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germaine appell-duclaux in memoriam 5

germaine Appell-Duclaux in memoriam 5

Germaine A. D. 1885 – 1965

 

In memoriam 5

Nouveau départ : vers le grand nord

Quelques six mois après son retour en France, la guerre franco-allemande est déclarée et la famille en sécurité en Auvergne.  Germaine repart pour une nouvelle aventure. Une guerre a commencé dans le grand nord, non déclarée celle-là non plus, avec l’invasion de la Finlande par les troupes soviétiques. Les finlandais opposent une résistance farouche, qui fait l’admiration des médias ouest-européens, et n’obtient aucune aide efficace de leurs gouvernements, du moins en temps utile. Les peuples y voient la lutte de David contre Goliath, la bataille de la civilisation contre la barbarie bolchevique : les images publiées par les journaux sont d’autant plus efficaces qu’elles correspondent à celles que les intellectuels finlandais s’efforçaient de faire passer dans l’opinion européenne depuis la première guerre mondiale et leur lutte pour l’indépendance.

 

La « guerre d’hiver » : origine et image

Dans la guerre qui éclate entre Allemands, Anglais et Français, les mines nordiques de Suède et de Norvège (pays neutres) ainsi que leurs accès maritimes sont un enjeu essentiel. Par ailleurs le pacte germano – soviétique signé le 23 aout 1939 met la Finlande dans l’orbite soviétique (clause secrète) ; mais, malgré le pacte, les Russes prévoient l’invasion de l’Union soviétique par Hitler et veulent donc prendre des précautions, parmi lesquelles figurent :  mettre Leningrad hors de portée des canons allemands ; conserver et sécuriser l’accès à la mer libre autour de Mourmansk. Cela vise directement la Finlande, malgré le pacte de non-agression entre Russes et Finnois, signé en 1932.

Les soviétiques ouvrent des négociations et demandent à la Finlande des modifications de frontières : en Carélie, pour protéger Leningrad ; sur les côtes de la mer de Barents pour empêcher les allemands d’accéder aux eaux libres et aux minerais du nord. Devant le rejet finnois, ils résilient le pacte de non-agression le 28 novembre 1939 et, le 30 novembre 1939, envahissent la Finlande : c’est le début de ce qui fut appelé « la guerre d’hiver ».

Le 30 novembre 1939, les troupes russes (450 000 h., 23 divisions) franchissent la frontière ; elles atteignent vite la ligne Mannerheim (ligne de défense construite par le maréchal Mannerheim) et bombardent Helsinki. La Finlande dispose de ~180 000 h. et de très peu de matériel. Jusqu’en février 1940 les finlandais résistent héroïquement en utilisant leur connaissance du terrain, les conditions climatiques et les insuffisances des armées soviétiques mal préparées à ce type de combat ; ils se résignent à un armistice le 5 mars 1940.

 

Les Finlandais ont cherché de l’aide auprès de la France, de l’Angleterre, et de leurs alliés traditionnels (Suédois et Norvégiens) : sans grand succès. Ils durent se contenter d’un apport de matériels et de la venue de volontaires. Les alliés tardèrent à ouvrir un deuxième front, les états neutres hésitèrent à laisser passer une intervention militaire qui fut finalement prévue pour le 20 mars, donc trop tardive. La France fournit du matériel (avions, canons, mitrailleuses, fusils…) qui arriva en partie après la fin du conflit finlandais. Les moyens inutilisés pour aider la Finlande furent repris et augmentés après l’armistice de mars pour l’expédition de Norvège d’avril – juin 40[i]

Paul Burlet, traces d’histoire, revue 01/01/2003, www.tracesdhistoire.fr

 

 

Cette recherche d’aide est ancienne Dès le tournant du siècle et leur lutte pour l’indépendance, les élites finlandaises ont cherché l’appui des grands pays européens, Allemagne, Angleterre, France, contre la politique de russification mené par le tsar Nicolas II. Elles diffusaient l’image d’une nation opprimée mais solide, soucieuse de légalité, respectueuse du tsar mais désireuse de voir ses droits respectées, organisant une résistance méritoire et largement non-violente… Paris est un des lieux où s’organisent ces réseaux de la cause finlandaise, en contact avec certains milieux français intellectuels susceptibles de réagir. Le peintre Albert Edelfelt, par exemple, fait ses études en France, partage un atelier avec des artistes français et est relations avec les élites intellectuelles, en particulier Pasteur, dont il a peint le célèbre portrait qui figure au Musée d’Orsay : ce qui nous rapproche des Duclaux et de Germaine.[ii]

