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Mémoires chapitre II

les fils D sur le perron d'OlmetChapitre II

Années d’école

Le genre d’éducation qui a été donné à ma génération a été sévèrement critiqué depuis 1968 et jugé, selon les cas, soit archaïque, soit sclérosant, de toutes manières nuisible à la créativité. J’apporte mon témoignage. Pour prendre immédiatement position, je dirai tout de suite que je n’ai pas eu à me plaindre de cette éducation et que j’en ai au contraire largement profité. Tout au cours de ma vie je me suis félicité d’en avoir été victime et je considère ce qui a été écrit à ce sujet comme un amas de niaiseries. Il est tout à fait inutile d’essayer de me persuader qu’avec une éducation convenable, je serais devenu un Newton.

Au temps de mon enfance les jeunes bourgeois ne passaient pas par les écoles primaires. J’en ai donné les raison en décrivant la vie à Paris : les écoles primaires, ce n’était pas comme il faut, et là contre personne ne pouvait rien. Les petits étaient confiés à des écoles privées qui se chargeaient de l’instruction et aussi un peu de l’éducation, mais la plus grande partie de l’éducation était donnée par la mère qui restait à la maison. Pour moi ce fut ma grand-mère et je suis pleinement d’accord avec la romancière américaine, Betty Mac Donald, selon laquelle sans grand-mère le foyer est à moitié vide.

Je n’ai que fort peu de souvenirs de mon passage par l’école privée et j’y fus sans doute un petit garçon tout à fait insignifiant. Pourtant je me rappelle y avoir connu une petite fille nommée Manuelita, très jolie, dont nous étions tous amoureux. Je ne lui ai jamais dédié de vers.

Lycée : succès et insuffisances

 

J’entrai au lycée à neuf ans, en sixième ; il s’appelait alors le petit lycée Louis le Grand et est devenu le Lycée Montaigne. Puis je passai automatiquement au grand lycée, selon l’expression du chimiste Boussingault, comme une barre de fer dans un laminoir. Il pouvait arriver qu’un élève fut refusé par le laminoir et jugé indigne de passer dans la classe supérieure, mais c’était un évènement exceptionnel : on ne redoublait pas. Non pas que les professeurs y missent de la complaisance et les enfants beaucoup d’ardeur ! Mais les enfants apprennent facilement quand on ne les décourage pas et le niveau moyen était alors mieux qu’acceptable.

Le lycée Louis le Grand avait à ce moment une haute réputation, qu’il a gardée. Elle était si étendue que j’ai eu entre les mains une carte de visite ainsi libellée :

X…, ancien élève du Lycée Louis le Grand

On se serait cru à Oxford ou à Cambridge ! Pour ma part je suis certain d’avoir eu d’excellents professeurs, et bien moins de leur avoir paru un excellent élève.

 

Je vis introduire les Notes scolaires, première forme du carnet scolaire, auquel a succédé l’éducation permanente qui vise avec succès à faire de tous des ronds de cuir aisément maniables, suivant la loi du progrès.

Tous les trois mois, les parents recevaient un bulletin qui leur apportait les notes obtenues par leur rejeton pour les diverses matières enseignées et ses places en composition. Certains élèves redoutaient l’arrivée de ces feuilles au point de les faire disparaître : c’était toujours trois mois de gagnés. Quant à moi je n’en avais même pas la tentation, car, à la maison, personne ne faisait jamais d’observation.

Je prenais mes devoirs d’élève tout à fait au sérieux. Ainsi nous devions apprendre par cœur dix lignes d’un auteur. Ayant bonne mémoire, j’y parvenais vite ; il ne me serait jamais venu à l’idée d’en apprendre onze ; le mieux est l’ennemi du bien ! Malgré les apparences ce n’est pas de moi que je parle, c’est de l’élève moyen, qui fait la force principale des écoles et n’a que des aspirations à sa portée.

J’ai conservé quelque part une de ces notes trimestrielles qui définissent, par le choix des matières, la tendance de l’enseignement. La plus ancienne est datée de la fin de 1886. Considéré comme horoscope ce n’est pas bon. J’avais obtenu les notes suivantes :

Pour l’application en classe :

Latin et grec : 9/10

Mathématiques et calcul : 7

Histoire naturelle : 8

Langue allemande : 9

L’élève moyen était bien sage en classe

Pour l’application aux devoirs :

Latin et grec : 9

Mathématiques et calcul : 8

Histoire naturelle : 8

Langue allemande : 9

D’après ces notes je devais réussir dans les langues mortes. Mais en réalité depuis mon départ du lycée je n’ai jamais lu une ligne de latin ou de grec et je suis convaincu que mes condisciples, à part une minorité négligeable, n’en ont pas fait plus. Cependant je peux encore réciter le début de l’Eneide :

Conticuere omnes, intentique ora tenebant

Inde toro pater Aeneas sic orsus ab alto..

qu’un mauvais plaisant traduisait par :

Le père Enée, monté sur un taureau des Indes, jouait de l’alto comme un ours

 Étant un bon petit garçon, j’en ai recueilli les fruits tout le long de ma vie scolaire. Quand j’arrivai, par la grâce du laminoir, à la classe de philosophie, mon professeur inscrivit sur la feuille trimestrielle que j’étais un modèle pour l’attention. En réalité j’étais un modèle pour l’hypocrisie. Ce qu’il nous racontait ne m’intéressait nullement ; mais comme j’étais assis au premier rang, juste en face de lui, je risquais qu’il ne le devine. Alors je le regardais bien en face, en tâchant de penser à autre chose. Ainsi le Discours de la Méthode, la preuve ontologique, les antinomies de Kant, les monades de Leibnitz ont-ils glissé sur moi comme eau sur toile cirée.

Les notes trimestrielles étaient régulièrement accompagnées d’un court commentaire du proviseur. Pauvre proviseur ! Ma première classe était la sixième C ; le lycée en comportait donc au moins trois. Autant en cinquième, quatrième, etc. Pour le nombre d’élèves par classe, je relève des chiffres : 32, 46, 34, 40, 39, 33, 52. Ainsi le proviseur tenait-il sous sa férule plus de mille gamins sur chacun desquels il était requis d’avoir une opinion. Inutile de dire qu’elle manquait d’originalité. Il opinait par exemple :

Pourrait faire mieux

Insuffisant en Histoire

Une machine aurait fait aussi bien, mais c’étaient les parents qui demandaient à cors et à cris ces commentaires insipides. Ils se hérissaient à l’idée que le proviseur ne fût pas, jour et nuit, attentif à leur rejeton ; il est curieux de constater le degré d’aveuglement que peuvent atteindre des gens intelligents, le jour où ils deviennent parents d’élèves.

Le seul mauvais souvenir que je garde du lycée est celui des dissertations françaises que nous devions remettre. Un jour, nous eûmes à comparer les adieux d’Hector à Andromaque dans Homère et dans Racine. Je n’avais lu ni les uns ni les autres : ils étaient en dehors des dix lignes obligatoires. J’essayai de mettre en œuvre ma créativité mais ne pus rien en tirer et l’examinateur pensa me couvrir de confusion en me disant que de sa vie il n’avait lu une dissertation aussi plate (ce qui ne me surprit pas), mais qu’elle était écrite en bon français et sans faute d’orthographe, ce pourquoi il m’avait accordé la note moyenne, 10. Maintenant que j’ai quelque peu vécu et que j’ai du un jour faire mon Hector devant mon Andromaque, exactement le 3 août 1914, j’estime que ce sujet était déraisonnable. Il est absurde de demander à un garçon de 10 ans qui joue aux billes, de juger des réactions du soldat qui part pour la guerre. C’est demander à une vestale de décrire les joies de la maternité : de telles pratiques ne peuvent que forcer l’enfant à mentir ou à parler pour ne rien dire. L’écriture doit exprimer des sentiments vrais, sans recours au jus de cervelle.

Je ne suis pas seul à penser ainsi : les journaux ont reproduit, il y a quelques années, une dissertation philosophique qui avait obtenu un grand prix au concours général. Une corneille n’aurait pas fait mieux : un lecteur du journal lui écrivit que, si nous avions dans nos écoles beaucoup d’élèves de ce niveau, alors nous pouvions parler de la décrépitude de la France.

Il est bien à craindre que les notes scolaires, considérées comme horoscope, soient de valeur douteuse. Revenons à notre élève moyen : le bulletin du 20 décembre 1886 me qualifie de très bon élève. Penses-tu ? Aux compositions il avait obtenu les places 26, 2, 20, 7, 17 et 14 ; moyenne : 14. Si le quatorzième était très bon, que devaient être les treize précédents ?

Les parents sont souvent mégalomanes ; ils font la guerre, non pas aux mauvaises notes mais à celles qu’ils ne jugent pas assez bonnes. Comment ? Tu n’es pas premier ? Tu ne travailles pas bien. Le pauvre gosse est terrorisé et n’en réussit que plus mal. Au nom du ciel, laissez le tranquille et prenez les choses avec bonne humeur ; dites lui : cette fois cela n’a pas bien marché, la prochaine fois ce sera mieux. Personnellement je dois une grande reconnaissance à mes parents pour s’être soumis à cette règle humaine. Je n’ai jamais brillé aux examens, sauf une fois et ce fut un hasard, aidé d’une bonne mémoire.

