the mountains ‘s dazzling mass, Flawed by the sudden chasm of a pass ; / Below the river’s long and liquid line / Winding about the greenness of the grass. // .. How far and vivid through how mere a chink / I see this vaste and various world of mine. // O Time , why measure such a narrow range ? Hast thou , in all thine infinite of change / Nothing but Now , Herafter and the Past ? / Nay , blame the serried crevice of the grange ! .. » Ibid.
– (275) – All souls , ibid . « The brown November leaves forsake the woods, / And tear in whirling drift along the ground ;/ .. The trees reveal th nest where nothing broods/ An dont a flower is found / Nor any song of of all the summer mirth : / Turn , turn thy wheel , O round and rolling Earth … O Death , where is thy sting ? Art thou not change and hope ? O rolling Earth, / Turn , turn thy wheel , revolving joy and death . » / »

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