 

Le Comité France – Finlande et l’expédition médicale française (janvier – septembre 1940)

 

Germaine Appell – Duclaux a pris du service, comme engagée volontaire, dans une unité médicale française en Finlande pendant la guerre d’hiver ; elle en a rapporté maints récits faits à ses enfants et petits-enfants, et des souvenirs matériels qui sont encore à Olmet (Vic sur cère, cantal) dont un sabre d’officier finnois qui fait toujours l’admiration de la jeunesse. Cette participation concerne la guerre d’hiver – décembre 1939 – mars 1940 et non l’expédition en Norvège d’avril – juin 1940, beaucoup mieux documentée par les études françaises.

A l’origine de cette expédition le comité français d’aide à la Finlande, créé le 10 janvier 1940 ; ce comité  fédère des mouvements locaux (depuis décembre 1939 : Bordeaux, Rennes, Angoulême, …) ; ses « soutiens » sont très « huppés » : l’ambassadeur de Finlande, M. Helmas, Mme de Coppet, femme de l’ancien ambassadeur de France en Finlande, Sophie Mannerheim, fille du maréchal, la duchesse de la Rochefoucauld, la princesse de Bourbon-Parme, le cardinal Verdier, le maréchal Franchet d’Esperey , Gabriel Leroy-Ladurie,  etc. Il est lié aux institutions charitables semi-officielles – Croix rouge, Association des Dames de France…  [iii] – Il sera liquidé après l’armistice franco – allemand.

Son activité est celle qui est habituelle à ces sortes d’associations : collecte de fonds, galas, expos, conférences, … Il reprend à son compte une action mise en place par le comité de la côte d’azur et l’Association locale des Dames de France : une ambulance pour la Finlande. Le projet prévoit 10 infirmières,100 lits, 12 voitures avec conductrices, 2 médecins militaires. C’est à ce groupe que se joint Germaine Appell – Duclaux[iv].

Tout le monde est réuni à Stockholm le 29 février et commence à travailler à l’hôpital militaire. Ici intervient un épisode un peu ridicule autour d’un personnage discutable, aventurier mâtiné d’espion, avec détournement d’argent public, frasques diverses, accusations mutuelles… Après enquête menée par un envoyé du comité, l’ambassade débarrasse la mission de l’aventurier et tout le monde se retrouve à Helsinki le 2 mars pour y exercer ; l’armistice intervient le 13 mars

 

Le travail le plus précis et le mieux documenté sur cette expédition médicale qui, soixante-dix ans et bien des campagnes militaires après, parait quelque peu rocambolesque  est celui d’un universitaire franco-finlandais, Louis Clerc, de l’université de Turku (Finlande)[v] Voici ce qu’il en dit : « Les Françaises travaillent à l’hôpital militaire d’Helsinki, et les rares témoignages disponibles montrent des femmes parties pleines de dévouement et de bonne volonté dans l’idée de représenter la France dans un pays en guerre. Pour la plupart issues de « bonnes familles », élevées dans la mentalité des œuvres et de l’action charitable religieuse, elles prennent leur travail très au sérieux. : leur correspondance est pleine d’exaltation romantique, d’honneur de la France, d’amitié partagée avec des Finlandais de carte postale, de poésie des paysages de neige. Si les médecins portent un regard plus critique sur la situation, ils sont eux aussi volontaires et témoignent du désir de se rendre utiles sur ce qu’ils voient comme un des fronts de la guerre mondiale ». Après la fin des combats, le matériel est laissé sur place et on rapatrie les personnels en avril – mai par la Norvège, « souvent dans des conditions rocambolesques ».

Germaine Appell – Duclaux, elle, rejoint dans le grand nord les français de l’expédition de Narvik et rentre en France via l’Angleterre.  En juin 1940 elle sera à Saint Affrique (Aveyron), chez sa sœur, Marguerite Borel, et toutes deux s’occuperont d’accueillir les réfugiés de la « débâcle » française.