Aux parents abusifs je dédis le récit suivant. En sixième j’avais deux condisciples brillants, D. et L. A toutes les compositions D. était le premier et L. le second, ou l’inverse. Cette supériorité se maintint pendant plusieurs années ; ensuite elle s’effrita peu à peu et dans les hautes classes qui ouvrent la vie, les deux phénomènes rentrèrent dans la moyenne. Je n’ai jamais su ce qu’ils étaient devenus. Par contre j’avais un autre camarade qui était à mon modeste niveau et qui est mort, honoré de tous, secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine et, comme tel, le plus en vue de tout le corps médical.

Notre proviseur s’appelait M. Gidel, mais nous l’appelions Bidel, du nom d’un dompteur de l’époque. Il passait pour être terrible et nous disions comme le Cid :

Oui, tout autre que moi

Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d’effroi

Mais personne ne savait pourquoi. Il est certain qu’il n’aurait pas supporté le désordre. Quels moyens avait-il ? Nous nous montrions dans les vieux bâtiments du lycée une fenêtre qui était supposée être celle du cachot. Vous avez bien lu : du cachot. On se serait cru au château d’If, au temps de Dantès et de l’abbé Faria. Ce sombre réduit, personne ne l’avait jamais vu de près et c’était peut être un dépôt de balais.

Ayant toujours été externe je suis mal placé pour décrire la vie du lycée mais j’admets volontiers que pour les internes elle était sans joie. Rien n’était prévu pour une détente ou une distraction. Classes et études, et c’était tout. Pendant les récréations les élèves tournaient en rond dans la grande cour, dans un sens déterminé. S’ils en changeaient un jour, c’était pour signifier au proviseur qu’ils avaient un motif de plainte.

Les règlements étaient établis en vue d’interdire aux garçons toute activité physique. Ainsi le lycée de Vanves était propriétaire d’un grand parc planté d’arbres, auquel les pensionnaires avaient accès. Un jour un maladroit monta sur un arbre, tomba et se blessa ; le proviseur en fut responsable : que fit-il ? Il interdit le parc aux élèves. Mais c’était encore insuffisant ! Un autre jour, dans une cour intérieure, un interne jeta une pierre sur un camarade et manqua l’éborgner : ici encore le proviseur fut jugé responsable. Il ne lui restait qu’à faire reconstruire son lycée en caoutchouc mousse.

Nous avions d’excellents professeurs qui faisaient de leur mieux d’excellents cours et étaient des modèles de conscience. Je me souviens en particulier de celui que j’ai eu la chance d’avoir en Mathématiques Spéciales, M. Humbert. Il était souvent affligé de rhumes épouvantables et faisait peine à voir ; mais jamais il ne manquait une leçon.

Nous avions grand respect de nos maîtres et surtout du professeur principal, celui de lettres. Mais il faut que la jeunesse s’amuse et, à l’occasion, nous pouvions aller jusqu’à l’irrévérence. C’est ainsi que, ayant deux maîtres dont l’un était bien maigre, tandis que l’autre, qui avait perdu un bras, avait une silhouette bien apparente, nous les avions baptisés Dom Quichotte et Manchot Pansu.

J’ai oublié les noms de beaucoup d’entre eux, mais je me souviens avec plaisir du nom du professeur d’allemand, M. Blociszevski, qui était bienveillant et doux. Il faisait de son mieux mais devait se conformer à un programme strict. C’est ainsi que j’ai appris, plusieurs années de suite, que le mot Ausflucht a un pluriel irrégulier. Il signifie échappatoire et intervient peu dans le langage courant. Il aurait peut être été préférable de nous apprendre des expressions telles que mettre une lettre à la poste ou changer de train.

M. Blociszevski ne devait pas être le seul polonais enseignant l’allemand, si l’on en croit l’historiette suivante qui courait dans la classe : un inspecteur général de l’Instruction publique pour la langue allemande arriva un jour dans un lycée de province et le proviseur l’aiguilla vers une classe à tendance moderne dans laquelle le professeur faisait son cours en allemand ; à sa grande surprise l’inspecteur ne comprit pas un mot. Il se dit : ce doit être une question d’accent ; de ma vie je n’en ai entendu de pareil. Pour ne pas avouer son désarroi il ne fait aucune observation.

La classe terminée, il prend le maître à part et lui demande : voyons, expliquez moi, je croyais savoir l’allemand mais le vôtre me déconcerte – Ce n’est pas étonnant, répondit son interlocuteur, ce que vous avez entendu n’est pas de l’allemand, c’est du polonais.

– Mais vous êtes professeur d’allemand !

– Bien entendu, mais voici : je suis réfugié politique. Comme tel, votre gouvernement m’a nommé professeur d’allemand. Mais je ne le parle pas. Alors comme il faut que je justifie l’argent que je gagne, j’enseigne le polonais.

Prétendre que l’enseignement donné dans les lycées, à l’époque dont j’ai été témoin, était absurde, archaïque, stérilisant et ainsi de suite, est pure niaiserie. Aucune contrainte n’était exercée sur l’esprit, celui qui voulait s’intéresser aux langues anciennes ou aux sciences naturelles, à la littérature, aux mathématiques ou à la géographie, pouvait le faire en toute liberté et il lui restait bien assez de temps en dehors du programme obligatoire. Je pourrais en donner bien des exemples. Une tradition tenace attribue à Edouard Herriot la définition de la culture : c’est ce qui reste quand on a tout oublié. Il s’en est défendu et la fit remonter à un japonais anonyme. De toute manière elle est profondément juste et devrait inspirer tous les programmes. Donner la culture, c’est essentiellement donner le moyen de s’intéresser au dictionnaire. L’inculte en est incapable, les mots ne lui parlent pas. Pour l’homme cultivé chacun a un sens, éveille une image et ouvre une porte vers l’extérieur. Ce que nous avons oublié, c’est notre plus bel acquis : le regard vers l’univers au-delà de la vie quotidienne. Le mot Université symbolise cette ouverture. Le lycée s’ouvrait à qui la voulait ; pour les autres, personne ne pourra jamais rien faire.

Dans mon enfance je n’avais aucun goût pour l’histoire ; il ne m’est venu que cinquante ans plus tard. Comme les 9/10 èmes de mes semblables, j’ai tout oublié et, si je devais écrire l’histoire de la Grèce ou de Rome, je ne noircirais pas cinq pages. Mais je me souviens de la guerre de Troie, du bouillant Achille, du siècle de Périclès, de Calypso, de Cicéron et de Brutus. Tu quoque, mi fili !

J’étais moins que moyen en allemand et, plus tard, je l’ai bien regretté. Mais ces vers de Erlkönig chantent encore dans ma mémoire :

Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ?

Es ist der Vater mit seinem Kind

………….

In seinen Armen das Kind war tot.

J’ai dit plus haut que chacun pouvait choisir ce qui l’intéressait, mais nécessairement entre certaines limites fixées par les programmes, et c’est là que des critiques pourraient surgir, comme contre les méthodes. Je ne dis pas contre la pédagogie, car à cette heureuse époque on ignorait la pédagogie et l’enseignement n’était pas dirigé par des augures qui ne l’avaient jamais pratiqué, ou si peu.

La seule langue vivante obligatoire était l’allemand ; peut être existait-il des classes facultatives d’anglais, mais je n’en ai pas souvenir. Ce désintéressement vis-à-vis de l’anglais peut surprendre, surtout si on le compare à l’anglomanie actuelle. Sur l’échiquier mondial il est convenu que les U.S.A. sont le Roi et que les nations européennes n’ont aucune chance d’aller à Dame. En 1900, la situation était différente, personne ne se souciait des États-Unis, sauf pour des raisons sentimentales : c’était le pays de La case de l’oncle Tom, de Buffalo Bill, des mohicans de Fenimore Cooper et des romans de Mayne Reid. La grande industrie a été révélée par l’exposition de Chicago vers 1900 ; John D. Rockefeller avait 60 ans, Andrew Carnegie 67, Pierpont Morgan 63 et ils n’étaient pas encore rois. Ajoutons pour définir l’atmosphère que la langue anglaise était celle des vainqueurs d’Aboukir, de Trafalgar et de Waterloo.

Les sciences de la nature étaient défavorisées : pas de géologie, pas d’astronomie. Pourtant ma génération a été enflammée par l’Astronomie populaire de Flammarion qui traitait la science en poète et la rendait accessible à tous. Il a fondé une Société Astronomique qui est la plus belle société scientifique existant en France et il est pénible de voir que l’Education Nationale, qui dépense des milliards pour des sornettes, refuse de l’aider. A coup sûr, Flammarion allait parfois un peu loin. Je me souviens d’une figure évocatrice qui représentait une planète entourée de lunes multicolores. Bien entendu, c’était une planète de fantaisie. Et puis après ! Si on y regarde de près la proportion de fantaisie dans l’enseignement actuel est au moins aussi forte. Mais elle a pris une forme mathématique que bien des gens prennent au sérieux.

Jusqu’à la classe de philosophie pour les Lettres, de Mathématiques Élémentaires pour les sciences, la culture était désintéressée. Il n’en était plus de même en Mathématiques Spéciales, dites aussi Taupes. Les taupins devaient être à la fin de l’année candidats aux grandes écoles, et notamment à l’Ecole Polytechnique, l’X ; l’Ecole Normale venait ensuite, convoitée par certains ; mais comme l’X recevait dix fois plus de candidats, c’était elle qui réglait la musique.