Notes

[i] Le plan approuvé le 5 février par le Haut Commandement Allié prévoyait l’envoi de 100 000 Anglais et de 35 000 Français qui devaient débarquer dans le port norvégien de Narvik, et aller soutenir la Finlande via la Suède tout en sécurisant des corridors d’approvisionnement tout au long de leur parcours. La campagne de Norvège dure du 9 avril au 13 juin 1940. Elle vise à contrer les armées allemandes qui ont envahi le Danemark et la Norvège le 9 avril 1940, et est placée sous commandement britannique. Les combats ont lieu autour de Namsos (détruite par les bombes allemandes) et Narvik (prise le 28 mai). En juin 1940 débute l‘évacuation des troupes allées vers l’Angleterre ; les dernières troupes françaises engagées rentrent à Brest le 15 juin 1940.

[ii] Voir Réseaux et image dans les contacts avec l’étranger : une propagande finlandaise ? 1899-1980. Par Louis Clerc , FARE, Université de Turku, Finlande. http://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2010-1-page-25.htm

[iii] Amélie Appell, la mère de Germaine,  n’a-t-elle pas été membre des instances dirigeantes  de l’association en question ?

[iv] Germaine est restée longtemps fidèle aux amitiés nouées à cette époque. Quelques vingt ans après elle a pris l’avion pour les Etats Unis afin, me disait-t-elle, de renouer avec l’infirmière recrutée par l’Association des Dames de France pour accompagner la mission médicale en Finlande : Madame Drouin de Rosières. Malheureusement elle ne put la retrouver.  (Voir Louis Clerc, Le comité français d’aide à la Finlande in Bulletin des anciens élèves de l’INALCO, Octobre 2001, Paris, pp. 15 – 30. Note JBP)

[v] Louis  Clerc, la guerre russo – finnoise, Paris, Economica, 2015 : bibliographie.  De 2003 à 2015, Louis Clerc a écrit beaucoup d’articles sur le sujet, qui apportent bien des informations précieuses ; l’essentiel du présent article lui est dû.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

germaine appell-duclaux in memoriam 6

Germaine Appell – Duclaux 1885 – 1965

 

     Début de la liste des internés du camp d’Emmerich am Rhein

 

In memoriam VI

Les camps de réfugiés ( Displaced Persons)

De 1942 à 1943 (dates imprécises) G. A. D. retourne à la radiologie comme assistant à l’hôpital Saint Vincent de Paul.  Cela ne lui suffit-il pas, ou cela ne l’amuse-t-il pas suffisamment ? Notons qu’elle va être touchée par la limite d’âge : elle aura 60 ans en 1945 et monter en grade n’est plus guère probable ; ses jeunes collègues ont 30 ans de moins qu’elle et la collaboration avec eux ne doit pas être facile. Toujours est-il que, dès que la France est libérée, elle saute sur la première occasion pour retourner du côté militaire, où elle peut avoir un grade de capitaine, d’où un statut nettement plus gratifiant, et l’espoir d’une vie un peu plus mouvementée.

Les possibilités ne manquent pas à l’époque.   A la mi-septembre 1944 le pays est libéré, mises à part quelques poches de résistance en Alsace et le long du Rhin. Ce n’est qu’en janvier – mars 1945 que les troupes de Delattre de Tassigny reprennent Colmar et Strasbourg, puis passent le Rhin en mars. Avec la libération des camps et la fin de la guerre, se produisent des déplacements de population sans précédent : 16 à 18 millions de personnes civiles sont des réfugiés, pour l’essentiel d’Europe centrale et des Balkans. Elles sont regroupées dans des centres de rassemblement, principalement en Allemagne, mais aussi en Autriche et en Italie. Personnes « désireuses de rentrer chez elles mais incapables de se loger sans assistance », personnes « qui ne peuvent pas retourner dans les territoires ennemis ou préalablement ennemis », apatrides « privées, de droit ou de fait, de la protection d’un gouvernement », toutes doivent être prises en charge par l’UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration)[i]

La France du Nord, puis la vallée du Rhin, pour ne parler que d’elles, sont encore pleines de gens chassés par les bombardements et la destruction de leur environnement ;   ils errent sur les routes pour tenter de rentrer chez eux et gênent les opérations militaires. Le problème se pose aux autorités alliées de savoir qu’en faire, et d’abord de les éliminer des voies de déploiement des armées.

 

La première affectation de Germaine vient du Corps de rapatriement, organisme dépendant du gouvernement provisoire, antérieurement Comité Français de Libération Nationale (C. F L N).  Henri Frenay, ministre des prisonniers, déportés et réfugiés, à la tête d’un ministère sans administration et sans moyens, crée un « Corps » de ~13 500 officiers ou assimilés dont 2 000 médecins, corps qui disparaitra avec le ministère et le gouvernement provisoire en novembre 1945.  Le tout dans un désordre extrême.

Henri Frenay[ii] en donne lui-même une description folklorique : « un ministère… [où tout   dépendait des autres : la Santé du ministère de la santé, les Transports du ministère des transports, etc… »  Et cela à un moment où « ces ministères eux-mêmes manquaient de moyens pour remplir la tâche qui leur était confiée et la bataille continuait sur le sol de France »

Un corps « d’officiers ou assimilés (sic) pour la plupart d’entre eux à des grades très supérieurs à ceux qu’ils avaient dans les registres militaires… ; il y avait deux généraux à deux étoiles [qui] n’étaient même pas capitaines. C’était là des grades provisoires » !!! : sic.  Il fallait bien offrir une carotte à ceux qui acceptaient d’ entrer dans un ministère où « on ne faisait pas carrière [et où] on ne se bousculait donc pas au portillon » (H. Frenay, resic)

Que tout cela ne puisse fonctionner qu’à coup d’improvisations et d’initiatives individuelles, est l’évidence même.

 

Saint Avold

C’est dans ces circonstances que Germaine Appell-Duclaux se retrouve « médecin – capitaine engagé » et « médecin – chef » du camp de Saint Avold  (Moselle) : c’est ce que dit son C. V. pour l’année 1944 , sans autre précision de dates. Le même C. V. dit aussi qu’elle fut « versée sur sa demande » dans la partie du Corps de rapatriement qui travaillait en Allemagne et qu’en 1945, sans précisions là non plus, elle dirigeait le camp d’Emmerich am Rhein (Westphalie).

Penchons-nous sur le cas du « camp » de Saint Avold. Première donne : après une recherche rapide, nulle mention d’un tel camp n’apparait ni sur les sites descriptifs de la ville ou de la Moselle, ni non plus dans les recueils qui donnent les listes de tels camps.  Deuxième donne : les chiffres que fournissent les diverses sources que j’ai consultées sont parfaitement contradictoires, en tout cas inférieurs à ceux que mentionne Henri Frenay, qui devait tout de même avoir une vue globale de la situation :   il dit avoir créé une « ligne de centres de rapatriement de Dunkerque à Marseille » , au nombre de 20,  sur les frontières, avec pour mission de « dépister les indésirables », d’identifier les entrants et de leur faire subir un « examen de santé », toutes précautions nécessaires. Puis il aurait créé dans les départements 432 centres pour l’accueil local, « pour lesquels nous avons fait appel aux Associations, telles que la Fédération des prisonniers de guerre, la Croix rouge française, le Secours catholique et beaucoup d’autres ».[iii]   Le camp de Saint Avold peut avoir été un de ces 432.

Saint Avold (Moselle) est une ville de garnison et une ville minière, disputée entre la France et l’Allemagne depuis 1870, de nouveau annexée par l’Allemagne en juillet 1940, libérée après de durs combats et bombardements en novembre 1944 ; des ouvriers venus pour les mines de charbon y résident, dont de nombreux polonais arrivés dans les années 30.  Après la libération qui fit de grosses destructions (voir les photos sur le site de la ville)  les sans-abris et sans ressources (en particulier les étrangers sans implantation locale) ont dû être pris en charge par les pouvoirs publics. Ce n’est certes pas à l’époque une situation rare. La guerre est en cours, les combats continuent en Alsace autour de Strasbourg et Colmar, les troupes du Général Delattre ne franchiront le Rhin qu’en mars 1945[iv].

Les sites de présentation de la ville ne parlent pas d’un camp, fut-il provisoire, le problème a peut-être été rapidement réglé. En tout cas la prise en charge de structures d’accueil par Germaine A. D. n’a pas pu durer plus de quelques mois :  elle n’a pu débuter qu’en novembre – décembre 1944 (libération de la ville) et dès 1945, selon ses propres dires, elle demandait à passer dans une mission du corps de rapatriement en Allemagne, puis à l’UNRRA. Mais « l’aventurière » a dû être heureuse, elle avait retrouvé le climat de risques et de responsabilité individuelle, celui qu’elle avait découvert puis choisi en 1938.

 

Emmerich am Rhein

La deuxième affectation l’envoie en Allemagne occidentale ; elle est en « 1945 – 1946 : médecin du camp d’Emmerich am Rhein (Westphalie) : deux mille personnes de nationalité polonaise ; organisation d’un hôpital, d’une maternité et d’un service de consultations » : c’est ce que dit le C.V.