Cette domination, que personne ne contestait, entraînait des conséquences que Minerve n’aurait pas approuvées. Les examinateurs, tous les ans les mêmes, étaient bien connus des professeurs qui tenaient registre de leurs manies et nous passaient le tuyau. « Il est probable que l’on vous posera la question Z qui est considérée comme essentielle. Si c’est X qui vous la pose, il faudra répondre ceci ; mais gardez vous bien de le faire si c’est Y ; répondez cela ».La gloire du lycée c’était le nombre de ses élèves qui étaient reçus à Polytechnique. Relisez le Curé de Cucugnan d’Alphonse Daudet pour avoir une idée des angoisses du proviseur en face de la liste des élus

Jusqu’à la Taupe peu de lycéens redoublaient une classe, comme il a été dit. Mais pour les taupins l’exception devenait la règle, car peu réussissaient dès la première année. Après deux ans beaucoup de ceux qui ne passaient pas se décourageaient, mais une forte proportion s’obstinait et devenait imbattable sur la surface du second degré. Mon voisin sur le banc était un phénomène : il était penta, c’est-à-dire qu’il était à sa cinquième année ; il envisageait son sort avec un parfait détachement. Je me souviens du jour où, tandis que le professeur nous vantait les mérites de l’ellipsoïde, il tira un petit tournevis de sa poche et se mit à démonter sa montre, en fit un petit tas de rouages orphelins et désespérés. Ne se sentant pas de force à les remettre en ordre, il les contempla un moment avec inquiétude, puis se résigna et mit tout le tas dans son mouchoir. Je pense que le professeur l’avait vu faire, mais jugeant son cas désespéré, il s’était abstenu d’intervenir.

Ces années d’enfance m’ont laissé au total de bons souvenirs et je ne me suis pas senti malheureux. Ce n’est pas que le lycée fut jugé un paradis : je passai un jour devant Louis le Grand à l’heure de la sortie des classes ; une voiture de pompiers s’arrêta devant la porte et j’entendis un cri : Chouette ! v’là le bahut qui brûle ! Le bahut, c’était le lycée ! Et le cri était celui du cœur !

Le meilleur temps des externes s’écoulait au jardin du Luxembourg, tout proche. Nous y passions chaque jour des heures à courir, oubliant les devoirs à faire, pour lesquels il resterait bien assez de temps. Nous pratiquions surtout deux jeux : les barres et la rentrée. Les barres ne demandaient pas une grande activité : elles se jouaient dans une allée entre deux limites occupées par les deux camps. Mais la rentrée s’apparentait au Marathon : il fallait galoper, les uns poursuivant les autres, dans toute l’étendue du jardin. Que ne ferait-on pas pour s’amuser !

Notre innocente petite bande fut un jour victime d’une erreur judiciaire, ou ce qui en approchait, et nous y fûmes très sensibles. L’un des gardes du Luxembourg nous accusa d’avoir démoli une pyramide de chaises : c’était faux, nous n’y avions pas touché. Mais il vint porter plainte à nos parents. Que faire ? Il était assermenté et ne pouvait pas se tromper. Ce petit épisode a ruiné pour toujours ma confiance dans les autorités. Maxima debetur pueris reverentia, disaient les latins. Un adulte supportera une injustice, il en a tant vues ! Mais un enfant est impitoyable.

L’hiver nous apportait une autre occasion de nous réjouir : le patinage à glace sur les bassins et les lacs. Ce que nous appelons aujourd’hui sports d’hiver n’existait pas : inconnus le ski, la luge, le bobsleigh ! Mais nous étions familiers avec le froid et le gel, et le bonhomme de neige avec sa pipe.

Peut on dire que le climat a changé ? Non pas en si peu de temps. Rien n’est aussi imprévisible que la température, et aussi inconstant. Pour n’en citer qu’un exemple récent, pendant l’hiver 1974-1975 la première neige tomba le 18 mars, juste à l’arrivée du printemps. Pour définir un climat il faut établir une moyenne entre un assez grand nombre d’années, et alors les chiffres montrent qu’il varie très peu.

Cela n’empêche pas que, tant que je fus écolier, il y eut une série presque ininterrompue d’hivers durs. De gros glaçons flottaient sur la Seine et les parisiens disaient : aujourd’hui la Seine charrie. A la fontaine Saint Michel les jets d’eau que vomissaient les dragons coulaient dans des tubes de glace qui descendaient jusqu’à la cuvette ; il arriva que la Seine fut gelée d’un bord à l’autre : on ne voyait plus d’eau. Le bassin du Luxembourg était régulièrement gelé pendant des semaines et couvert de patineurs : la plupart étaient novices et faisaient leur apprentissage dans la position la plus classique, le derrière sur la glace, essayant vainement de reprendre leur aplomb. Les spectateurs riaient de bon cœur, les victimes mieux encore. Nous patinions aussi au bois de Vincennes, à la porte jaune, et au bois de Boulogne. Mais la glace y avait mauvaise réputation ; par endroit, disait-on, elle était amincie par des sources invisibles et devenait incapable de supporter le patinage.

Les vacances étaient le meilleur moment. Nous allions au club alpin qui groupe ceux qui s’intéressent à la montagne, alpine ou non, et désirent la connaître mieux et en faciliter l’accès. Il n’est pas inaccessible à d’autres soucis et, à l’époque dont je parle, des mauvaises langues insinuaient que l’accord entre les membres n’était jamais aussi parfait que s’ils faisaient ensemble la guerre aux bouteilles. Une définition courait les rues

Qu’est-ce que le Club alpin ?

Peut être allez vous m’dire,

C’est un service très rupin

Ousqu’on se fait élire

Ousqu’une fois par an

Un banquet s’organise

C’est surtout à c’moment

Que le Club s’mobilise

Disons, pour être juste, que le Club a accompli une œuvre de grande utilité, notamment en établissant en haute montagne de nombreux refuges dont j’ai moi-même profité. Mais il a, peut être par nécessité, cherché à grouper de plus en plus de membres aux dépens de leur qualité : j’ai entendu les doléances de l’un des meilleurs, observateur au Pic du Midi, auquel ils se présentaient comme collègues pour pouvoir se conduire comme en pays conquis. Mais ceci est comparativement récent et mes souvenirs se rapportent aux années voisines de 1890. Alors le Club avait organisé les caravanes scolaires dont je bénis le souvenir. Elles n’étaient pas absolument une nouveauté et des caravanes du même genre ont été décrites par Töpffer dans ses Voyages en zigzag, probablement moins connus aujourd’hui qu’ils ne le furent au moment de leur parution. Le nom de Töpffer ne figure pas dans le dictionnaire de Robert et je pense que c’est à tort : les Nouvelles genevoises sont un livre charmant que l’on peut relire à tout âge.

La caravane se composait d’une douzaine de jeunes garçons, tous âgés de quinze ans environ. Elle se rendait dans un pays de montagnes, grandes ou petites et y restait une dizaine de jours. Il n’était pas question d’automobile : dès le matin, sac au dos, nous allions le long des routes et des sentiers, dans la joie et la liberté. Ceux qui n’ont pas essayé ces longues marches à pied dans la campagne ne peuvent imaginer le contentement qu’elles assurent : le promeneur découvre à chaque pas un détail qui l’attire ; pour l’un ce sera une fleur, pour l’autre, un arbre, pour un autre encore la silhouette d’un rocher ou d’un torrent qui tombe en cascade. Il y a plus à voir dans la nature que dans la société des hommes, et ce qu’elle nous montre n’est jamais déprimant.

Actuellement le touriste qui visite un pays commence en s’enfermant dans une boite en fer d’où il sort quelques heures après sans avoir ouvert le couvercle. Ne disons pas quelques heures mais quelques kilomètres. J’entendis un soir au restaurant une conversation entre deux jeunes, tous deux nantis d’une automobile. Où passeraient –ils leurs vacances ? Dans les Pyrénées, proposait l’un d’eux. Son ami fit explosion : Oh, non ! Surtout pas cela ! Tu ne pourrais pas faire de bonnes moyennes.

Je dois aux caravanes scolaires du Club Alpin d’avoir connu la grande Chartreuse, Belledonne, le Mont Blanc, le Lautaret, Briançon, Embrun et la Durance, le Jura suisse, le Roussillon, avec des compagnons qui étaient devenus des amis. Nous nous retrouvions avec plaisir tous les ans, sinon deux fois par an. Le succès tenait pour une très grande part à la personnalité de notre Mentor, M. Richard, professeur au Lycée Charlemagne, qui atteignait dans ce rôle la perfection même. Prendre la responsabilité totale d’une bande d’adolescents n’allait pas sans risque. Je n‘ai jamais vu M. Richard faire acte d’autorité. Plus simplement, il s’imposait. Il nous aimait et nous le lui rendions. Si l’un de nous dépassait, de si peu que ce fut, il suffisait qu’un autre dise : M. Richard ne sera pas content, et tout rentrait dans l’ordre. Ainsi notre conduite ne donnait-elle prise à aucune critique. Un tel respect des bonnes manières serait-il possible aujourd’hui ? Laissons parler les faits.

Trente ans après nous une caravane analogue à la nôtre mais d’origine indéterminée se rendit dans le Jura, au voisinage du col de la Faucille. Quand la nuit tomba, les garçons, un peu échauffés, voulurent forcer la porte derrière laquelle dormait une gentille petite servante de l’hôtel. Elle appela au secours et le personnel dut intervenir : la bagarre fut sérieuse. Autre exemple : un groupe d’alpinistes français réussit l’ascension du Mont Aconcagua par la face sud : c’est, avec près de 7 000 mètres, le point culminant du continent américain. Du point de vue sportif, c’était un succès. Les auteurs en furent si gonflés que, ayant été admis à l’hôpital à la suite de gelures, ils y menèrent grand tapage, sans se préoccuper des plaintes des malades. Et le pire est qu’ils s’en vantent dans le récit qu’ils ont fait de leur exploit. Autre temps, autres mœurs.

A titre exceptionnel un petit nombre de personnes âgées se joignaient à notre caravane. J’ai gardé un souvenir ému de M. Jenn, qui était, si je ne me trompe pas, professeur dans un lycée. Sa gaieté était inaltérable et il acceptait en riant que sa corpulence fut remarquée. Il espérait que la marche la ferait évanouir : elle lui donnait surtout un appétit féroce qui ne passait pas inaperçu et aboutissait au résultat inverse, sans altérer aucunement sa bonne humeur. Un autre, M. Bouty, était professeur à la Sorbonne, mais oubliait son titre pour devenir un ami. Notre excursion se terminait par une sorte de petit banquet sans façons et M. Bouty y chantait :

Sous le beau ciel de l’Espagne

Sans boire ni manger

Voyager

N’avoir, hélas, pour compagnes

Que la soif et la faim

C’est malsain

…………

Ayez pitié d’un pauvre diable

Qui chante avec l’estomac creux

La dernière note était basse et le mot creux avait une sonorité lugubre ; mais le chanteur faisait aussitôt remarquer que ce mot ne s’appliquait pas à lui personnellement et qu’il n’avait aucune réclamation à faire.

Les jeunes gens n’ont aucun désir de fuit leurs aînés, même s’ils le sont de beaucoup. Mais il faut qu’ils soient en petit nombre et ne cherchent pas à s’imposer. Si M. Jenn avait dû nous quitter il nous aurait manqué quelque chose, justement parce qu’il ne prétendait à rien. Et M. Bouty acceptait pour nous amuser le rôle de troubadour ; il était originaire de l’Aveyron, département de langue d’Oc d’où l’on descend tout naturellement chez Clémence Isaure en suivant le fil de l’eau.

L’école Normale Supérieure

J’entrai à l’école normale en 1895 après un an de taupe pendant laquelle j’avais été gnouf : c’était le nom officiel des candidats et nous n’avions rien contre, car son origine était inconnue. Les anciens étaient censés mépriser les gnoufs et ne le leur cachaient pas.

Quand on pense que les femmes

Qui sont des êtres charmants

Ont pu porter dans leurs flancs

Ces sales gnoufs, monstres infâmes…

mais ce mépris n’était qu’une occasion de rire. Les brimades avaient disparu sans laisser de regrets. Il restait une trace du respect instinctif que les petits écoliers ont toujours eu pour les grands. La première année, les gnoufs devenaient conscrits, et de là carrés, puis cubes. Il était bien convenu que conscrits et carrés devaient le respect aux cubes :

Notre école est une serre

Dont les cubes sont les fruits

Les carrés et les conscrits

En sont la fleur printanière

Et les gnoufs sont le fumier

Dont le sol doit s’imprégner.

Ce qui n’empêchait pas le fumier d’être dans les termes les plus cordiaux avec les fleurs.

Ce sentiment de respect n’était pas uniquement de commande. Le conscrit, c’était l’élément encore interchangeable, tandis que les cubes affirmaient souvent une personnalité marquée. Je citerai par exemple Paul Langevin. Nous savions tous qu’il était destiné à être un grand physicien et nous recherchions son amitié. Il ne s’en apercevait même pas et se montrait toujours excellent camarade. D’ailleurs il succombait à l’occasion à des tentations humaines et il faut bien dire que, lorsqu’il en eut les moyens, il se laissa aller volontiers au péché de gourmandise. Avec son ami, le mathématicien Paul Montel, ils en donnèrent la preuve en allant dénicher dans tous les quartiers de Paris les bons petits restaurants qui maintenaient la tradition de la cuisine soignée, et chacun des deux était fier quand il en avait découvert un, inconnu de son complice.

Une autre aimable figure était celle du mathématicien Henri Lebesgue. Une légende avait couru à son sujet quand il était encore taupin au lycée Saint Louis, connu à l’instar de Louis le Grand comme une pépinière de gnoufs. En 1884 le bruit courait qu’il s’y trouvait un véritable phénomène : à peine une question de mathématique était-elle posée qu’il en donnait la solution, mettant son professeur dans l’embarras. Ce redoutable phénomène était Lebesgue qui atteignit une réputation mondiale : l’intégrale de Lebesgue est célèbre. Nous l’aimions pour ses qualités de cœur autant que pour celles de son esprit. Il mourut alors qu’il était en pleine activité, à la veille de sa mise à la retraite. Quand vint l’heure de la dernière leçon, il était gravement malade et pouvait s’en dispenser, mais il n’y consentit pas et se fit porter au Collège de France pour prendre une dernière fois la parole. Ce fut l’adieu d’un mourant.

Les conscrits travaillaient au rez de chaussée, les cubes au troisième étage, dont dépendaient les gouttières qui jouaient un rôle essentiel dans la vie normalienne. La comparaison avec les chats venait d’elle-même :

Les yeux fermés, les pas assurés

Jamais par l’abîme attiré

La pipe aux dents, les reins cambrés

La mine altière

J’me balade, je cours continuellement

D’un bout à l’autre du bâtiment

Au dessus de moi y’a qu’le firmanent

Dans la gouttière

Mes chers amis, quand par malheur

Viendra pour moi la dernière heure

Ne plantez pas un saule pleureur

Au cimetière

qu’mon corps, par un plus doux destin,

Soit mis dans une boite de sapin

Cerclée avec un peu de zinc

De la gouttière

La gouttière était faite de pierre taillée, horizontale et large peut être de trente centimètres. Nous y étions parfaitement à l’aise en été pour bavarder au grand air. La vue s’étendait au loin, par-dessus la vallée de la Bièvre dont nous dominions les toits ; nous pouvions même jeter un regard indiscret dans les chambres de bonne des sixièmes quand la nuit tombait. Le vide, – vingt mètres verticaux –, ne nous impressionnait pas ; j’ai même vu un de mes condisciples marcher à l’aise sur le rebord extrême qui n‘avait pas la largeur de la main. Un vrai chat n’aurait pas fait mieux. La gouttière courait tout autour des bâtiments et était barrée par des grilles en fer qui rappelaient le cardinal La Balue, hérissées de pointes censées les rendre infranchissables. Elles m’agaçaient et, un jour, je voulus savoir si elles l’étaient réellement, infranchissables ; j’appliquai la méthode expérimentale et ne rencontrai pas de difficulté réelle, sauf au moment où une des pointes accrocha mon fond de culotte.

Notre voltige dans les gouttières était sans doute interdite par un règlement : si un accident était arrivé le Directeur aurait été rendu responsable. Mais quel règlement ? Je ne pense pas l’avoir jamais connu. Il avait existé auparavant ; par exemple chacun de nous disposait d’une petite chambre à coucher dont il était entièrement maître. Mais selon un règlement dont le souvenir seul était resté, quiconque recevait visite d’un camarade devait laisser la porte ouverte.

La grande porte sur la rue d’Ulm était fermée le soir pour empêcher les escapades nocturnes et c’était sans doute une sage précaution ; elle nous obligeait à sauter la grille, garnie aussi de pointes : c’était un bon exercice d’assouplissement que l’administration aurait dû favoriser. Elle préférait fermer les yeux et se contentait de faire vérifier par un surveillant que nous étions présents au réveil. Ce surveillant portait, on ne savait pourquoi, le nom de caïman et avait la férocité d’un ami.

La liberté à peu près totale dont nous profitions aurait pu dégénérer en licence ; en fait nous la limitions nous-mêmes. Certains entraient à l’Ecole avec le ferme propos de travailler le moins possible ; ils étaient bien rares et n’avaient pas d’admirateurs. Mais nous demandions à tous les dons du cœur.

La chance a voulu que j’ai des camarades dont beaucoup ont laissé un nom. Je ne parlerai que des littéraires dont les titres sont appréciés par un plus grand nombre.

En principe, l’Ecole Normale formait des professeurs pour l’enseignement des lycées et, en fait, presque tous les anciens élèves après l’agrégation y étaient nommés. Mais ce n’était pas une règle sans exception : Ernest Tharaud était l’une des plus notoires : la carrière de l’enseignement n’avait pour lui aucun attrait et il était évident qu’il y renoncerait le plus tôt possible, car il était décidément fantaisiste ; il voyageait beaucoup, sans grand argent et le bruit courait qu’il demeurait en pays lointain tant qu’il lui restait un sou ; celui-ci une fois dépensé, il se faisait rapatrier par le consulat français. Personne n’a jamais su ce qu’il y avait de vrai dans cette légende mais elle paraissait vraisemblable. Il attirait la sympathie et j’ai gardé de lui le meilleur souvenir, bien qu’il m’ait un jour gravement offensé en rappelant que la rue Falguière, que j’habitais, s’était autrefois appelée la rue des fourneaux.

Je parle d’Ernest Tharaud. La littérature ne connaît que les deux frères, Jérôme et Jean ; c’est un nom indivisible. Plus tard je fis la connaissance du Non-Ernest : je travaillais alors à l’Institut Pasteur et nous déjeunions en bande dans un petit restaurant, boulevard Edgar Quinet, servis par une sémillante brunette qui s’appelait Marcelle. Ernest et le Non-Ernest étaient fort différents et ne s’entendaient pas toujours ; le premier était exubérant et animait nos repas en nous faisant rire ; l’autre était réfléchi et posé et devait de temps à autre atténuer les explosions de son frère.