Il s’agit d’un camp de personnes déplacées (D. P. disent les textes américains) installé en principe dans la  zone française d’occupation – Pour les Anglo-Américains il est en zone anglaise, dépend de l’UNRRA et est situé dans un faubourg d’Emmerich, Dornick, rattaché à la ville après la guerre.  Il accueille des polonais ; d’après les textes que j’ai compilés, il s’agit d’un camp de travailleurs forcés importés comme main d’œuvre dans la Ruhr. A un moment donné ces travailleurs ont fait venir leurs familles, car comment expliquer autrement la maternité citée par Germaine. Emmerich comme Dornick sont tous deux sur la rive droite du Rhin ; or la zone française est en principe limitée par le fleuve[v]

 

La question des polonais « déplacés » est une de celles qui ont reçu de l’attention de la part des chercheurs. Un article de 2009 fait un point sur le sujet[vi].  La situation n’est pas simple : même si elle reconnait officiellement le nouveau gouvernement créé à Varsovie sous occupation soviétique le 30 juin 1945, la France continue à « protéger » le gouvernement de Londres pendant une bonne année encore et accueille ses membres à Paris, jusqu’au 30 juin 1946 (élections générales en Pologne) ; « deux systèmes parallèles ont… perduré, ayant chacun leurs représentants, leurs administrations, leurs locaux… »[vii] La situation est-elle semblable dans les zones françaises d’occupation ? Et Emmerich est-il vraiment en zone française ?

De toutes façons le SHAEF (Supreme Headquarter Allied Expeditionary Forces) disparait en juillet 1945, le gouvernement des zones occupées passe aux autorités militaire d’occupation ;  pour la France il passe  de la 1ère armée [Général Delattre de T.,  5ème  bureau] au GMZF ( Gouvernement Militaire de la Zone Française)[viii]. Le dispositif et l’articulation de la liaison polonaise qui était valable pour le 5ème bureau ne l’est plus pour le GMZF. » dit un document officiel. [ix] Mais la France ne peut se résoudre à se débarrasser de ses anciens alliés, il semble bien que les polonais de Londres et ceux de Varsovie continuent de se mêler des questions de rapatriement : le « désordre » ambiant n’a rien à envier à celui décrit par Henri Frenay.

Le fonds de la question est clair : beaucoup de polonais avaient fui devant l’avance des armées russes et n’ont pas envie de se retrouver de l’autre côté du futur rideau de fer. Le gouvernement de Varsovie veut les faire rentrer, celui de Londres – et après sa disparition, ceux de ses membres qui sont resté à l’ouest – veut les aider à  demeurer à l’ouest ; les organismes officiels, dont l’UNRRA, ne peuvent clairement pas prendre parti et s’accusent mutuellement de favoriser tel ou tel côté. L’attitude des anglais n’est pas très différente, avec, en moins, le souci de recruter des ouvriers pour les mines du Nord.   Il s’agit donc pour les responsables des camps de manifester des qualités diplomatiques tout autant que des qualités médicales. Je ne pense pas que cela ait déplu à Germaine.

Pendant environ un an elle va gérer les 2 000 D. P. polonais, ce qui n’est surement pas simple.

 

Emmerich am Rhein est une ville située en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans l’arrondissement de Clèves. C’est la dernière commune allemande située sur la rive droite du Rhin avant la frontière avec les Pays-Bas. Elle a 29 000 h. en 2010. Le nom de la ville est cité, sans autre information, parmi les camps de « slave – labor » dans une liste postée sur le net. Contenait-il seulement des travailleurs déportés de Pologne, ou d’autres, des individus ayant fui l’avance des armées soviétiques, par exemple ? Du point de vue médical la différence n’était pas primordiale, et les objectifs les mêmes : permettre à ces réfugiés, soit de rentrer chez eux s’ils le souhaitaient, soit de trouver du travail ailleurs, en particulier dans les mines françaises du nord ? [x]

À la fin de juillet 1946, les autorités françaises font officiellement savoir aux autorités polonaises qu’elles estiment les rapatriements terminés et leur intention de lancer le recrutement : « À la suite des mesures prises d’un commun accord pour le rapatriement des personnes déplacées de nationalité polonaise se trouvant dans la Zone d’Occupation française en Allemagne, il est apparu que la grande partie de ces personnes déplacées, volontaires pour le rapatriement, auront, effectivement, été ramenées dans leur pays à la date du 1er août 1946 ». « Dans ces conditions (…), le ministère des Affaires étrangères a l’honneur de faire savoir à l’Ambassade de Pologne, que le gouvernement français se propose, à partir de cette date, de procéder à la sélection parmi les personnes déplacées de nationalité polonaise qui, à la suite de la visite des officiers de la mission polonaise de rapatriement, se seraient refusées à regagner leur pays d’origine, de celles d’entre elles qui seraient qualifiées pour venir travailler en France ».