J’ai aussi eu l’honneur d’être pendant deux ans condisciple de Péguy et je garde de lui un souvenir fort net : assez pour être en désaccord avec beaucoup de ce qui a été écrit sur lui plus tard. Il a été représenté comme ayant eu une grande influence sur ses condisciples : la vérité est tout autre.

Quelques soixante ans après, j’eus l’occasion de parler de lui devant un vieil ami de 1895. Te souviens-tu de Péguy, lui demandai-je ? Il lui fallut une seconde pour faire remonter ses souvenirs, puis ils prirent une forme abrupte que j’enregistre aujourd’hui avec toute sa verdeur. Péguy ! dit-il, je crois bien que je m’en souviens ; tout le monde se foutait de lui.

La situation était limpide. Péguy était en possession de la vérité absolue et se sentait désigné pour la faire triompher. En application d’un accord tacite, chacun de nous pouvait afficher à la porte du réfectoire son opinion sur toute question, sans que personne le lui demande. Un jour Péguy nous révéla ainsi, à l’étonnement général, un élément de la vérité : il n’y a que trois socialistes dans l’Ecole : moi, Lévy et X.. J’ai oublié qui était X. Notez bien que nous étions environ 130 et que, sur ce total, il y en avait bien 100 avec lesquels Péguy n’avait jamais échangé un mot. Mais du moment qu’il savait tout !

Une autre occasion lui fut offerte par le Ministre des Affaires Étrangères, Gabriel Hanotaux, qui sévit de 1894 à 1898. Un jour une affiche de Péguy nous apprit que la politique de la France ne lui plaisait pas ; mais, ajouta-t-il pour nous rassurer, aucun danger ne nous menace, car je surveille Hanotaux. Ce fut un immense éclat de rire que mon vieil ami n’avait pas oublié. Ainsi le sort du pays était dans les mains d’un Normalien de vingt ans, qui n’était connu de personne.

Nous aurions tort de rester sur la mauvaise impression laissée par la candeur de Peguy et ses petites manies. Je ne pense pas que, tant qu’il fut normalien, il ait jamais fait œuvre utile, quoi qu’en disent ses panégyristes. Plus tard il créa les Cahiers de la Quinzaine qui, s’ils n’eurent pas d’influence réelle, furent souvent fort intéressants, à un niveau moral élevé et toujours indépendants de toute influence financière. Ils furent en particulier à peu près les seuls à dénoncer les massacres d’Arménie qui, à cette époque, déshonorèrent l’Europe occidentale. Les diplomates laissèrent faire, trop heureux de pouvoir en profiter pour arracher au Sultan, au prix de leur silence, quelques concessions financières et se les répartir entre eux. Péguy ne suivit pas la consigne officielle et nous devons le dire.

L’indépendance n’a jamais été une nourriture et les Cahiers vivaient de privations. Le petit groupe qui s’intéressait à eux fut encore victime d’un accident : le gardien du trésor fila avec la caisse ; pour faire vivre son enfant, Péguy, de lui-même parfaitement désintéressé, devint un terrible tapeur. Je me souviens de mon inquiétude un soir où, revenant chez moi, j’appris qu’il était venu me demander. Je n’avais aucun doute sur le motif de sa visite.

Quel enseignement recevions nous à l’Ecole ? Il se divisait en deux parties. La première était donnée dans nos locaux par nos professeurs à nous ; ils étaient excellents et j’en ai gardé un souvenir reconnaissant. Comme beaucoup d’autres je m’intéressais aux maths, sans passion spéciale. Je n’y réussissais pas toujours. Étant au lycée je n’ai qu’une fois été dernier et ce fut en mathématiques. Le professeur me fit d’ailleurs des compliments sur la méthode que j’avais suivie et qui lui avait semblé astucieuse. Mais les calculs algébriques étant faux dès la première ligne, il n’avait pu faire autrement que de me classer dernier.

Malgré cette inaptitude, je fus assez intéressé pour rédiger entièrement, de la première à la dernière ligne, les deux cours de mathématiques de Jules Tannery et de Coursat ; je fis relier le tout en un gros volume. Il m’arrive de le rouvrir, toujours pour peu de temps, mais assez pour éprouver envers moi-même un sentiment de vive admiration ! Quand je pense que j’ai su tout cela ! Je n’en ai retenu qu’un détail : à tout bout de champ on y voyait apparaître à l’horizon le facteur 4π. Évidemment dès qu’on asticote une fonction algébrique, elle se réfugie derrière le nombre π : et ceci nous encourage à faire plus ample connaissance avec ce nombre providentiel.

Que j’aime à faire apprendre un nombre utile au sage

Immortel Archimède, artiste ingénieux

Qui de ton jugement peut priser la valeur ?

Pour moi ton nombre seul a de tels avantages.

Vous avez bien compris : ≠ 3.1415926555.. etc.

Si c’est 1/π qui vous intéresse vous avez recours à l’histoire :

Les trois journées de 1830 sont un 89 renversé …

1/ π = 0.3183098..

C’est une belle chose que l’instruction, surtout quand on la marie à la poésie lyrique.

Les cours de Coursat étaient peut être un peu sévères. Mais Tannery avait l’âme d’un poète et son grand souci était, non la mathématique mais la musique. Il aurait vendu toutes les théories pour une symphonie et ne manquait pas un concert. Comme l’immense majorité des professeurs français, il n’avait rien de solennel et réussissait à être notre ami. Je me souviens qu’un jour, au cours d’une démonstration au tableau, il nous dit avec chaleur : ceci étant démontré, il est évident que la fonction… puis il s’arrêta net, parut mal à son aise, hésita un bon moment et finit par conclure : c’est évident, bien entendu, mais aujourd’hui cette évidence m’échappe. J’ai eu bien souvent l’occasion de me rappeler cet incident qui pousse à mettre en doute la solidité de notre raisonnement. Car à cette seconde précise un rouage n’engrenait plus dans l’esprit de Tannery ; et il ne pouvait y avoir de grande différence dans l’état de ce rouage cinq minutes avant et après. Pourtant l’un était normal et l’autre pas. Mais lequel ?

Je dois beaucoup aux cours de physique de Marcel Brillouin. Il savait qu’il avait en face de lui des auditeurs triés et qu’il pouvait aller au fond, en nous demandant de réfléchir, ce qui est impossible avec un auditoire tout venant. Je peux témoigner de cette impossibilité, ayant essayé d’appliquer cette méthode et m’étant mordu les doigts : un jour, j’avais voulu montrer les difficultés auxquelles se heurtait une méthode classique qui les escamotait avec le sourire. Un auditeur me prit à partie : avec vous, me dit-il, on ne sait jamais ce que l’on doit croire. – Mais rien du tout, cher ami, je ne vous demande pas de croire mais de vous faire une opinion vous-même. Je suis professeur et non prophète.

Même dans le milieu normalien le cours de Brillouin passait pour difficile ; un incident montre sa valeur, je pourrais presque dire sa valeur marchande. Il nous avait fait, entre autres, une leçon sur l’optique qui m’avait vivement frappé et tout ce qu’il m’avait dit s’était gravé dans ma tête. Qu’eûmes nous à traiter au concours d’agrégation ? Justement cette question. Je régurgitai le cours et obtins la note 18, qui était rarement donnée. Ou plutôt ce fut Brillouin qui l’obtint ; je fus seulement le dactylo. Ce chiffre 18 me rappelle un de mes professeurs d’allemand qui jugeait ainsi pour les compositions : si Dieu le Père concourait, je lui donnerais 20 ; à moi-même je donnerais 18. Comment voulez vous que je vous donne plus de 17 ?

Mais ce n’est pas fini. Tout ceci se passe en 1898. Il y eut une exposition universelle en 1900 et le Ministère de l’Instruction publique, qui est devenu de l’Education Nationale le jour où il a renoncé à s’occuper de l’éducation, garnit une de ses vitrines, à titre d’exemple, avec des copies d’agrégation : il aurait été plus logique d’exposer les agrégés eux-mêmes. La copie Brillouin-Duclaux y figura, et le plus curieux fut que quelqu’un s’en aperçut et nous en parla. Un sujet connexe fut donné à la fin de l’année à l’agrégation de Physique, à l’un de mes camarades de l’Ecole. D’après le règlement il avait 24 heures pour préparer sa leçon, avec le droit de se servir de toute pièce écrite, mais il s’engageait à ne se faire aider par aucune personne vivante : il faut dire que cet engagement était tenu. A l’exposition la vitrine était ouverte et le public pouvait lire. Son camarade s’y rendit et ainsi la copie fit un second heureux.

Nous suivions des cours à la Sorbonne : nous étions ainsi pluridisciplinaires, soixante huit ans avant qu’un ministre bien intentionné invente ce terme. L’administration nous laissait libres et nous sortions et rentrions sans que personne nous demande de compte chronométrique. Il n’en avait pas toujours été ainsi et nous pouvons lire dans les souvenirs d’Emile Picard que 20 minutes étaient accordées en 1872 pour aller de la rue d’Ulm à la rue Victor Cousin, et autant pour en revenir.

Nous vivions sous un régime de liberté complète, mais nous ne songions pas à en abuser et étions durs au travail. Nous étions de grands garçons dont la plupart connaissaient les difficultés de la vie et étaient décidés à y faire face. Mon ami le plus intime était le fils d’un mécanicien de chemin de fer. En ce temps le poste de mécanicien sur les locomotives était ouvert à tous les vents, et ce mécanicien disait que le métier n’aurait pas été mauvais s’il n’y avait pas eu, pour lui qui fréquentait la ligne de St Georges d’Aurac au Puy, le passage de St Geneyx à 1000 mètres d’altitude où le vent d’hiver refroidissait sa machine au point que ses doigts gelaient au contact des pièces de cuivre et que sa peau s’arrachait quand il voulait les retirer. Il donnait à son fils l’exemple de la vie dure.

Je revois comme si c’était hier mon voisin d’étude, Labrousse, qui, après avoir été professeur en taupe, finit sa carrière comme inspecteur général de l’Instruction Publique. Il étudiait avec un véritable acharnement du matin au soir. Nous autres pouvions bien discuter et, comme c’était au moment de l’affaire Dreyfus, le ton pouvait monter ; non seulement il ne participait pas mais il ne s’en apercevait pas. Tout son être était tendu vers un but unique : réussir son examen pour gagner son indépendance et venir en aide aux siens. Sur 20 camarades de promotion il n’y avait qu’une exception : le camarade X qui ne voulait rien faire. Profitant de la liberté il disparaissait sans que personne pût dire où il était allé ; à en juger par l’heure à laquelle il revenait ce n’était pas à des cours. Il affectionnait la littérature d’avant-garde et je lui dois d’avoir connu des poésies dont certaines reviennent à ma mémoire :

Amour, germe de lui dons lui germant

Et selon aventure d’Ellipse qui vaille

Quand aux divers mouvements d’ouverture allant

Du vœu qu’elle advienne la droite. Aussi loin qu’aille

En deux termes de mouvement le mieux voulant.

Ou bien encore

Le noir roc courroucé que la bise le roule

Et ne s’arrêtera ni sous de pieuses mains

Tâtant sa ressemblance avec des maux humains

Comme pour en bénir quelque funeste moule

Au lointain quelquefois si le ramier roucoule

Cet immatériel deuil opprime de maints

Nubiles plis l’astre mûri des lendemains

Dont un scintillement argentera la foule

Qui cherche, parcourant les solitaires bonds

Parfois extérieurs de notre vagabond

Verlaine. Il est caché parmi l’herbe, Verlaine,

A ne surprendre que naïvement d’accord

La lèvre sans y boire et tarir son haleine

Un fleuve peu profond calomnié, la Mort.

(1)

Mon condisciple disait comprendre ces œuvres sans difficulté ; mais il faut dire qu’il fut très généralement refusé aux examens. J’ai toujours pensé qu’un rapport existait entre les deux faits. Ceux qui ne pensent pas comme tout le monde ne sont plus à leur aise dans les occasions où la fantaisie est de peu de secours.

Notre condisciple X fut admissible à l’agrégation et plusieurs d’entre nous assistèrent par sympathie à la leçon qu’il devait faire : ce fut un Trafalgar ; la durée prévue était une heure, mais, Verlaine n’étant pas venu à son aide, il se tut après vingt minutes à notre grand émoi et à celui du jury qui assistait à un suicide. Le président dormait et il fallut lui expliquer la situation. Que voulez vous ? Il n’était plus jeune et entendait du matin au soir des leçons insipides faites par des novices, ceci au plus fort de l’été et en sortant de table. C’était lui le martyr et non pas nous.

Nous aurions dû être tous des puits de science, les moins résistants pensionnaires à l’asile de Charenton ; nous devions apprendre en trois ans les mathématiques, toute la physique et toute la chimie mécanique, la cristallographie et l’astronomie ; nous suivions en plus des cours de botanique et de zoologie. Ceux qui se destinaient aux sciences naturelles étaient moins chargés en mathématiques, mais on leur mettait sur le dos la géologie. L’un d’eux eut à décrire les terrains du Kamtchatka ! Il n’y avait que Jules Verne pour en avoir entendu parler. Et Phileas Fogg lui-même n’y avait pas mis les pieds, bien que son contrat lui donnât 80 jours pour s’y rendre.

Les cours que nous suivions à la Sorbonne étaient d’un niveau variable ; je ne parlerai que du meilleur et du plus mauvais.

Le cours de mécanique de Paul Appell était magnifique ; c’était la forme orale de son grand traité qui est encore recherché après 80 ans. Je l’ai rédigé aussi avec un grand soin. La variété des sujets abordés était incroyable ; il ne m’en reste pas grand-chose et je serais souvent tenté de confondre la polhodie avec l’herpolhodie (2 & 3). Mais je me souviens avoir écouté avec ravissement la théorie du gyroscope, cet instrument saugrenu qui refuse d’obéir à la pesanteur, se jette invariablement à angle droit de la direction indiquée par le bons sens et devrait être le symbole des partis politiques. Je n’ai pas davantage oublié la loxodromie,(4) et je ne pense pas errer si je rappelle que la cycloïde est en même temps tautochrone et brachistochrone  (5 & 6).  On n’est jeune qu’une fois.

A l’extrémité opposée était le cours, ou plus exactement l’absence de cours de Gabriel Lippmann. C’était un physicien de classe internationale, sinon plus, qui obtint le prix Nobel en 1908 pour le moins important de ses travaux : la même aventure arriva plus tard à Pierre Curie. Je fus mis en rapport personnel avec lui par un accident bizarre qui me fit jouer, toutes proportions gardées, le rôle de David devant Goliath. Pour comprendre, il faut remonter à la première République, qui avait fondé en 1792 un organisme nommé le bureau des longitudes, « en vue du perfectionnement des diverses branches de la science astronomique et de leur application à la géographie, à la navigation et à la physique du globe ». L’un des moyens était la publication d’un annuaire qui devait être « propre à régler tous ceux de la République » ; il était ainsi investi d’une mission de confiance comme de nos jours le médiateur.

Une partie de l’Annuaire était consacrée à des données purement astronomiques : étoiles, planètes, mouvements de la terre et du soleil, marées, éclipses, etc. Une autre contenait des données physico-chimiques, c’est-à-dire les propriétés d’un grand nombre de substances usuelles : par exemple leur densité, leur température de fusion ou d’ébullition, leur indice de réfraction et beaucoup d’autres. Il peut paraître étrange à un non initié que la République s’intéresse à des chiffres qui ne prétendent à aucun intérêt artistique ou sentimental, mais le fait est que tous ceux qui sont en contact avec la science, chercheurs ou ingénieurs, en ont besoin  ; pour en montrer l’intérêt il suffira de dire que l’Annuaire du bureau des longitudes, probablement le premier en date, a eu beaucoup d’imitateurs et qu’un manuel américain similaire, fort apprécié dans les laboratoires, a eu plus de quarante éditions ; il se présentait sous la forme d’un volume bourré de chiffres quasi microscopiques, avec la promesse de faire mieux à l’avenir. C’est un best seller tellement dépourvu d’humour que personne ne l’emporte en vacances.

Mais le bureau des longitudes, qui devait régler la République, en était devenu l’un des plus remarquables dérèglements ; vers 1910, n’ayant jamais été révisé de mémoire d’homme, il était devenu un incroyable chaos d’erreurs, d’archaïsmes et de fariboles. Tout le monde le savait et déjà de vives critiques avaient été formulées par des savants dûment autorisés, mais toujours sur un mode courtois ; et les responsables n’en avaient cure. C’est alors que David intervint, frondeur par tradition. Il bannit toute courtoisie et écrivit un article féroce qui tournait l’annuaire en ridicule. Il faut croire que l’article n’était pas trop mal tourné car il eut un immense succès auquel l’auteur était loin de s’attendre ; vingt ans après un des lecteurs s’épanouissait encore quand il y pensait. La querelle sortit même des milieux scientifiques et un membre de la chambre des députés posa une question au ministre intéressé. Ce dernier répondit en remerciant son honorable collègue d’avoir attiré son attention sur cette question, qu’il allait mettre à l’étude avec une objectivité républicaine. Dès l’année suivante l’annuaire fut revu d’un bout à l’autre. David avait vaincu.

Goliath c’était précisément Gabriel Lippmann. C’était lui qui, au bureau, avait la charge de la partie physico-chimique de l’annuaire. Par déférence je résolus d’aller le voir ; mais quand je me présentai à son laboratoire, il me fut répondu qu’il n’était pas là et que personne ne savait quand il viendrait. J’appris à cette occasion que la même réponse était faite à tout visiteur, indistinctement et à toute heure. Le professeur n’était jamais là, même quand des témoins l’avaient vu arriver cinq minutes auparavant. A croire qu’aussitôt arrivé dans son laboratoire, il s’y volatilisait.

Je ne cherchai pas à élucider ce problème et nos relations personnelles en restèrent là. Restaient les relations publiques ; avec une foi naïve envers ce grand physicien nous suivions assidûment son cours dont le programme nous convenait parfaitement. Il le suivait aussi mais seulement en tant que corps matériel, visiblement son esprit était ailleurs, on ne sait où. Le cours se déroulait selon un rite invariable : le professeur n’avait rien préparé et, en arrivant, il demandait à son assistant : de quoi vais-je parler aujourd’hui ? Une fois informé il se mettait à l’œuvre ; après vingt minutes, son stock était épuisé ; alors l’assistant, qui avait tout prévu, entrait en scène et exécutait une série d’expériences admirablement préparées qui réussissaient brillamment ; elles duraient vingt minutes ; au total quarante et la suite était remise au prochain numéro, le professeur retournant à son invisibilité comme le héros de Wells. A titre de curiosité je note qu’une oraison funèbre de Lippmann le présentait comme ayant été le modèle des professeurs : l’auteur était un ami d’enfance qui se serait bien gardé d’assister à son cours et ne me pardonna jamais mon indiscrétion.