 

Que le camp soit dans la zone française ou à sa limite, pour Germaine Appell-Duclaux le travail est quasiment terminé ; elle a d’ailleurs dépassé les soixante ans et peut difficilement postuler pour un autre poste à l’UNRRA. Elle rentre en France, c’est la fin des expéditions lointaines.

 

[i] Françoise Milewski,  Un livre du souvenir…, Editions de la découverte , 2009

[ii] Henri Frenay, Le rapatriement des prisonniers et déportés, in Histoire des sciences médicales, société française d’histoire de la médecine , tome XIX, n° 4, 1985, pp. 305 – 309 ; Communication à l’université Paris – Descartes :  http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1985x019x004/HSMx1985x019x004.pdf

[iii] Il faudrait, pour les identifier, faire des recherches dans les archives, tant nationales que locales , ce qui n’a été fait que pour des cas particuliers, dont les juifs et les polonais : c’est un travail énorme.

[iv] Campagne d’Alsace. Janvier 1945 : prise de Colmar et Strasbourg ; février 1945 : prise de Haguenau ; mars 1945 : franchissement du Rhin.

[v] I T S (International tracing service) : <http://dpcampinventory.its-arolsen.org/… >

Les listes de camps consultées ne contiennent aucun camp ni à Emmerich ni à Dornick pour la Zone française d’occupation [le long du Rhin rive gauche, de la Suisse à la Hollande] . Le site www.dpcamps.org/hist… comporte deux listes , dont aucun ne signale ces noms Une autre source concerne les camps de travail forcé dans l’Allemagne nazie ; la liste alphabétique qu’elle contient cite Dormick (avec une faute d’orthographe) , à côté d’Emmerich am Rhein , arrondt de Clèves. Elle cite également Emmerich am Rhein , et son faubourg de Dornick (sans faute d’orthographe) http://www.dpcamps.org/slaveCampsD-G.html La confusion vient sans doute d’une approximation : Emmerich – et Dornick – sont sur la rive droite du Rhin ; or la zone française est censée s’arrêter sur la rive gauche. Image d’une liste du camp dans :  < http://dpcampinventory.its-arolsen.org/uebersicht-zonen/britische-zone/dokumente/> :  image reprise ici

[vi] Julia Maspero, La question des personnes déplacées polonaises dans les zones françaises d’occupation en Allemagne et en Autriche : un aspect méconnu des relations franco-polonaises (1945 – 1949), in Relations internationales, 2009/2, n°138, p.160 sq.

[vii] J. Maspero, p. 10

[viii] Le SHAEF a été créé en décembre 1943 pour organiser le débarquement sur le front ouest. Il comprenait un plan d’aide et de contrôle des « Personnes Déplacées » et avait rédigé en mai 1945 un Guide to the care of displaced Persons in Germany qui stipulait que les officiers de rapatriement devaient assister les personnels des centres.

[ix] J. Maspero, notes 16 et 17 : citations des archives du MAE et des forces d’occupation américaines.

[x]< http://www.dpcamps.org/slaveCampsD-G.html>

 

Bibliographie

Julia Maspero , La question des personnes déplacées polonaises dans les zones françaises d’occupation en Allemagne et en Autriche : un aspect méconnu des relations franco-polonaises (1945-1949), in Relations internationales, 2009/2 (n° 138)

Françoise Milewski,  Un livre du souvenir…, Editions de la découverte , 2009

Hélène PEHREIN-ENGELS, la présence militaire française en Allemagne, de 1945 à 1993 Thèse de Géographie-Aménagement, université de Metz, 1994.

Janine Ponty, « Les rapatriements d’ouvriers polonais (1945-1948) », in Bruno Drweski (dir.) L’impact de la Seconde Guerre mondiale sur les relations franco-polonaises, Paris, INALCO, 2000, p. 128.

 

 

 

 

 

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