Pour être juste, il faut dire qu’une pareille négligence était exceptionnelle ; enfin disons, assez exceptionnelle, car, en cherchant bien… Mais il serait désagréable de citer des noms qui peuvent être glorieux pour d’autres raisons : pas toujours très bonnes, bien quelles aient pu conduire un bénéficiaire au dôme de la rue Soufflot. Nos professeurs étaient, dans leur grande majorité, d’une conscience parfaite. J’ai déjà cité le nom d’Edmond Bouty qui enseignait la physique et nous apprenait beaucoup, excepté au cœur de l’été. Alors, au début de l’après midi, la chaleur et la digestion entraient dans le conflit et il en résultait quelques accrochages dans les formules : le numérateur tendait à se confondre avec le quotient. Bouty ne s’affolait pas et je me souviens l’avoir entendu dire gaiement : je crois que je suis en train de perdre mon équilibre ; je compte sur les normaliens pour me remettre d’aplomb.

Je n’ai pas souvenir que nous ayons eu à l’Ecole Normale de grandes discussions sur la religion. Je pense que la majorité des normaliens était formée d’incroyants ; les autres étaient qualifiés, on ne savait pourquoi, de Talas (7).Le contradicteur notoire était l’Antitala. Il n’est pas douteux que, selon une tendance générale, le terme Tala était aimablement péjoratif. L’un de nos condisciples travaillait la nuit, disait-on, en face d’un crucifix et le sentiment général était qu’il exagérait un peu ; mais ses voisins le laissaient faire sans observation. Pour se déclarer ouvertement tala, il fallait parfois du courage. Au régiment, quand venait la nuit dans la chambrée, notre camarade D. s’agenouillait au pied de son lit pour faire une prière, non pas comme manifestation mais pour accomplir son devoir chrétien : ses voisins faisaient semblant de ne pas s’en apercevoir. Le peuple est tolérant quand on ne le remonte pas. Mais il faut toujours compter sur les excités de naissance et j’en ai connu un qui était férocement antitala et se vanta un jour devant nous, d’avoir persuadé son boulanger de refuser son pain au curé ; il faut dire que l’opinion générale ne le considérait pas comme un aigle.

Noël Bernard était botaniste ; plus tard il présenta une belle thèse de doctorat qui lui promettait un bel avenir ; mais la tuberculose l’emporta très jeune. Ses éminentes qualités d’esprit lui valaient une influence sur nous et je dois avouer qu’il m’avait rendu antitala. Il faut dire qu’à cette époque que nous pouvons appeler historique en raison du mouvement d’idées qui la caractérisa (laïcité, etc.) la position morale de l’église n’était pas brillante et qu’elle commençait à commettre la longue série de fautes qui l’ont conduite à la situation actuelle. Ceci m’amène à parler de l’affaire Dreyfus : j’étais normalien au moment de sa plus grande virulence et je remplirais un volume de mes souvenirs.

L’affaire Dreyfus est bien lointaine maintenant, sinon oubliée, et je n’en parlerai qu’en termes généraux. Comme tous les Français nous avions à son sujet des discussions très vives ; mais s’il arrivait qu’un de nous dépassât la limite de la courtoisie, il s’en excusait aussitôt et l’incident était clos. Pas d’affiches, pas de graffitis.

Les adversaires de Dreyfus avaient inventé le syndicat dreyfusard ; selon eux les partisans de Dreyfus s’étaient organisés en syndicat pour déshonorer l’armée et ils remplissaient les journaux des exploits de ce syndicat, d’autant plus dangereux qu’il travaillait dans l’ombre comme tous les fantômes qui connaissent leur métier. Les Dreyfusards ripostaient en accusant les ordres religieux et particulièrement, on ne sait pourquoi, les assomptionnistes dont le nom revenait souvent. Qui pouvaient –ils bien être ?

Le dictionnaire disait qu’ils avaient fondé le journal La Croix, passablement répandu alors et qui passait auprès de beaucoup de chrétiens pour propager la vraie foi. Si c’était vrai, alors on pouvait dire que la vraie foi était contre Dreyfus. La tendance était surtout évidente dans les petites villes de province, dominées sans contre partie par le comme il faut. Défendre un juif n’était pas comme il faut, même s’il était innocent ; et on n’allait pas plus loin.

En dépit des apparences qui montraient une nation profondément divisée, au bord de la guerre civile et sans force, l’affaire Dreyfus a été l’un des beaux moments de l’histoire de France, en ce sens qu’elle a révélé la puissance insoupçonnée de la vérité. Au début les Dreyfusards avaient contre eux toutes les puissances. L’armée d’abord ! Une des péripéties, le procès Zola, fut un défilé de généraux hostiles. Un dreyfusard que je connaissais bien reçut un jour la visite inattendue d’un sien cousin, général de division, qui lui dit sur un ton de bienveillance un peu indulgente : dans votre intérêt, n’intervenez plus ; nous avons la preuve absolue de la culpabilité de Dreyfus. Il était indiscutablement sincère. Alors du moment que les généraux étaient d’accord, les subordonnés suivaient. Dreyfus avait contre lui au début la magistrature : il avait été condamné par un jugement régulier, il fallait admettre une erreur judiciaire. L’idée d’une telle erreur est plus déplaisante à un juge que celle d’une erreur de diagnostic pour un grand médecin, qui laissera son client mourir dix fois plutôt que d’avouer qu’il s’est trompé.

La plupart des partis politiques étaient hostiles. L’un des grands chefs socialistes, Jules Guesde, avait déclaré que toute cette agitation était une affaire de bourgeois et n’intéressait pas le peuple. Il avait contre lui Jaurès, qui n’était pas suivi. Les hommes d’affaire étaient contre : le juif était un concurrent redouté et c’était tant mieux s’il lui arrivait quelque dommage ; d’ailleurs cette agitation troublait la bourse et n’était pas rentable. Enfin il y avait les antisémites, les uns professionnels, un bien plus grand nombre, amateurs. Ils triomphaient : je vous l’avais bien dit ; appliquons le système allemand ! Pas de juif dans l’armée !

La vérité a été la plus forte et il est à l’honneur de la France que la démonstration de sa force ait été donnée par elle.

Autres domaines : universités populaires et poste de préparateur

 

L’instruction est, selon Danton, le premier besoin du peuple après le pain. Une appréciation toute semblable peut être trouvée dans le roman d’Erckmann Chatrian, Madame Thérèse, qui décrit l’état d’esprit révolutionnaire mieux qu’aucun historien n’a pu le faire. Cependant cette maxime peut sembler difficilement conciliable avec les statistiques d’après lesquelles la grande majorité des Français n’achète jamais un livre. A Dieu ne plaise que nous nous égarions sur un terrain aussi épineux. .

Nous nous bornerons à un petit détail dénué de pouvoir explosif : il existe des originaux qui ont plaisir à apprendre et des originaux qui ont plaisir à enseigner. Les uns sont le pôle positif, les autres le pôle négatif, et il est connu que les deux s’attirent. Comment rendre l’attraction efficace ?

Les Universités populaires ? Je n’ai pas de date précise à donner pour leur fondation  Disons seulement qu’elles préoccupaient les milieux intellectuels vers 1900. Elles fonctionnaient, suivant l’expression consacrée, à la bonne franquette. Un jour un ami vous rencontrant dans la rue vous demandait : veux-tu aller faire une conférence à l’Université populaire de Nanterre la semaine prochaine ? – Oui, bien sûr ! On préparait la conférence et à l’heure convenue on se rendait à Nanterre où l’on ne connaissait personne. On se présentait : je suis le conférencier de ce soir – Ah! très bien ! Venez par ici. La salle était déjà bien garnie. De quel public ? On n’en savait rien et on ne cherchait pas à le savoir. D’entrée on était absolument libre : pas de cartes, pas de surveillance, rien. A l’heure dite le conférencier se levait et allait se placer, debout ou assis selon son goût, derrière une petite table. Quand il avait conclu, chacun rentrait chez soi, comme dans la chanson de Marlborough.

Le mouvement des Universités populaires n’avait absolument aucune couleur politique. Les orateurs étaient aussi bien des « réactionnaires » que des « progressistes » ou des « avancés » ; un seul lien les unissait : une sympathie sans phrases envers ceux qui, leur journée de travail finie, cédaient au désir d’apprendre. Les aider demandait un effort : ce n’était pas toujours amusant d’aller la nuit à Nanterre. J’ai cité cette Université parce que son nom s’est présenté ; les autres n’étaient guère moins lointaines. Mais nous nous sentions l’âme de Danton. Elles  auraient dû se développer presque indéfiniment. Comment se fait-il que leur rôle soit resté si modeste ? Comparez un professeur populaire à un chanteur populaire : la disproportion est de taille.

En raison de notre inexpérience, les conférences se tenaient à un niveau très inégal. Certaines étaient de premier ordre : je me souviens encore de celle que nous fit Georges Colomb, qui était de son métier universitaire et botaniste, mais beaucoup plus connu sous le nom de Christophe comme père du Savant Cosinus, du Sapeur Camembert et de La famille Fenouillard. Il nous parla des abeilles et nous tint une heure sous le charme. Mais les conférences de ce niveau étaient rares, et d’autre étaient endormantes.

L’ennui peut avoir été l’une des causes du déclin ; il est possible que l’un des motifs ait été la disparition progressive de la bonne humeur. Le mouvement des Universités populaires était fondé sur la solidarité et la bonne humeur, il n’est plus à sa place dans une société où tout le monde ronchonne et où tout se règle par la brutalité.

Ma génération a vu aussi péricliter un autre mouvement de même tendance, qui lui aussi devait rencontrer une sympathie générale : le mouvement  Jeunes Sciences. Il reprenait l’idée qu’avaient lancée les Universités populaires, d’un enseignement entièrement libre donné par des bénévoles mais limité aux sciences. Ses débuts avaient été prometteurs et les bonnes volontés n’avaient pas semblé lui faire défaut. Aux dernières nouvelles il serait près de la liquidation et cette triste aventure n’est pas à notre éloge. La curiosité s’est-elle éteinte ? Ou la hargne aurait-elle envahi ce secteur aussi ?

Préparateur et agrégatif ? Comme quelques uns de mes camarades, j’ai fait deux séjours à l’Ecole Normale : le premier de trois ans comme élève, le second de trois ans comme agrégé-préparateur. Comme tel nous devions aider le travail expérimental des élèves, tenir la comptabilité du laboratoire et en même temps préparer une thèse de doctorat pour avoir accès à l’Enseignement Supérieur.

Je parlerai peu de mon rôle de comptable, et en termes impersonnels. Il doit être bien entendu que mon récit ne s’applique en aucun point à moi, mais au corps des agrégés-préparateurs dont je ne suis pas responsable, et que je n’ai pas pris part à leurs dérèglements ; tous d’ailleurs auraient pu faire la même déclaration, avec la même sérénité.

Le fait est que notre comptabilité était truquée de A jusqu’à Z ; ceux qui l’examinaient et la contresignaient le savaient aussi bien que nous. J’en ai même connus qui mettaient de la bonne volonté à nous conseiller. Nul mieux qu’un fonctionnaire de l’Etat n’est apte à imaginer une fraude et il est surprenant de voir combien ils en profitent peu. Une partie appréciable des crédits de laboratoire était attribuée officiellement au remboursement des menus frais. Vous avez besoin d’une éponge ou d’un carreau de verre ou d’une bouteille d’encre ou de papier de verre ? Tout cela était noté par l’agrégé-préparateur. De temps en temps, quand sa bourse était plate, il établissait la liste – le bordereau d’avances- qui lui était remboursée : à la condition qu’aucun chiffre ne dépasse trois francs et que le total ne dépasse pas le chiffre alloué par décision ministérielle. Sinon il fallait fournir des factures en triple exemplaire, dûment acquittées. Et c’est là que commençait la science- fiction.

Par exemple le directeur du laboratoire nous emmenait dans une région industrielle pour nous faire visiter des usines, et ces visites, qui nous faisaient pénétrer dans un monde tout à fait nouveau, étaient très instructives. Nous avons vu ainsi fonctionner une scierie dans le Nord, vu laminer des rails de chemin de fer et sortir d’immenses flammes de la gueule d’un four Messmer. Les tramways ne délivraient pas de reçus sur papier timbré, ni les restaurants, ni les buffets des gares. Et de plus les dépenses dépassaient de très loin la somme allouée par le budget.

C’est le bordereau d’avances qui venait en aide à l’infortuné agrégé-préparateur. Il fallait rattraper la somme réelle en la décomposant en fractions inférieures à trois francs et aucun achat ne devait se faire d’un objet inventoriable car il aurait fallu l’inscrire à l’inventaire. La prudence commandait de ne faire figurer au bordereau que des objets dont on aurait réellement pu avoir besoin. Pourtant l’un de mes collègues, un zoologiste audacieux, demanda un jour à être remboursé de l’achat d’un Amphioxus acheté au marché. L’amphioxus est un petit animal rarissime, qui n’est ni chair ni poisson, et vous avez autant de chance d’en trouver au marché que d’y coudoyer un hippopotame : mais il passa comme lettre à la poste.

Notre grand recours était le gros sel. Il se vendait en sacs au prix de deux francs 20 et était censé nous fournir, additionné de glace, des mélanges réfrigérants. Il faut croire que nous avions besoin d’être réfrigérés car le bordereau en était nourri. J’appris plus tard que nous avions été timides. Le directeur d’un observatoire de province voulut un jour faire clore son terrain ; mais il ne pouvait trouver aucun moyen d’imputer la dépense à aucun chapitre de ses crédits ; il y avait toujours un règlement qui se mettait en travers. Il acheta une quantité prodigieuse de gros sel, comme s’il pêchait la morue dans son observatoire.

Pour que les non-initiés soient bien informés, il convient de définir ce qu’est une thèse de doctorat es sciences, ou plus exactement ce qu’elle était en 1900. Comme élève, on apprend ce qu’ont découvert les autres ; comme thésard, on cherche à découvrir soi même et à augmenter le volume des connaissances afin de compliquer, dans toute la mesure du possible, la tâche des futurs élèves. Fort heureusement ce possible ne va pas loin et les 9/10ème des thèses ne sont lues par personne, même pas par ceux qui ont pour mission de les juger. Ils sont trois dont deux n’y comprennent goutte, le troisième étant le plus souvent le patron du candidat, qui est à la fois juge et partie.

Nous allons suivre les aventures du thésard. Il faut tout d’abord qu’il choisisse un sujet. Autrefois il le faisait en toute liberté : nous étions trois dans le laboratoire de chimie et nous avons traité trois sujets aussi différents que possible, l’un sur la capillarité, le second sur la chimie organique, le troisième sur les composés colloïdes minéraux. Le directeur du laboratoire n’était intervenu en rien dans notre choix. Quand j’entrai en fonctions il me mena devant une table et me dit : voilà votre place. Bonne chance ! Il est curieux de constater qu’il n’avait aucune compétence sur aucun des trois sujets. Au laboratoire de physique, la situation était la même. Dans ces conditions, il arrivait le plus souvent que les thèses continssent des résultats originaux, ou même faisant époque ; je n’en citerai qu’une entre dix : celle de Jean Perrin sur les rayons cathodiques.

Actuellement la situation a bien changé. Les thèses se comptent par centaines : la quantité passa avant la qualité. Un professeur de la Sorbonne, bien placé pour en juger, m’a dit qu’il estimait à 5 % la proportion de celles qui présentaient une idée originale ; cette proportion était dix fois plus forte en 1900. Les autres auraient pu être écrites n’importe où, par n’importe qui, travaillant honnêtement quarante heures par semaine pendant trois ans. J’ai entre les mains un rapport établi par un chimiste de province qui s’enorgueillissait d’avoir fait sortir de son laboratoire quelque chose comme 150 thèses, toutes parfaitement interchangeables. Le Commissariat à l’énergie Atomique repose sur des piles de thèses qui ont eu comme résultat pratique que l’adoption finale de techniques étrangères.

Nous n’avions pas de souffleurs de verre, ni d’aides techniques, ni de mécaniciens, ni de souriantes dactylos. Les gens de mon temps ont tous écrit leurs mémoires et les ont recopiés, deux ou trois fois même. C’était un dur travail, mais ils en sortaient bien trempés, ayant dû résoudre eux-mêmes toutes les difficultés et apprendre tous les métiers.

Pour pouvoir s’honorer d’une bonne thèse, il fallait au minimum trois ans. On était quelquefois aidé par un senior mais il ne fallait pas trop y compter ; le senior avait ses propres problèmes. Personnellement je dois une grande reconnaissance au physicien Paul Villard, qui était l’originalité même. Il avait tâté du professorat sans y trouver de joies ; le bruit courait qu’il avait été, comme on dit dans le métier, fortement chahuté mais que, loin de s’en formaliser, il avait, par excès de vitalité, organisé lui-même des chahuts pour échapper à l’insupportable monotonie du cours.

Paul Villard ne s’intéressait guère aux théories abstraites et était un expérimentateur né ; il s’était occupé des aurores boréales dont il avait décrit le mécanisme et qu’il reproduisait dans un ballon de verre. Aucune difficulté expérimentale ne l’arrêtait et quand il ne trouvait pas dans le commerce l’appareil dont il avait besoin, il le construisait lui-même. Il m’apprit à fabriquer des transformateurs électriques et j’en tirai grand profit tout au cours de ma carrière. L’un d’eux est encore en service après trente ans de marche ininterrompue ; ce qu’il a transformé est incalculable ; il ne mourra pas de maladie comme l’œuvre de tant de transformateurs d’un autre genre ; il sera assassiné par quelque ferrailleur vandale. Un autre, qui est âgé de plus de 70 ans, a eu un sort plus glorieux : il m’a été emprunté par un laboratoire de la Sorbonne qui ne me l’a jamais rendu.

(1) Ce sonnet est de Mallarmé ; il doit y avoir des erreurs de mémoire. Quant au précédent il ne me dit rien mais il ressemble à ceux du même auteur, (parmi les écrits érotiques !  )
(2) « courbe que parcourt sur l’ellipsoïde central d’un corps solide dont le centre est fixe et qu’aucune force n’anime, le point de contact de cet ellipsoïde avec le plan fixe parallèle au plan du maximum des aires sur lequel il roule » ( Pierre Larousse)
(3) inconnu de Pierre Larousse
(4) « courbe que décrit un navire lorsque il suit constamment le même rumb de vent, c’est-à-dire en coupant tous les méridiens sous un angle constant » ( petit Larousse)
(5) « = isochrone : mouvements isochrones, qui se font en temps égaux ; ex : le pendule » (petit Larousse)
( 6 )« courbe que doit suivre un corps pesant pour parvenir d’un point à un autre dans le moindre temps possible » ( Pierre Larousse)
(7)  l’avis général est qu’il s’agit des gens qui vont t’à la messe